18 décembre 2007
Splendeur et misère du rail
Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; La grande époque des chemins de fer .
Deux cartes agrémentent cette chronique. Elles pourraient se passer de commentaires. J’en ferai quand même parce que l’envie m’en démange ! La première carte montre l’état du réseau de voies ferrées en France en 1921, à son apogée. La seconde représente l’état actuel du même réseau. Elles sont malheureusement trop petites pour être lisibles dans le détail, mais ce n’est pas très grave car c’est surtout leur aspect général qui m’intéresse et qui m’amène à formuler un certain nombre d’observations. La première qui me vient à l’esprit, c’est que la stucture générale du réseau, en forme de toile d’araignée avec Paris pour centre, n’a pas changé. Il n’y a pas de quadrillage du territoire, à l’image du réseau des parallèles et des méridiens à la surface du globe, mais des grandes lignes convergeant sur Paris, reliées par quelques traverses importantes. Cela correspond tout à fait avec la centralisation administrative qui a toujours été l’une des caractéristiques essentielles de notre pays et ce, quel que soit le régime politique. Ce dessin du réseau est encore plus visible sur la carte 2007, alors que l’on n’a jamais autant parlé de décentralisation ! Il est connu que le plus court chemin ferroviaire de Lyon à Nantes passe maintenant par Paris, sauf si on est vraiment un acharné du rail.
La seconde chose qui m’interpelle, c’est le nombre impressionnant de lignes secondaires qui ont été supprimées et pour la plupart démantelées, ce qui rend tout retour, même partiel, à la situation antérieure, tout à fait impossible. D’autant que la carte 2007 est trompeuse car ce sont toutes les lignes encore utilisées qui sont représentées ; mais à l’échelle du dessin, ce que l’on ne voit pas, c’est le fait qu’une partie de ces lignes ne sont ouvertes qu’au trafic marchandises. L’hémorragie des fermetures de gare a heureusement un peu ralenti ces dernières années, car la SNCF a délégué la gestion d’une partie du réseau « secondaire » aux Conseils Régionaux qui ont dû mettre la main à la poche s’ils voulaient conserver tel ou tel TER indispensable à la vie locale. Dans le cadre du démantèlement général des services publics qu’ont entrepris nos gouvernants depuis quelques décennies, la nouvelle direction de la SNCF ne jure plus que par la « grande vitesse », « le volume de trafic » et surtout « la rentabilité ». Comme à la Poste, l’ouverture à la concurrence du marché des transports sur rail a pour conséquence directe le départ progressif vers le privé des secteurs les plus rentables et la course au profit pour une entreprise bâtarde comme la SNCF (un méli-mélo d’obligation de rendement et de contraintes encore liées à l’appellation service public) risque bien d’être une course à la chimère.
Par rapport à l’état du réseau en 1921, certaines parties du territoire ont été littéralement abandonnées par le rail. L’exemple du département de l’Ardèche qui ne connait plus aucun trafic voyageur depuis plusieurs décennies, est tout à fait typique. Regardez un peu, sur la première carte, la densité du maillage que dessine le chemin de fer sur l’ensemble du territoire : pas de « trou », pas de zone désertique ! Imaginez, dans les zones de montagne par exemple, ce que cela représente comme investissement humain et financier : le nombre de viaducs, de ponts, de tunnels, de rampes qui ont été construits par nos ancêtres. On en voit encore beaucoup de ces chefs d’œuvre lorsqu’on se promène dans le Massif Central, dans les Cévennes ou dans le Lot en particulier. Il y a même des lignes qui ont été entièrement tracées avec tous les ouvrages nécessaires construits, mais qui n’ont jamais reçu de rail et n’ont jamais vu un seul train rouler… Le village dans lequel nous habitons, Passins en Isère, 300 habitants, était relié à Lyon par le Chemin de Fer de l’Est. Il y avait une gare et même un hôtel de la gare juste à côté. Mes grands parents maternels utilisaient assez souvent ce mode de locomotion. C’était un peu long, salissant, mais ô combien pratique !
On évoque souvent, et à juste titre, l’aspect économique (et donc écologique) du transport par le rail. Le transport des marchandises sur route et autoroute, en camions, est une aberration pour les longues et moyennes distances. Nos voisins suisses semblent avoir intégré cette dimension du problème et font une promotion vigoureuse du ferroutage depuis pas mal d’années. Nous, nous n’en sommes encore qu’aux balbutiements dans ce domaine. Mais il y a un autre aspect du problème que l’on oublie souvent, c’est l’impact du mode de transport sur l’environnement visuel. Toutes ces lignes secondaires anciennes qui ont disparu, n’avaient qu’une emprise très limitée sur le paysage. On s’en rend bien compte lorsque l’on emprunte ou que l’on croise (en randonnée par exemple) les derniers tracés existant encore dans les régions un peu sauvages. Le chemin de fer s’intègre remarquablement bien dans le paysage. Une voie ferrée suivant le cours sinueux d’un fond de vallée n’a pas les mêmes conséquences sur le panorama qu’une Nationale à deux voies ou une autoroute qui « avale » des milliers d’hectares de terres agricoles. Je reconnais que cet argument est beaucoup moins judicieux pour les voies TGV que pour les voies anciennes, mais, même dans ce cas, il reste valable si l’on intègre le trafic ainsi géré. Pour les « grandes » autoroutes, les deux voies sont depuis longtemps saturées et l’élargissement à trois ou quatre voies semble incontournable. Vous avez déjà mesuré la largeur d’une deux fois quatre voies avec ses zones de sécurité latérales ?
On a abandonné en grande partie le transport en train en considérant que celui-ci était dépassé et ne correspondait plus aux besoins d’une France dont les zones rurales se désertifiaient (il serait intéressant d’ailleurs d’étudier dans quel sens fonctionnent les liens de cause à effet pour ces deux phénomènes). Les problèmes écologiques croissants que nous rencontrons, n’amènent-ils pas à se demander s’il ne faudrait pas abandonner, au moins partiellement, le transport routier, devenu archaïque à son tour ? Mon attachement sentimental aux petits trains d’antan est connu de nombre de mes amis, mais, je vous rassure tout de suite, ce n’est pas le retour à la traction vapeur que je préconise ! Je pense cependant que le rail est l’une des clés majeures pour résoudre nombre de nos problèmes actuels de transport. Ce n’est pas quand on aura bétonné la totalité de la vallée du Rhône et fini de défigurer certains paysages des Alpes et du Massif Central qu’il faudra réagir…
5 Comments so far...
JACQUES Alain Says:
23 janvier 2010 at 07:06.
Bonjour,
Juste quelques mots, d’abord pour vous remercier pour votre document et que je partage voir point de vue.
Les lignes TGV forment de véritables tranchées dans le paysage, réduisant les espaces de déplacements des animaux et des Hommes et constituent de véritables barrières, d’autres murs.
Pour qui ?
Enfant, je pouvais me rendre seul, à pieds ou à vélo, de la maison secondaire de mes parents, dans l’Yonne à Michery près de Sens, pour me promener jusqu’à une forêt proche. Aujourd’hui, mes enfants n’en n’ont plus la liberté de le faire. Je ne les y autorisent pas. Le village a été coupé de cette petite forêt et des champs. Ce n’est plus » la campagne »
Pour qui ?
Et comme cela ne suffisait pas la ligne TGV est « accompagnée » d’une autoroute qui mène à Troyes et encore d’une route secondaire …
Il faudrait mesurer le tout.
Merci aussi pour ces deux cartes qui résument parfaitement le progrès réalisé en terme de communication.
Salut.
Alain JACQUES
Destarc Says:
20 janvier 2016 at 11:11.
acctuellement je lit un livre très interesssent !!!! le chemin des larmes de Christian Laborie sur la construction des vois ferrés des les cévennes
Paul Says:
20 janvier 2016 at 17:07.
@ Destarc – Je connais l’auteur, mais je n’ai pas lu ce livre là. Je pense que c’est effectivement intéressant. Je pense aussi que c’est un peu déprimant quand on voit le travail qui a été accompli et ce que la SNCF en fait depuis quelques décennies.
Timothée Says:
22 novembre 2020 at 19:06.
Bonjour,
Merci pour ce billet de blog qui résume le constat malheureusement partagé d’un trop fréquent abandon du rail.
Heureusement, quelques bonnes nouvelles arrivent parfois comme le retour prochain (du moins, je l’espère) du train (ou du tram-train ou du tram) sur le Chemin de fer de l’est lyonnais : http://lyon-cremieu-parfer.fr/index.php/2020/05/09/des-nouvelles-du-comite-de-pilotage/
Paul Says:
23 novembre 2020 at 09:02.
@ Timothée – Jusqu’à présent cette histoire de chemin de fer de l’Est rétabli, ça a été un peu « l’Arlésienne » au gré des vents et des élections. Ce serait une initiative fort intéressante ! A noter aussi la création de la coopérative Railcoop au capital social de laquelle il est toujours possible de souscrire. Dans leurs cartons, la réouverture d’une liaison ferroviaire entre Bordeaux et Lyon, accompagnée de nombreuses initiatives intéressantes sur le prix des billets, les conditions de travail des cheminots embauchés… La question mérite d’être posée la SNCF ayant pris, depuis de nombreuses années, des initiatives catastrophiques. Merci pour votre intérêt. Ce sujet me tient à cœur !