9 mars 2023

La littérature m’emmène faire une nouvelle virée au Québec

Posté par Paul dans la catégorie : l'alambic culturel; mes lectures .

Jacques Poulin, bien sûr… Je vous en ai déjà parlé ! Cet auteur admirable a été mon passage obligé pour découvrir la littérature québecoise. Son ombre plane sur toute une kyrielle d’écrivaines et d’écrivains que je découvre ces derniers temps : Gabrielle Filteau Chiba, Charles Sagalane, Juliana Léveillé-Trudel… Je ne sais quel est l’état de notre belle langue au Québec, mais ces artistes contribuent à la rendre toujours plus belle, plus vivante et, surtout, chargée de poésie. Une découverte à faire sans grands efforts. Je vous invite à me suivre dans mon voyage et j’espère que vous n’en tirerez que ravissement.

Comme préliminaire à tous ces nouveaux auteurs et autrices dont je vais vous parler, j’ai commencé par relire « La tournée d’automne » de Jacques Poulin, pour donner le « la » en quelque sorte. Chez cet auteur, la recette est magique et bien souvent délicieuse. Les ingrédients ? Prenez un fleuve, le Saint-Laurent, une ville, Québec, un invité quasi obligatoire, le chat, un vieil écrivain ronchon, un minibus vrombissant de vitalité et mélangez avec un soupçon de malice… La liste des chefs d’œuvre est longue. « La tournée d’automne », c’est l’un de ceux que j’aurais tendance à mettre en haut de la pile… Quoique « Wolskwagen Blues », « Le vieux chagrin », « Les yeux bleus de Mistassini » aient fort envie de lui disputer cette place. L’attirance que j’avais pour les livres de cet auteur était telle, qu’elle a bloqué pendant des années mon envie de découvrir d’autres signatures. Et il n’en manque pas… Comme dans le domaine du conte ou de la chanson, le Québec n’est pas à la traîne pour ce qui est de la production littéraire et réserve de belles surprises.

 J’ai franchi le pas avec Gabrielle Filteau Chiba. J’ai lu avec grand plaisir son « Encabanée », puis « Sauvagines » et j’attends avec une impatience immodérée le troisième opus de cette sorte de trilogie, « Bivouac » que mon complice de lecture, Jérôme, a fait dédicacer pour moi dans une librairie parisienne. Point de Saint Laurent, ni de virée dans les librairies, ni de chats omniprésents dans l’œuvre de Gabrielle. Le décor, c’est, indiscutablement, l’immense forêt canadienne, la faune qu’elle abrite, les cabanes qui s’y blottissent… Mais surtout, les luttes désespérées qu’entreprennent certains courageux pour protéger à tout prix cette splendeur des prédateurs multiples qui la menacent. Un point commun avec Poulin, des personnages qui se croisent et s’entrecroisent, se rencontrent au détour des pages et tentent de nous faire ressentir leur amour du pays. J’ai parlé de « trilogie » au début de ce paragraphe, parce qu’il me semble qu’il faut respecter l’ordre dans lequel je les ai cités pour découvrir ces trois romans, au risque de voir le premier perdre une partie de son charme, si l’on mélange trop les cartes.

« Encabanée » nous permet de découvrir un personnage clé, Anouk, et son combat pour retrouver une vie qui ait plus de sens que celle qu’elle menait auparavant dans la capitale de la Province. Un jour, l’héroïne quitte le confort de sa vie urbaine et s’installe dans une cabane, un ancien refuge forestier en fait, dans le Kamouraska. Elle affronte dans ce lieu difficile les rigueurs de l’hiver au Nord du Québec, et doit faire face, avec ses propres moyens, aux difficultés d’une vie nouvelle qu’il lui faut apprivoiser peu à peu. Au jour le jour, elle partage ses joies, ses malheurs, ses émerveillements, qu’elle note sur un journal de bord plutôt agréable à lire. A l’époque de ma découverte, j’avais trouvé ce volume un peu bref, mais je trouve que la lecture de « Sauvagines » lui a donné tout son sens. Ce deuxième opus reprend d’une certaine façon la thématique du premier, mais le personnage central, Raphaëlle, est cette fois engagé dans un combat, souvent brutal, contre l’un des fléaux qui menace la faune locale, la trappe illégale, le braconnage pour être clair. On approche l’écologie dans « Encabanée » ; l’on s’y plonge dans « Sauvagines ». Un jour, Anouk croise la route de Raphaëlle, et une nouvelle dimension s’ajoute à l’histoire. Je ne vous en dirai pas plus. Je serai moins bavard à propos de « Bivouac » dont j’espère la découverte prochaine. Ce que je sais, simplement, c’est que l’on retrouve les personnages mentionnés dans les deux premiers volumes, ainsi que leur engagement contre un nouveau fléau, le gigantesque gazoduc qui doit traverser, tel une plaie géante, la forêt qu’habitent nos deux écologistes. La lutte est d’une grande envergure, et elles n’en sont plus les rouages isolés. Les communautés autochtones, trop souvent oubliées, sont, elles aussi, engagées dans ce combat.

 Du Kamouraska au Nunavik, un grand pas vers le Nord et quelques degrés centigrades en moins. Nous suivons l’écrivaine Juliana Léveillé-Trudel dans son périple au pays des inuits. J’ai découvert deux romans de sa plume. Le premier dans l’ordre chronologique s’intitule « Nirliit » (disponible chez Folio) ; le second volume, avec toujours le même personnage central, « On a tout l’automne » aux éditions « La Peuplade ». Les deux se déroulent au Nunavik, dans le petit village de Salluit, pendant l’été. Au Nunavik, nous nous rapprochons du cercle polaire (62ème parallèle) et, pendant cette période, le soleil brille presque toute la journée, ce qui crée une ambiance très singulière. Il se trouve que j’ai lu ces deux histoires dans le désordre et, finalement, je trouve que c’est un bon choix. « Nirliit » est un cri de colère continu et son approche n’est pas évidente. On respire un peu plus en lisant « On a tout l’automne », notamment parce qu’une part non négligeable du récit est consacrée à une réflexion sur la langue des Inuits. Celle-ci fait largement usage de mots valises très allusifs et surprenants pour notre logique. Je vous donne un exemple : pour parler d’une feuille de papier, on la compare à la fine pellicule de glace qui se forme à la surface de l’eau lorsqu’elle gèle. C’est très poétique et un peu ludique aussi. Malheureusement, l’usage de cette langue se perd. On considère comme « naturel » le fait que les autochtones apprennent l’Anglais ou le Français ; en retour, peu de « Blancs » font l’effort de s’initier au parler local comme tente de le faire la narratrice. Il faut dire que c’est une langue extrêmement difficile.

 Chaque année, le personnage central de ces deux livres quitte Montréal à la saison estivale pour se rendre dans le petit village de Salluit en tant qu’animatrice sociale, chargée de s’occuper des enfants de la communauté. Au fil du temps, elle noue de plus en plus de relations avec les membres de la communauté, notamment les plus jeunes. Dans les deux volumes, il s’agit avant tout d’une chronique de la vie quotidienne dans un village où le chômage, la perte des repères, la drogue et l’alcoolisme font des ravages. La violence est un fait quotidien ; Salluit est pourtant considéré comme un village relativement « privilégié » par rapport à d’autres. Le chômage est massif et la plupart des familles survivent avec l’équivalent local du RSA ; en complément, la société minière verse une indemnité à chacun des membres de la collectivité, pour compenser le préjudice subi à cause de la présence d’une exploitation sur le territoire communautaire. Sombre tableau, certes, mais ne vous trompez pas cependant, nous sommes loin d’un récit misérabiliste. La narratrice apprécie beaucoup la beauté des paysages et grâce à des descriptions somptueuses, tente de nous la faire partager. Mais le poids du quotidien est là, sans cesse, et, la plonge dans un désespoir qui se traduit par une alternance de colère et de découragement.

 Le drame commence dès le début de « Nirliit ». Eva, sa collègue, son amie, celle qu’elle retrouve tous les étés, a disparu. Son corps a sans doute été jeté dans le fjord et n’a pas été retrouvé. Il s’agit certainement d’un acte criminel tant les règlements de compte sont nombreux.  Cela ne semble inquiéter personne ; l’enquête des services de police n’a abouti à rien. Tant de morts, de disparitions inexpliquées, la vie humaine a finalement peu de prix, dans cet environnement hostile, sauf pour la narratrice…

« Je ne peux demander à personne parce que personne ne voudra me répondre, c’est votre drame, je n’ai pas à mettre mon gros nez de Blanche dedans, vous n’aimez pas qu’on se mêle de vos affaires, mais je voudrais juste dire s’il vous plaît, je l’aimais moi aussi, s’il vous plaît, expliquez-moi pourquoi je ne la verrai plus. »

 A travers le portrait d’Eva, Juliana Léveillé-Trudel nous parle des autres membres de cette communauté : des enfants que l’on conçoit puis qu’on abandonne plus ou moins aux bons soins des grands mères ou de la communauté, femmes, consentantes ou non, qui passent de bras en bras, travailleurs saisonniers cherchant à compenser leur isolement en nouant des relations éphémères… L’alcoolisme, les viols, les mauvais traitements constituent une bonne part de la vie quotidienne et alimentent la colère de notre animatrice dépourvue de moyens pour agir sur cette catastrophe sociale. Un rôle difficile, qu’elle analyse bien par ailleurs : qui est-elle, quels sont ses droits pour apporter la « bonne parole » à une collectivité en perdition ? Ce peuple que l’on a déplacé au fil des besoins de l’administration et des grands chantiers et que l’on a réduit à une vie sous assistance matérielle continuelle faute de perspective à lui offrir, et que l’on voudrait maintenant ramener dans le droit chemin à coup de grands discours moralisateurs… L’histoire d’Eva sert de support à la première partie du livre. En deuxième partie, l’autrice s’intéresse à un personnage masculin, Elijah, totalement dévasté parce que la femme qu’il aime passe l’été dans les bras d’un autre homme, un Blanc, travailleur saisonnier venu compléter ses revenus dans le grand Nord.

 « On a tout l’automne » nous permet de retrouver le village de Salluit quelques années plus tard et d’observer comment la communauté a évolué. Ce n’est guère optimiste, mais le témoignage de l’auteur se fait sans doute plus nuancé, et accorde une large place à son amour pour cette contrée où la vie est si difficile. Les enfants ont grandi et sont maintenant des adolescents rêvant d’une autre vie que celle que leur offre leur terre glacée. Avec certains, le contact est facile et des brouettées de souvenirs remontent à la surface. Il y en a d’autres qui se sont renfermés sur eux-mêmes et qu’il faut à nouveau apprivoiser. De belles tranches de vie, marquées aussi par les humeurs de la narratrice. Elle a laissé un « chum » à Montréal, un homme pour qui elle a de l’estime mais qui peine à vouloir s’engager dans un itinéraire de vie commune… De nouveaux bonheurs, de nouveaux drames viennent pimenter ce récit, appréciable par dessus tout par la chaleur humaine qui s’en dégage. Juliana Léveillé-Trudeau nous fait ressentir très fortement ses émotions et dresse un portrait éblouissant de cette contrée qu’elle admire tant et à sa lumière à nulle autre pareille.

 Je termine par un ouvrage un peu moins difficile d’abord. Dans son livre, une histoire vraie, « Journal d’un bibliothécaire de survie », publié également aux éditions La Peuplade, Charles Sagalane nous invite à le suivre dans l’exécution du projet plutôt délirant qu’il a conçu : installer des bibliothèques d’ouvrages à lire dans les endroits les plus sauvages et les plus reculés possibles. Son long périple part du Lac Saint Jean et de la rivière Saguenay et l’amène à explorer la Gaspésie ainsi que d’autres régions francophones au Canada et dans le Sud des Etats-Unis. Ce « road movie » littéraire en plusieurs épisodes (il a fallu des années pour constituer peu à peu le réseau) nous permet de découvrir une foule d’écrivaines et d’écrivains francophones, des poètes, des créateurs originaux, en bref un vaste mouvement artistique dont je pense que nous sous estimons l’importance de ce côté-ci de l’Océan. L’auteur souhaite que chaque bibliothèque portative qu’il installe ait, en quelque sorte, un parrain ou une marraine, chargé•e de veiller à sa maintenance. Juliana Léveillé-Trudel fait d’ailleurs partie des écrivaines croisées au fil de ce récit.

Le climat du Québec n’est pas celui de l’Espagne et si l’on veut que les livres restent en état pendant quelques temps sur les îles du Nord par exemple, mieux vaut qu’ils soient quelque peu protégés. Charles Sagalane lui-même, veille à la bonne tenue de certaines de ses bibliothèques, à l’occasion des randonnées multiples qu’il effectue dans sa contrée d’origine. On découvre ainsi des endroits aux noms fort sympathiques : on comprend tout à fait que l’île aux fesses, les îles des Cauchon, l’île aux poires ou les îles des béliers aient besoin d’un espace culturel de survie ! Ses visites imprévues lui laissent parfois de belles surprises comme les annotations que certains visiteurs laissent à la fin des livres. Lorsque ceux-ci sont trop endommagés par les intempéries, il les collecte et constitue, chez lui, une sorte de musée d’épaves littéraires ! Un récit très intéressant, parfois émouvant, permettant de faire connaissance en parallèle avec des artistes créatifs et des personnages inspirants. Cela m’a donné envie de découvrir d’autres écrits de cet auteur prolifique.

Toutes ces lectures ont ravivé aussi mes envies de voyage de l’autre côté de l’Atlantique, mais ceci est une toute autre histoire!

One Comment so far...

Anne-Marie Says:

10 mars 2023 at 19:39.

Faut plus que je vienne lire vos articles, j’aurai jamais assez de mon reste de vie pour lire tous ces livres intéressants 🙂
« Lire m’est aussi nécessaire que me nourrir. Avec une différence, je n’ai jamais éprouvé de satiété en lisant. » (Maïssa Bey)

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