1 avril 2023
Le hameau dans lequel j’habite a bien changé…
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .
Habiter pendant cinquante ans au même endroit (et même plus si l’on compte les séjours estivaux d’enfance) permet d’accumuler une masse d’observations suffisante pour réfléchir sur l’évolution paysagère, mais aussi sociale, d’un lieu. Je ne reconnais plus guère le hameau dans lequel je déambulais quand j’avais une dizaine d’années, puis celui dans lequel nous avons, avec ma compagne, habité une dizaine d’années plus tard. Mon propos est sans doute teinté de nostalgie, mais n’a pas pour objectif de prononcer un jugement péremptoire du type « c’était mieux avant ». Je suis simplement marqué par l’évolution des choses au fil des années.
Un technicien est passé l’autre jour pour nous informer que notre hameau était maintenant connecté par fibre optique et qu’il ne nous restait plus qu’à voir avec notre opérateur comment bénéficier de ce progrès notable. Quand nous avons rénové notre habitation, nous avons été la première maison équipée d’un téléphone. Obtenir un correspondant n’était pas toujours chose facile. Il fallait établir une liaison avec le central en décrochant le combiné (nous avons sauté la période « volant magnétique » à activer). Une charmante opératrice s’enquérait alors de notre demande : « bonjour ! pour le 3 à Saint-Glinglin, nous aimerions obtenir le 15 à Pétaouchnock ». On entendait alors quelques bruits de manipulation, puis cela sonnait et l’on pouvait parler à son correspondant. Il fallait être économe en paroles car chaque appel était facturé avec un décompte à la minute. L’abonnement coûtait un prix raisonnable mais les communications pouvaient être facturées les yeux de la tête si l’on s’épanchait trop sur ses malheurs éventuels.
La petite route qui longeait la propriété n’était pas goudronnée, simplement recouverte de pierraille. Elle servait de terrain de jeu aux enfants et de piste éducative pour les apprentis cyclistes. Peu de voitures l’empruntaient. Celle de mon père, puis quelques années plus tard la nôtre. Il y avait aussi les camionnettes des commerçants ambulants (boulanger, boucher, épicier) qui s’annonçaient à grands renforts de klaxon, faisaient une halte en bas du hameau, puis une autre en haut. Il devait bien y avoir un ou deux tracteurs, mais comme le chemin était bordé de pâturages, il n’y avait guère besoin de machines agricoles pour l’entretien. Du coup, vaches et chèvres de nos voisines pouvaient paître tranquillement les talus en se rendant « en champ ». Enfant, je faisais souvent un bout de route avec ces braves dames ; une surtout qui avait deux vaches et un chien bien sympa. Il y a cinquante ans de cela, devenu adulte et résident permanent, les fermières trop âgées n’emmenaient plus guère de troupeau au pâturage. Les prairies sont devenues des champs cultivés, les haies qui bordaient la route ont disparu, les noyers et les pommiers se sont transformés en tas de bois et le nombre d’engins motorisés a augmenté. Le progrès était là, enfin, et le vilain cailloutis remplacé par un bitume tout neuf. Le trafic automobile n’était toutefois pas vraiment gênant. Je me souviens encore, lorsque nos propres enfants étaient jeunes, la route restait un terrain de divagation. Ados, ils passaient même de longues heures le soir, assis sur le bitume à deviser allégrement à la lumière des étoiles.
Dans les années 80, après une série de décès, la population pendant l’hiver se réduisait à notre famille. Je me souviens même de braves visiteuses nous demandant, inquiètes, si l’on n’avait pas trop peur d’habiter ainsi, à l’écart du monde… L’été plusieurs maisons, devenues résidences secondaires, étaient occupées, puis progressivement d’autres familles sont venues vivre là, à l’année. Les cours de l’immobilier n’étaient pas trop élevés, et le jeu des héritages et des successions entrainait l’apparition de nouveaux visages. Il a fallu passer l’an 2000 pour qu’un certain nombre de changements spectaculaires se produisent. L’habitat ancien, qui ne manquait pas de charme, n’a plus suffi. Plusieurs maisons de caractère ont été rénovées, puis le hameau s’est agrandi… Une, deux, trois maisons neuves, d’un côté, puis carrément un lotissement, suivi d’un autre. La population s’est multipliée au moins par dix et l’anonymat s’est installé. Les maisons des lotissements se sont enfermées derrière de véritables murs d’enceinte, dont les habitants entrent et sortent en voiture, ce qui fait que l’on ne connait quasiment plus personne. Les panneaux « voisins vigilants » ont tendance à fleurir. Pour notre part nous préférons « voisins accueillants ». Notre petite route est devenue une bretelle, un chemin d’évitement, pour la route (autrefois Nationale) qui passe à un kilomètre de là. Les conducteurs âgés, routiniers, ont trouvé que cela constituait un accès plus sécurisé au centre commercial qui avait précédé de quelques années l’installation des lotissements. D’autres ont estimé que leur véhicule, peu conforme, ou leur taux d’alcoolémie, trop élevé, avait plus de chances d’échapper aux contrôles de la maréchaussée, en empruntant les voies secondaires.
Plus de commerces au village, la voiture devient la seule solution pour se ravitailler dans les campagnes. Dans la région c’est vrai seulement pour les bourgs les plus petits ; dans d’autres, même les villages de plusieurs milliers d’habitants sont frappés par ce cataclysme. Nous avons remarqué, lors de nos voyages, que c’est beaucoup moins le cas en Italie par exemple. La multiplication des supermarchés n’a pas entraîné la disparition totale des commerces de proximité. Epiceries, boucheries, boulangeries et petites boutiques d’artisanat sont toujours présentes dans les centres villes. Ce phénomène s’est produit de façon vraiment rapide et plutôt brutale en France. Il est des villages dans le Massif central ou dans le Centre dans lesquels on n’a plus guère envie de déambuler. La disparition des commerces, jointe à celle des services publics les a transformés en dortoirs sinistres. Heureusement, la présence de monuments historiques ou de musées semble préserver l’existence des bistrots. Mais ce n’est pas le cas partout. Les marchés ont parfois de la peine à survivre, d’autant que le laxisme de la loi permet à certaines grandes surfaces d’ouvrir n’importe quel jour de la semaine y compris le dimanche. Du coup même le marché dominical en souffre ! Lorsque ce mouvement d’implantation des hypers et supermarchés s’est produit, un argument de masse poussait les villageois à faire quelques kilomètres avec leur voiture : les prix étaient significativement plus bas. Procédez à quelques vérifications aujourd’hui, du côté des fruits et les légumes ou de la boucherie, par exemple, et vous verrez que l’avantage matériel que l’on tire à remplir un charriot (en partie de produits inutiles et sur emballés) n’est pas toujours si évident. Espérons que ce miroir aux alouettes va perdre de son attirance dans les années à venir.
En une dizaine d’années, notre petite route est devenue, au choix, une piste de rallye, un parcours sportif, et nous ne pouvons plus estimer le nombre de fois où la catastrophe a été évitée de peu : tracteur avec fourche mal relevée contre mobylette, voiture de course contre car de ramassage scolaire, ou bêtement collision frontale de deux conducteurs du dimanche. Nous croisons les doigts : point de mort, ni de blessé grave, à ce jour, ce qui est vraiment surprenant. Lorsque nous nous rendons à pied au village voisin, distant d’un kilomètre, nous croisons ou nous sommes doublés par plusieurs dizaines de véhicules. Certains conducteurs sont fort corrects et prennent leur distance pour dépasser piétons et cyclistes. D’autres estiment simplement que les personnes autres qu’elles qui se déplacent sur la route sont des obstacles susceptibles d’endommager leur véhicule et qu’il vaut mieux faire attention à leur tôle fragile et rutilante.
Bref, se promener dans le coin n’est plus un plaisir. Mieux vaut prendre la voiture et aller… ailleurs, sur des chemins, des sentiers, des pistes forestières, où l’on ne sera importuné que par quelques quads, quelques motos de cross et des chasseurs estimant que d’avoir posé un panneau « chasse en cours » leur garantit une tranquillité suffisante. Les pratiques agricoles ont bien changé aussi et nécessitent l’usage d’engins de plus en plus lourds et de plus en plus rapides. L’un de nos bâtiments, en pierre, a du mal à supporter les vibrations croissantes de son environnement immédiat et son mur pignon présente des signes de faiblesse inquiétants. Histoire de nous rassurer, nous avons appris par la rumeur que notre municipalité envisageait de revoir le bitume défaillant et d’élargir un peu l’espace de circulation. Tant mieux, cela permettra aux voitures arrivant à 60 km/h dans le virage marquant l’entrée du hameau, de pousser quelques dizaines de km/h supplémentaires au compteur. J’ai peur que nous ne devenions les tristes spectateurs de ce que cette « amélioration » va donner. Consolons-nous en nous disant que « grâce » à la fibre, nous pourrons prévenir les secours plus rapidement !
J’ai écrit ce billet au retour d’une petite balade d’hiver, plutôt récurrente, puisqu’il s’agit d’un aller-retour au village voisin, notre chef lieu local. Un samedi après midi, sur un trajet de deux kilomètres, j’ai croisé bon nombre de voitures (deux douzaines sans doute, un nombre qui fera sans doute rigoler les citadins, mais bon !). Je suis content parce que je rentre en bon état physique et que je n’ai inhalé qu’une quantité réduite de gaz d’échappement. Les haies ayant totalement disparu en bordure des parcelles de culture, je note aussi que je n’ai pas observé un seul oiseau, alors que nous sommes à la fin du mois de Mars. Tristesse… Pas vu non plus les quelques ragondins qui nichent encore dans les fossés. Bien fait pour moi, je n’avais qu’à aller plutôt dans les bois à la maraude aux primevères !
J’ai choisi de ne pas illustrer mon billet, afin de n’irriter personne. Je ne voudrais pas que l’on interprète mal mon propos. Il ne s’agit pas pour moi de critiquer les agissements d’un tel ou d’un autre, mais de dresser le constat d’une évolution du paysage qui est plus génératrice de laideur et d’angoisse que d’optimisme. Et puis, est-ce vraiment important de photographier les emballages Mac Donald qui ornent les talus ? Est-ce vraiment la peine de dresser un catalogue de pavillons « île de France » ? La plupart suivent le plan de développement prévu par les architectes du bonheur standardisé : barbecue, parasol, palmier en pot, Trampolino et… piscine pour les plus aisés. Pour me marrer, j’ai commencé à rédiger un Abécédaire du « bien loti ». Je le publierai peut-être un jour ; à voir…
3 Comments so far...
Zoë Lucider Says:
20 mai 2023 at 23:34.
Je suis étonnée de ne pas retrouver le commentaire que j’avais posté. J’y déplorais également l’envahissement. Le village que j’habite voit grossir un lotissement de maisons collées les unes aux autres affichant toutes les mêmes dérivés de ce qu’on rencontre dans les pubs avec des murets et des haies identiques. Evolution vers la laideur même si cela prétend à la beauté.
Paul Says:
22 mai 2023 at 07:54.
@ Zoë – Euh… Comment dire… Le modérateur est ben là mais le premier commentaire il ne l’a pas vu passer sans doute (au milieu de la cinquantaine d’imbécilités quotidiennes, dont je ne parlerai pas). Bref, le modérateur il n’a pas été assez vigilant sans doute car peu de coms se perdent. Ou alors, le modérateur était trop occupé à lire une histoire de « voisine », écrit par une certaine… Zoë… ?
(Ouf, j’ai bidouillé une excuse !)