24 février 2009
Les coureurs de bois, « routards » du XVIIème siècle
Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage; Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire .
Au XVIIème siècle, les Français possèdent trois comptoirs commerciaux au Canada, le long du fleuve Saint Laurent : Québec, Trois Rivières et Ville Marie (future Montréal). Les espoirs des colons ont été déçus dans leur quête d’or ou d’argent dans la province de Nouvelle France. Mais un autre commerce va faire rapidement la fortune des négociants, c’est celui des fourrures, en particulier des peaux de castor très prisées en métropole. Dans un premier temps, ce sont les autochtones, les Indiens, qui se rendent dans les comptoirs et troquent cette précieuse marchandise contre des fusils, de la poudre, des outils, ainsi que des ustensiles de moindre valeur. L’appétit sans cesse croissant des négociants fait que certains d’entre eux cherchent comment augmenter le volume du trafic. L’un des moyens consiste à pousser certains de leurs compatriotes, les plus aventureux, à partir dans les forêts de l’Ouest et du Nord du pays, pour « trapper » le gibier, à la façon des Indiens. Très vite, ces chasseurs blancs reçoivent le surnom de « coureurs de bois » ou de « voyageurs ». Ils étudient le mode de vie et la façon de chasser des Premières Nations et complètent leur formation sur le terrain. Ils utilisent les canots en écorce de bouleau des Indiens pour se déplacer, apprennent à pister le gibier, à fumer la viande… Ils s’habillent comme les autochtones et partagent leur vie dans les campements. Leurs expéditions les entrainent de plus en plus loin des postes de traite et parallèlement à leur activité de chasse, ils deviennent de véritables explorateurs du continent, remontant jusqu’aux Grands Lacs, suivant les vallées du Saint Laurent, de l’Outaouais ou du Mississipi. Leur mode de vie évolue peu à peu au contact des Indiens et surtout de leur mode de vie forestier. L’église catholique voit d’un très mauvais œil cet éloignement de la civilisation et désapprouve les contacts de plus en plus rapprochés de ces « sans toits ni lois » avec des tribus autochtones au comportement jugé souvent libertin. Pire encore, il arrive assez souvent que ces hommes s’unissent avec des femmes indiennes. Les Jésuites ne pardonnent pas cette « indianisation » de mauvais chrétiens et n’hésitent pas à accuser les coureurs de trahir le Roi et de pactiser avec « l’ennemi » indigène.
Au début de l’installation en Nouvelle France, le nombre de ces coureurs de bois est limité. L’administration coloniale fait tout ce qu’elle peut pour essayer de les contrôler, essayant de tenir des registres, de délivrer des patentes, de sévir contre ceux qui ne veulent pas respecter les décrets. Entre 1674 et 1690 par exemple, le trafic est sévèrement réprimé par les représentants du Roi : ceux qui se font prendre en pratiquant ce commerce de façon illégale sont condamnés dans un premier temps à une amende, puis dans un second temps aux galères. Mais cela n’empêche pas le nombre de trappeurs d’augmenter sans arrêt, notamment lorsque les régiments venus de France démobilisent : tous les soldats n’ont pas le goût de devenir paysans ou artisans ; certains préfèrent la vie libre dans les bois et espèrent s’enrichir et s’installer à leur tour comme négociants. Ils passent l’hiver dans les postes de traite puis s’éloignent lorsque le printemps arrive. Ils partent souvent en groupes de façon à s’entraider pour affronter les difficultés du voyage. Certains parcourent jusqu’à deux mille kilomètres de distance pour arriver dans leurs zones de prospection. Plusieurs de ces personnages singuliers ont laissé leur nom dans l’histoire à la suite de leurs travaux d’exploration ou des aventures qui leur sont arrivées, mais la réprobation de l’église a certainement lourdement pesé sur la mémoire collective pendant de nombreuses années. Leur rôle essentiel dans le développement et la richesse de la colonie a pendant longtemps été occulté. Il faut dire également que tous n’étaient pas des anges, loin de là, et que parmi les reproches que l’on peut formuler à leur égard, il y a le trafic d’alcool avec tous les ravages qu’il a causés parmi les Premières Nations.
Plusieurs de ces coureurs célèbres dans l’histoire du Québec, ont eu une destinée assez singulière. Citons par exemple Médard Chouart des Groseilliers… Il arrive en Nouvelle France à l’âge de seize ans. Quelques années plus tard ils se joint à une mission des pères jésuites auprès du peuple des Hurons. Il s’agit là de l’appellation donnée par les Français à ce peuple amérindien qui porte en réalité le nom de Wendat. Notre homme reste dix ans auprès des autochtones avant de s’installer à Trois Rivières et de devenir coureur de bois. En compagnie de son ami Pierre-Esprit Radisson, il explore le Nord de l’Ontario actuel. Il est l’un des premiers explorateurs à avoir atteint le Lac Supérieur. Suite à des déboires avec l’administration française (le gouverneur de Nouvelle France lui confisque une cargaison de fourrures qu’il rapporte de l’une de ses expéditions), il se rend en Angleterre et propose ses services au Roi Charles II. Celui-ci accepte de soutenir ses entreprises et les expéditions suivantes de Chouart des Groseilliers seront à l’origine de la création de la célébrissime compagnie de la Baie d’Hudson. Les Français accusent le coureur de bois de trahison, mais acceptent cependant son retour dans les comptoirs de Nouvelle France. Il change de camp une nouvelle fois et apporte son soutien à ses compatriotes dans leur lutte contre les Anglais. Ce parcours complexe montre à la fois l’indépendance d’esprit des coureurs, se comportant plutôt comme des corsaires, mais aussi la complexité de la situation politique dans les immensités territoriales canadiennes. Médard meurt à Trois Rivières en 1696.
La vie d’un autre coureur de bois mérite d’être rapportée dans cette brève rétrospective. Il s’agit de celle de Louis Jolliet, l’un des premiers explorateurs du continent né au Canada. Cet homme va être à l’origine de découvertes importantes, à la fois vers le Sud-Ouest en descendant le fleuve Mississipi et vers le Nord en direction de la Baie d’Hudson. Rien ne prédispose cependant Louis Jolliet à devenir coureur de bois. Il fait en effet ses études au séminaire, devient clerc puis organiste à la cathédrale de Québec. Il tourne le dos à sa carrière religieuse à l’âge de 21 ans. Après un bref voyage en France, il entreprend de devenir trafiquant de fourrures. Ses capacités et son énergie le font remarquer par Jean Talon, Intendant de la Province, et par Frontenac, gouverneur, qui décident de l’envoyer le long du Mississipi, pour une mission d’observation et de négociation avec les tribus indiennes qui vivent dans cette région. Leur voyage durera presque une année, du printemps 1673 à celui de 1674 et leur permettra d’explorer le grand fleuve jusqu’à mille kilomètres de son embouchure, jusqu’à la frontière de la Louisiane où ils rebrousseront chemin. Les détails de son expédition sont malheureusement mal connus car les deux journaux qu’ils va rédiger seront détruits : le premier dans un naufrage, le deuxième dans un incendie ! Quelques années plus tard, c’est vers la Baie d’Hudson que Jolliet part en expédition sur la demande de Frontenac ; il quitte la Côte Nord du Saint-Laurent et remonte la vallée du Saguenay, le lac Saint Jean, avant de parvenir à la Baie où les Anglais contrôlent la traite des peaux. En 1694, c’est la côte du Labrador qu’il cartographie. Il meurt en 1700, ayant acquis une notoriété internationale en tant que premier géographe de la Nouvelle France.
Au cours des siècles suivants, lorsque la Province sera passée sous domination anglaise, la fonction des coureurs de bois et la considération dont ils jouissent va considérablement évoluer et la description que j’ai donnée de leur situation sociale au XVIIème n’est plus tout à fait valable pour la suite de l’histoire. Au début du XXème siècle, le coureur de bois devient même une sorte d’emblême pour les Canadiens francophones qui peinent à se faire une place dans la société anglophone. Les « routards » du XVIIème deviennent alors le symbole d’une rébellion contre l’ordre établi. Lorsque l’on sait que l’un des « apôtres » de cette réhabilitation, Lionel Groulx, est un chanoine, on se rend compte du fait que l’Eglise Catholique n’hésite pas à virer de bord lorsque ça l’arrange ! Je vous conterai un de ces jours la singulière légende de la « chasse-galerie », un pacte que les coureurs peuvent passer avec le diable pour voyager dans les airs à bord d’un canot doué d’étranges pouvoirs. Ce sera l’occasion de réactiver les « histoires d’Oncle Paul » qui sommeillent un peu en ce moment ! Cela complètera ce bref portrait des coureurs et permettra d’apprécier l’importance de la place qu’ils occupent dans la mythologie québécoise.
Pour la prochaine chronique nous serons sans doute « relocalisés » dans la Principauté dauphinophone du Charbinat. Comme le disait ma célébrissime grand-mère : « Février aux tisons, Pâques au balcon » !
2 Comments so far...
fred Says:
25 février 2009 at 10:10.
euh sans vouloir contredire ta célébrissime grand mère, ne doit on pas dire plutôt :
« février aux tisons, Pâques aux rabannes » ? (c) P.Desproges
Philippe Says:
26 février 2009 at 16:24.
Février au tisons, viande des Grisons? (c) moi