8 mars 2009
L’aubépine, porte du royaume souterrain des fées
Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres .
S’il est des arbres et des arbustes qui jouent un rôle important dans la mythologie, l’aubépine (épine blanche) en fait indiscutablement partie. Sa floraison au mois de mai, au cœur du renouveau printanier, n’est pas étrangère à son succès ; le fait que ses fleurs soient d’une blancheur immaculée joue aussi son rôle. L’aubépine a largement débordé le cadre de toutes les mythologies anciennes, celtes, nordiques, germaniques… pour investir l’ensemble de la tradition orale fantastique. Asseyez vous au pied de cet arbuste lorsque s’ouvrent les premières fleurs, et le vœu que vous formulerez sera inéluctablement réalisé, à moins que les fées qui dorment dans le monde souterrain aient été outragées par l’une de vos actions. Vous aurez fort à faire pour vous réconcilier avec elles ; la meilleure solution c’est sans doute de leur rendre visite et de vous expliquer de vive voix. Ce n’est pas difficile : le creux qui s’ouvre entre les racines, là, devant vous, au pied de la vieille aubépine centenaire est certainement l’une des entrées de leur domaine mystérieux. Agrandissez le trou, passez-y la tête et… advienne que pourra. Je vous conseille auparavant de prendre quelques leçons de savoir vivre féérique car ces belles dames sont assez susceptibles. Si vous n’avez point le sésame qui vous permettra de rentrer six pieds sous terre, vous pouvez vous contenter de rapporter un rameau bien fleuri de l’arbuste et de le placer à côté de votre pas de porte : le mauvais sort s’éloignera de votre demeure. Ne vous avisez cependant pas de faire un quelconque bouquet et de le placer à l’intérieur, sur la table du salon, vos branchages perdraient alors tout pouvoir magique. De plus, l’aubépine a un défaut : l’odeur de ses fleurs n’est pas très agréable. Les branches fleuries avaient des usages très variés : lors de la traditionnelle fête des Mayes (Mays ou Mais) dans certaines régions, les jeunes gens cherchant fille à marier fixaient divers rameaux d’arbustes sur les façades des maisons. Le choix botanique ainsi que la taille de l’arbuste choisi avaient une signification particulière. La présence d’une branche d’aubépine avait un sens différent selon les endroits. Soit elle signifiait que la jeune personne habitant la demeure devait être fréquentée avec circonspection car elle avait un caractère « de cochon » : acariâtre, grincheuse, « faiseuse d’histoires ». Soit elle servait au repérage pur et simple et indiquait qu’il y avait, en ce lieu, jeune fille bonne à marier. On peut approfondir cette histoire en allant, par exemple, faire un petit tour à cette adresse : http://adinfer.free.fr/Tradition.htm
Plutôt que d’essayer de balayer toutes ces belles histoires qu’elle considérait comme un fatras de propos païens ou démoniaques, l’église catholique a préféré les intégrer à sa propre mythologie. L’aubépine a alors acquis une symbolique religieuse dans toute la chrétienté, ce qui a permis à certains spécimens d’échapper à la vaste campagne d’éradication entreprise par les Chrétiens au IVème siècle de tous les arbres sacrés. Et il y en avait ! – on peut, à ce sujet, consulter utilement le livre de Jacques Brosse, « L’aventures des forêts en Occident ». Les Romains considéraient qu’elle était associée à Maïa, la mère d’Hermès, fêtée en mai. Ce mois étant celui de Marie pour les Chrétiens, le changement d’attribution n’a pas été trop difficile. Un bon petit miracle allait arranger les choses. Un texte ancien raconte que le bon vieux Joseph d’Arimathie débarqua un jour en Angleterre, transportant le Graal dans ses bagages. Il planta son bâton de marche dans le sol et à l’endroit même où il accomplit ce geste, non loin de l’abbaye de Glastonbury, poussa un magnifique buisson d’aubépine ayant la particularité de fleurir deux fois l’an : au moment de la fête de la nativité et au mois de mai. La vierge aussi mit la main à la pâte, selon une autre légende originaire de l’Est de la France : faute de place pour étaler son linge à sécher au soleil, elle plaça un drap sur un buisson d’aubépine, un vilain buisson qui, avant cette manipulation généticobotanique, avait la particularité de ne point fleurir. Lorsqu’elle revint sur les lieux pour ramasser son linge, l’arbuste s’était paré d’une magnifique collection de fleurs blanches à l’odeur singulière… Une vierge toute de blanc vêtue mais avec les mains vertes… Les Bretons, qui cherchent toujours à se singulariser, n’en font pas un arbre dédié à la vierge, mais au contraire aux sorcières. Une simple histoire de foudre qui, selon les croyances populaires, épargnerait toujours cet arbuste… Dans d’autres régions on est tout aussi convaincu des propriétés protectrices de l’aubépine, mais sans avoir besoin de l’associer au pouvoir des sorcières ! Mais revenons à l’épine blanche de Glastonbury, car l’histoire mérite d’être contée un peu plus en détails.
L’abbaye de Glastonbury se situe dans la région du Somerset en Angleterre. Sa construction est certainement très ancienne mais il est difficile d’en fixer la date. Selon la légende, une première communauté de moines se serait installée sur cet emplacement après le passage de Joseph d’Arimathie, l’horticulteur de génie. Une église en pierre aurait été construite en 712, ce qui en ferait l’un des lieux de cultes chrétiens hors sol les plus anciens au monde, les croyants de cette religion ayant, jusqu’alors, utilisé plutôt des sanctuaires souterrains. L’aubépine de Glastonbury aurait prospéré jusqu’au milieu du XVIIème siècle, répétant chaque année sa double floraison miraculeuse. Elle aurait été brûlée par les troupes d’Olivier Cromwell, lors de la première révolution anglaise, dans le cadre d’un vaste programme de destruction de tous les arbres sacrés. En fait l’aubépine a continué à vivre car elle avait essaimé : un greffon notamment a été réalisé et replanté sur les terres de l’ancienne abbaye ; il a survécu jusqu’en 1991 et continuait à fleurir deux fois. Une coutume locale voulait que l’on envoie un rameau couvert de bourgeons à la Reine d’Angleterre au moment de Noël. Glastonbury abritait également une fort belle bibliothèque qui eut des problèmes sérieux lors de l’incendie de 1141, et dont les ouvrages furent dispersés, lorsque les biens de l’abbaye furent saisis et vendus par la couronne britannique en 1539, comme ceux de la totalité des communautés catholiques de l’île.
L’une des plus vieilles aubépines de France se trouve à Saint Mars sur la Futaie dans le département de la Mayenne. Elle serait âgée d’un millénaire environ et mesurerait 9 m de hauteur. La croissance de l’arbuste est très lente, ce qui explique l’excellente qualité de son bois. Le grain, particulièrement fin, est apprécié des tourneurs, bien qu’il soit difficile de se procurer des pièces de grandes dimensions. La veine du bois est peu visible et très peu colorée. Sans rentrer dans les détails complexes de l’étude botanique, sachez qu’il existe deux variétés d’aubépine : l’épine blanche ou aubépine monogyne (crataegus monogyna) dont la fleur possède un seule style, et l’aubépine à deux styles (crataegus laevigata). L’arbuste a une particularité qui est un défaut (pour les uns) et une qualité (pour les autres) : elle possède, sur ses rameaux, des piquants redoutables. Les branches ayant tendance à pousser touffues et à s’entrelacer, les paysans, autrefois, l’ont souvent plantée en limite de leurs champs ou de leurs terres cultivées, soit pour empêcher les prédateurs terrestres d’envahir leurs champs, soit pour limiter les fugues des animaux domestiques. L’aubépine et le prunelier (doué des mêmes propriétés piquantes) sont en quelque sorte les ancêtres du fil de fer barbelé ! La recherche du confort (!) et surtout le développement des clôtures électrifiées (moins envahissante) ont eu pour conséquence l’abattage de nombreuses haies d’aubépine notamment lorsque les ingénieurs agronomes sont partis en campagne, dans les années 1960-80, contre les paysages de bocage. L’ardeur destructrice de ces chevaliers du remembrement s’est un peu calmée, mais notre arbuste piquant bienaimé a maintenant à faire face à un autre adversaire redoutable, une maladie, le feu bactérien, qui les fait disparaître peu à peu dans certaines régions de France. Sauf brûler les arbres morts, il est extrêmement difficile de faire front à ce fléau contre lequel nul traitement vraiment efficace n’est connu. Les aubépines, compte-tenu de leur longévité, ont aussi souvent servi de limites cadastrales, permettant de borner parcelles, paroisses ou territoires communaux. Ce sont souvent des arbustes ayant eu cet usage que l’on retrouve parmi les « vénérables » ; plantée en haie serrée, l’épine blanche a une durée de vie moindre.
Les fruits rouges de l’aubépine ne sont guère appréciés de nos jours bien qu’ils soient comestibles. Il faut dire qu’il faut déjà se munir d’une cotte de mailles et de gants de boxe pour les ramasser… Leur goût est assez fade et leur consistance plutôt farineuse. Si les humains les boudent un peu, ce n’est pas le cas des oiseaux qui en font de véritables festins pendant les mois d’hiver. Dans les périodes de famine, nos ancêtres n’étaient pas autant « fine gueule » : les senelles ou « poires à bon Dieu » étaient récoltées massivement ; on les faisait sécher et on les passait à la meule. La farine obtenue venait compléter, et parfois même suppléer à la farine de froment ou de sarrasin que la récolte médiocre n’avait pas permis de stocker en quantité suffisante pour tenir jusqu’au printemps. Le retour en force des préparations « naturelles » redonne une place modeste à cette baie rouge dans la pharmacopée proposée aux adeptes de la phytothérapie. Les feuilles séchées de l’Aubépine sont sans doute plus intéressantes sur le plan médical. On a découvert au XIXème siècle que la plante avait des propriétés remarquables dans le traitement des affections cardiaques. Les substances présentes ont une action positive sur les problèmes d’arythmie, de tachycardie ou de palpitations. L’infusion est calmante et agit notamment dans le cas d’anxiétés persistantes. Elle n’agit pas comme un somnifère mais facilite la phase d’endormissement en contribuant à une accalmie des tensions nerveuses.
Acte criminel s’il en est, j’ai coupé cette semaine une belle aubépine qui poussait dans la haie de mon champ, non loin de la source. Par chance pour moi, les elfes des bois avaient sans doute prévenu les fées de cette lâche agression de la part d’un humain muni d’une scie mécanique vrombissante et malodorante. Les petites créatures ne se sont pas vengées et ne m’ont pas chatouillé la plante des pieds ces dernières nuitées. Il faut dire que j’ai pris l’engagement secret de garder le plus possible de morceaux du tronc. L’un, une fois raboté, a rejoint ma collection d’échantillons de bois locaux, une collection qui s’enrichit d’années en années. D’autres serviront sans doute à des amis tourneurs. Leur diamètre n’est pas énorme, mais un artiste, adroit, pourra certainement en tirer quelques verres ou quelques coupelles. A moins que ce ne soit moi qui me lance dans le tournage. Après tout, le temps que le bois sèche, j’aurais peut-être acquis quelques rudiments. Dernier élément de ma plaidoirie adressée aux fées : l’arbre était bien malade… Les poneys du voisin avaient dévasté ses branches et ravagé son écorce… Je n’ai procédé qu’à une euthanasie permettant de sauver au moins le bois !
NDLR : la photo de l’arbre et celle des baies proviennent d’un site néerlandais qui propose une documentation photographique d’excellente qualité sur l’aubépine et sur les animaux associés (insectes pollinisateurs et parasites). La photo de l’abbaye de Glastonbury provient de Wikipedia. Celle du rameau en fleurs provient du site québecois « Flore laurentienne« , intéressant à consulter pour toutes sortes de végétaux.
3 Comments so far...
Lavande Says:
9 mars 2009 at 10:21.
La feuille a les honneurs du « vent des blogs » (j’adore ce jeu de mots) de Zoë Lucider, sa rubrique à brac dominicale des blogs qu’elle aime bien.
Clopin Says:
11 mars 2009 at 19:58.
Si tu passes par Beaubec, outre ton accordéon, n’oublie pas un morceau de ton aubépine pour te faire la main sur mon tour !!!
Paul Says:
11 mars 2009 at 20:39.
Pour l’accordéon, tu prends des risques ! Si tu as suivi l’actualité récente et néanmoins québecoise, c’est un engin de destruction massif, une cachette pour explosifs violents. Quant à l’aubépine, ma foi, je pourrai toujours tourner un manche de hache ou de hallebarde ! Ça me servira pour mon prochain passage de frontière !