27 septembre 2010
Petite gazette transylvaine
Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage .
Où il est question de Sibiu et de son musée ethnographique de plein air
Il est de nombreux sujets dont j’aimerais vous parler tant les charmes de ce pays, la Roumanie, sont grands. Pour ceux qui prennent le train en marche – il y en a toujours ! – je voudrais rappeler que la fine équipe de la « feuille charbinoise », en l’occurence la famille Baluchon, a jeté son dévolu depuis quelques temps, sur le pays de langue latine le plus à l’Est de l’Europe. N’ayant point l’intention de parcourir l’ensemble de la Roumanie (le pays est grand comme la moitié de la France) nous avons choisi comme terrain d’opération principal, la Transylvanie et son pourtour montagneux, avec une incursion en Moldavie.
J’aimerais vous parler par exemple de Sibiu, la première ville vraiment jolie dans laquelle nous avons fait escale, grâce aux surprises du Couchsurfing auquel nous avons recours de temps à autre (pour l’explication de ce terme barbare, on peut se reporter avec grand profit, à l’étude publiée dans ces colonnes, il y a un an environ, par notre expert québecois en la matière). Le fait de bénéficier d’un hébergement chez un habitant, et surtout d’être gentiment conseillé sur ses choix, permet de pénétrer plus facilement dans le cœur d’une ville. A Sibiu, comme à Budapest, Vienne, et ailleurs, le charme a opéré. Nous sommes arrivés dans le centre de la ville par un parcours sinueux dans les vieux quartiers, qui nous a permis de bénéficier d’un véritable effet de surprise quand nous avons débouché, par un passage voûté, sur la grande place de la cité. Dès le premier coup d’œil, nous avons été impressionnés par la qualité du travail de réhabilitation qui a été effectué. Il faut dire que Sibiu a été capitale européenne de la culture en 2007 et que les subsides sans doute abondants, versés par l’Union européenne, ont permis de mener à bien des chantiers particulièrement onéreux. En tant que pays « pauvre » de l’Union, la Roumanie bénéficie d’une aide importante au développement de la part de Bruxelles. Les fonds sont parfois employés de façon assez ahurissante : un programme d’aide au tourisme rural permet par exemple de construire des hôtels en pleine campagne, ou des complexes touristiques, qui ne sont fréquentés que par corneilles et corbeaux. D’autres fonds aident à la création de réserves botaniques ou animalières qui sont pratiquement inaccessibles. Vu de l’extérieur par exemple, il semblerait que des fonds permettant de créer un service de ramassage et de tri des ordures seraient largement plus utiles à la protection de la nature, mais nous ne sommes point des « experts » en la matière. En tout cas, pour Sibiu, les fonds européens ont permis de donner un sacré coup de pouce à la ville qui possède un patrimoine architectural important.
La ville a été créée de toute pièce au XIIème siècle par un roi Hongrois qui a encouragé l’émigration dans le secteur de nombreux colons allemands. L’objectif du monarque était de constituer un rempart défensif contre les incursions de plus en plus nombreuses des Tatars qui menaçaient son royaume. Par la suite, au cours de son histoire, la ville a été, à de nombreuses reprises, assiégée par les Turcs, mais elle a su conserver son indépendance et développer une importance commerciale considérable. C’est au XVIIIème siècle qu’ont été construits nombre de bâtiments de style baroque qui ornent ses rues et qui lui ont fait attribuer le surnom de « petite Vienne ». On découvre ces façades sculptées, peintes de couleurs pastel, lorsque l’on se promène dans les artères principales. Curiosité architecturale de la ville, ces lucarnes, sur les toits, qui semblent vous surveiller tout au long de vos déambulations. Une petite portion des remparts est conservée ainsi que quelques tours portant le nom des différentes corporations artisanales de la cité.
Sibiu est une ville où il est agréable de se promener, plus encore de prendre le temps de siroter une bière à la terrasse des nombreux cafés qui bordent la petite ou la grande place. C’est ce que nous avons fait, en discutant longuement avec notre hôte des (més)aventures de la Roumanie du XXIème siècle, depuis l’état de son réseau routier, jusqu’aux malversations nombreuses qui pénalisent son développement comme celui de beaucoup d’autres anciens pays du bloc « communiste ». Nous avons également parlé de sujets plus réjouissants comme les écrivains et artistes roumains nombreux et célèbres aussi hors du pays. Dans les environs de Sibiu se trouve par exemple Rasinari (désolé pour les inexactitudes orthographiques liées à des problèmes de clavier) qui est le village natal du philosophe Emil Cioràn. Ses écrits, d’un pessimisme caractérisé, sont en vogue dans les milieux intellectuels français ces dernières années. Cioràn a vécu une bonne partie de sa vie en France où il a émigré pendant la deuxième guerre mondiale. Ses livres ayant été interdits par le régime communiste roumain, Cioràn n’est pas retourné dans son pays. A Paris, il a eu l’occasion de fréquenter des artistes comme Ionesco (autre Roumain célèbre), Michaux ou Beckett. Il est mort en 1995. Ses livres les plus connus ont été écrits en langue française.
Nous avons consacré une demi-journée, suivant les conseils de notre hôte, à visiter le passionnant musée de plein air qui se situe à quelques kilomètres de Sibiu. Le parc Astra de Dumbrava abrite une immense collection ethnographique et technologique : plusieurs centaines de maisons de différentes régions de Roumanie ont été réimplantée dans ce lieu, au cœur d’une forêt splendide. Ce musée est le deuxième du même genre, par ordre d’importance, en Europe. Il nous rappelle celui que nous avons visité à Graz en Autriche, il y a deux ans, et déjà trouvé impressionnant. Au lieu d’être regroupés par zone géographique, comme c’était le cas à Graz, les différents bâtiments sont regroupés par catégories professionnelles. Un quartier est consacré aux potiers, un autre aux scieurs, un autre aux tisserands… Le monde agricole n’est pas oublié, traité là aussi par groupes de productions : raisin, pommes, céréales, miel… et leurs transformations.
Plus que sur le côté folklorique, pourtant présent, l’accent est surtout mis sur l’étude des techniques anciennes et c’est passionnant. On peut ainsi dresser une sorte d’inventaire des différents usages de la roue à aube, et surtout des dispositifs techniques qu’elle entrainait selon les régions, l’époque et les nécessités professionnelles. La partie consacrée aux moulins, très exhaustive, permet de se faire une idée précise de l’imagination des anciens et du parti qu’ils savaient tirer de la moindre ressource énergétique. Les ensembles techniques présentés sont souvent en état de marche et, même s’ils ne fonctionnent pas, on peut se faire une idée précise de la façon dont ils opéraient. L’union européenne (encore elle) a financé la présentation de plusieurs collections thématiques tout aussi passionnantes : ensemble de moyens employés pour conserver les denrées alimentaires, ou collection d’engins utilisés pour récolter, transporter, transformer… les différents produits du monde agricole. Les subventions permettent également la rénovation d’un certain nombre de bâtiments déjà anciens, l’ajout de nouvelles constructions, et un agrandissement du musée sous la forme d’un bâtiment permettant de conserver les archives les plus précieuses.
Je n’ai pas compté les bâtiments et leurs dépendances : il paraît qu’il y en a au moins six cents. Plusieurs dizaines d’entre eux sont meublés et équipés, en fonction de l’usage qu’ils avaient et les collections d’outils et d’objets domestiques présentés sont fort intéressantes. D’autres groupes de bâtiments ne se visitent que de l’extérieur, et l’attention se porte principalement sur les détails architecturaux. En plus des salariés, un nombre important de retraités assurent la maintenance du parc, et font parfois, en été, une démonstration en public de leur savoir-faire particulier. Nous n’avons pas eu cette chance. L’un des bâtiments exposés les plus intéressants sur le plan artistique est une petite église en bois, provenant de Detea, dont toutes les parois intérieures sont ornées de peintures réalisées à partir de 1672. La richesse de la décoration est telle que l’on croirait lire une bande dessinée contemporaine consacrée à l’explication des principaux chapitres de la bible. Les photos sont bien entendu interdites pour préserver les couleurs, extrêmement fragiles. Dans tout ce qui est musée, en Roumanie, les photos sont généralement interdites. Lorsqu’il est possible d’en prendre, le droit d’usage de l’appareil photo est souvent soumis à une taxe supplémentaire au billet d’entrée. C’est le cas au Musée Astra de Dumbrava. C’est la première fois que nous étions concernés par cette taxe singulière et cela nous a fait un peu sourire, puis nous nous sommes habitués au fil de nos visites. Mieux vaut ne pas passer outre cette réglementation touristique particulière : très souvent les gardiens veillent, et leur intervention est souvent plutôt crispée. La réglementation, parfois subtile en certains lieux, distingue photo et vidéo, cette dernière étant largement surtaxée…
Quand nous avons quitté le Musée de plein air, il n’est pas peu de dire que nous en avions « plein les pattes » : trois heures de marche au minimum ; encore avons nous accéléré sur la fin de notre parcours. Ce qui est sûr c’est que ce parc me paraît incontournable à visiter pour quiconque veut se faire une idée des traditions roumaines. Il est difficile de comprendre le fonctionnement d’un pays et le mode de vie de ses habitants si l’on boude son passé. Le lendemain, nous étions au fameux château de Bran (cf article sur Dracula et Vlad III l’empaleur, paru précédemment dans « la Feuille »), mais ceci est une toute autre histoire et fera l’objet d’une autre parution de cette gazette de voyage.
6 Comments so far...
Dexter Says:
27 septembre 2010 at 16:52.
bonjour,
j’aimerais, si ça ne dérange pas, laisser chez vous un message personnel à Lavande, pour lui dire que mi-octobre, au clos des Capucins à Meylan il y a des rencontres sur la viole de gambe, avec des présentations de luthiers, et un concert de paolo gandolfo le samedi 16 à l’église saint victor :
http://www.meylan.fr/uploads/Document/48/WEB_CHEMIN_9810_1284730054.pdf
voilà, merci et bonne continuation pour votre blog, j’espère que vous vous êtes pas transformés en vampires au cours du voyage, de toute façon vous ne le diriez pas vu que les vampires ne disent jamais qu’ils sont vampires, en général quand on l’apprend c’est que c’est déjà trop tard, ces histoires de vampire c’est super flippant.
Paul Says:
27 septembre 2010 at 18:34.
@ Dexter – Sûr qu’on ne le dira pas… En tout cas, la brume au petit matin, dans les forêts de Transylvanie, quel plaisir !
Lavande Says:
27 septembre 2010 at 21:58.
Quel plaisir que ce petit message de Dexter dont je vais mettre à profit les conseils.
C’est sûr que la feuille charbinoise est un endroit plus tranquille que certains autres blogs pour échanger ce genre d’info.
A part ça il semblerait que la grand place de Sibiu vous a vraiment beaucoup plu, doublement plu, oserais-je dire?
Pour les amateurs de grands voyages et de superbes photos, je conseille aussi le site du fiston, alias le Québécois, qui au volant de son « pourquoi pas? » est en train de faire un voyage assez fabuleux aux USA et nous en fait profiter abondamment (lien à droite dans « notre petit monde »).
Paul Says:
28 septembre 2010 at 07:12.
@ Lavande – En fait, le rythme de publication de ces chroniques est bien trop lent pour pouvoir rendre compte de tous les lieux fort intéressants que nous découvrons. Depuis Sibiu, que nous avons beaucoup appréciée effectivement, nous avons aussi découvert Brasov, Sighisoara… quartiers périphériques bétonnés souvent un peu rebutants, mais centres villes historiques bien préservés et pas encore trop submergés par Benetton et ses cousins, ou par les vendeurs de téléphones. Depuis deux ou trois jours nous passons de monastère en monastère… La feuille charbinoise va-t-elle se convertir à la religion orthodoxe ? La réponse dans les semaines à venir !
Floréal Says:
30 septembre 2010 at 21:16.
Une incursion en Moldavie? Le genre d’endroit dont on ne sait pas grand chose. ça sera certainement très intéressant de vous lire.
Le roumain n’est pas très différent de l’italien, que les roumains apprennent très vite, et les italiens arrivent à comprendre un peu le roumain, qui pour moi par exemple est plus compréhensible que les dialectes italiens de lombardie-vénétie ou du sud.
Pour des français, ça ne devrait pas non plus poser trop de problèmes de prononciation.
Paul Says:
1 octobre 2010 at 06:37.
@ Floreal – Moldavie, oui, mais la province roumaine, pas la République de Moldavie qui est passablement fermée au tourisme et dont les attraits me paraissent limités. Le franchissement de la frontière est laborieux et nous n’irons pas cette fois. Les pensions en pleine campagne me paraissent montées par des sociétés roumaines : hommes d’affaires ayant flairé la bonne opération et maitrisant parfaitement les rouages de l’administration, utiles pour obtenir des subventions européennes. Une corruption importante règne au niveau de l’Etat : tous les Roumains avec qui nous avons discuté nous l’ont dit. Le soutien des Etats Unis à l’adhésion de la Roumanie à l’OTAN a par exemple eu, comme « condition collatérale » le fait que le chantier de la première grande autoroute du pays soit confié à une société… américaine. Depuis, le coût du chantier a atteint un niveau faramineux et l’autoroute qui devrait relier Bucarest à la frontière hongroise n’est toujours pas achevée…