13 décembre 2011
Six soucis, deux marguerites, un trèfle incarnat… décembre ?
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .
Propos égoïstes et décousus au fil du temps et des copeaux…
C’est assez surprenant de rapporter un tel bouquet du jardin, par une fin d’après-midi ensoleillée, presque à la mi-décembre. Pourtant ces dernières fleurs coupées trônent bien là, dans un verre, sur la table de la salle à manger. Elles ont l’air un peu piteux ces quelques sauvagines, mais leur apparence chiffonnée est plutôt due aux récentes journées de pluie, qu’aux cristaux de gel, peu nombreux, qui n’ont fait que pointer leur petit bout de nez tout rouge au soleil levant de novembre. Pourtant, seules les espèces les plus courageuses ont résisté à cette première offensive du général hiver. Dahlias, bégonias et cosmos, se sont hâtées de quitter le devant de la scène : demoiselles fragiles, elles n’apprécient guère les coups de griffe du gel blanc et la descente du thermomètre en dessous du fatidique zéro. Bien que l’on apprécie grandement le spectacle des jaunes, des bruns et des rouges, qu’ont arboré les feuilles pendant plusieurs semaines, on a déjà très envie, alors même que l’hiver n’a pas installé ses quartiers, de flirter avec le mauve, le jaune vif, le bleu, le rose, toute la palette de couleurs que sont capables de revêtir les fleurs printanières. Ce vert tendre unique qui colorise les prairies au mois d’avril ; ce bleu tantôt éblouissant, tantôt laiteux, des ciels printaniers ; vils profiteurs, on l’espère déjà. Le solstice n’est plus très éloigné. Pourtant on peine à imaginer que les jours vont bientôt rallonger alors que l’on a à peine mis le bout du nez dans les froidures hivernales. Il y a une procédure temporelle à respecter : les colchiques, le liquidambar rougeoyant, le cache-nez rouge du bonhomme de neige… avant les primevères, les bourgeons du bouleau et les lilas en fleurs. Notre monde est bien assez chamboulé comme ça !
Le raccourcissement sévère des jours me pousse à dormir une heure de plus, mais il n’a pas trop freiné mon ardeur au travail et j’ai profité de ces dernières semaines pour me remettre à l’ouvrage sur la machine à bois. Le vrombissement de la raboteuse est moins doux pour les oreilles que le cliquetis du clavier de l’ordinateur, mais le résultat obtenu est à la hauteur du labeur fourni. Lorsque la pellicule de bois altérée par le séchage disparait sous la lame du rabot, l’apparition de la veine colorée d’une planche de douglas ou de châtaignier est une féérie sans cesse renouvelée pour les yeux. On ne se lasse pas de ces dessins fantastiques : virgules blanches du chêne, ombres colorées de certains fruitiers ou arabesques dorées de l’épicéa. Le grand art de l’ébéniste dans les temps anciens consistait d’ailleurs à tracer ses pièces en dépliant les panneaux de bois dans la bille qu’il avait choisie de travailler. En faisant attention à bien faire coïncider les tracés, on obtenait ainsi, pour les panneaux d’armoires ou de buffets, de magnifiques symétries, doubles et parfois même quadruples dans les ouvrages les plus luxueux… Ayant cessé pratiquement toute activité de menuiserie pendant mes dernières années de labeur salarié, je n’en suis point encore à effectuer de telles prouesses. Je révise mes fondamentaux et je ne veux pas prendre le risque de massacrer sottement des bois aussi précieux que les fruitiers.
Je me contente donc de laisser libre cours à mon imagination, en improvisant à partir de matériaux plaisants à l’aspect mais de moindre valeur marchande. Chaque chose en son temps : l’apprenti tisserand ne commence pas son travail avec du fil de soie ! J’ai rapporté de nos derniers voyages pas mal de photographies de meubles populaires, glanées au fil de nos visites de musées, en Slovénie, au Portugal, en Roumanie… J’aime les formes parfois complexes et les assemblages simples de ces meubles de campagne : présentoirs à vaisselle, étagères murales, coffres à linge.. Ils ne sont pas d’une facture trop élaborée mais leurs silhouettes traduisent souvent l’imagination créative de ceux qui les ont conçus. Il ne s’agit pas de meubles d’apparat mais d’objets utilitaires simples dédiés à la vie courante. En novembre, je me suis amusé à reproduire (à ma façon) un petit vaisselier roumain dont l’allure générale me plaisait beaucoup. Fier de mon succès, comme les enfants, j’ai réédité l’opération, en créant un second vaisselier un peu plus grand et un peu plus complexe que le premier. Les murs de la salle à manger n’étant pas sans limites, je pense que je vais arrêter là cette expérience. L’idée d’un coffre me titille de plus en plus. De belles planches de platane n’attendent qu’à être mises en forme…
Il y a des soirs où je me demande si je n’ai pas mis au point la recette de l’élixir de mon bonheur personnel… Le problème c’est que, comme pour beaucoup d’entre-nous, je ne maitrise pas tous les ingrédients de cette étrange mixture. De surcroît, j’ai parfois l’impression que les éléments à incorporer dans la préparation ne sont pas toujours les mêmes : certains fonctionnent un jour mais pas le lendemain… Prenez le bouquet du début de l’histoire par exemple… Je suis certain que ramassé à un autre moment de l’année, dans d’autres conditions, avec d’autres personnes dans mon entourage, il n’aurait guère eu plus d’importance qu’une botte d’oignons ou de carottes. Et pourtant… Ce jour du mois d’août où je suis revenu sous le hangar, derrière la maison, avec ma brouette remplie à ras-bord de gros oignons jaunes bien rebondis, j’en étais sacrément fier ! En tout cas, ne comptez pas sur moi pour vous octroyer gracieusement ma recette et cela pour plusieurs raisons : outre le fait que certains ingrédients ont un fonctionnement plus ou moins aléatoire – en tout cas chaotique – d’autres, parmi les plus importants, sont plus ou moins secrets. Il y en a bien certains que je révèlerais à la rigueur contre quelques caisses de Pacherenc de Vic Bilh vendanges tardives (eh oui, quelques caisses, car dans ce trafic-là, les taxes perçues par ma compagne d’aventures sont terribles) ; mais il en est d’autres dont je tairai le nom pour tout l’or du monde. Il y a également un autre motif sérieux à mon silence partiel : s’il a besoin de quelques gouttes d’un élixir mystérieux, le bonheur, comme la vie – j’ai eu l’occasion de m’en apercevoir – ne tient souvent qu’à un fil. Ce n’est pas un hasard si l’on associe bonheur avec des mots comme souffle, gonfle, inespéré, bref, étreinte, fugitif ou intense. Tous ces termes ont un lien avec la brièveté du temps qui passe… »Un gros ballon de joie » comme disait Béranger dans son « Monument aux oiseaux », une chanson à laquelle je pense immanquablement dans ce genre d’instants.
Me voilà bien éloigné des copeaux et du trèfle incarnat, mais bien dans l’esprit du cocon douillet que je me/nous mitonne pour affronter les grandes froidures. Un nid douillet après tout, ça se fabrique bien avec des brindilles, des copeaux, du foin odorant et quelques plumes de duvet… Pour gagner une étoile ou deux, il ne manque à ce gîte que le couvert. Là aussi, quelques ingrédients me viennent à l’esprit, mais il y en a bien d’autres : un panier rempli de flacons vénérables pour l’extase du palais, une étagère bien garnie de livres pour le confort des yeux, quelques bonnes pommes de terre au four avec une cuillerée de crème, une grosse tranche de tomme des Bauges sur du pain de campagne croustillant… Ces deux dernières propositions par pure scélératesse pour séduire vilement le lecteur innocent…
Coup de tonnerre ravageur dans cet océan de quiétude ! Le lutin malin qui préside aux destinées de ce blog satanique me rappelle à l’ordre : « mais dis donc mon gars : tu ne peux t’arrêter en chemin et livrer cette chronique telle quelle, sans enluminure. Il va falloir illustrer ce charabia pour le rendre un peu moins hermétique. » Grave question… De quoi se mêle-t-il ce gars-là ? J’ai bien quelques images adaptées dans ma hotte informatique : le fameux bouquet, même s’il est peu photogénique, le vaisselier roumain, mon vaisselier, le gros ballon de joie, un flacon d’élixir, la lumière du soleil dans une goutte d’eau… que sais-je ? La nuit porte conseil dit-on, à moins que ce ne soit la lune… Donc on verra demain au petit jour ! En attendant, « Je m’assieds dans le terrain vague – Là où la lune fait pousser des forêts… » Sur l’étagère d’une vieille bibliothèque, j’ai trouvé un exemplaire séculaire des élucubrations kropotkiniennes… A moins que, en ces périodes de pleine lune irradiante ou de solstice approchant, je ne me replonge dans les arcanes singulières de ce « Lucifer et l’enfant » de l’étrange écrivaine anglo-irlandaise, Ethel Manin. Quel que soit le caprice du dernier instant, ce sera une manière de prolonger une veillée paisible, sous la couette comme il se doit. Plus tard, sans doute, je m’intéresserai à nouveau à ce monde où l’on se gargarise de morale pour mieux la profaner chaque jour !
5 Comments so far...
Zoë Lucider Says:
14 décembre 2011 at 14:39.
Délicieux ! Le bonheur des uns peut faire le bonheur des autres, même si la recette reste unique pour chacun.
Paul Says:
14 décembre 2011 at 15:12.
@ Zoë – Donc ce n’est pas trop égoïste ! merci !
fred Says:
15 décembre 2011 at 10:32.
ha ! l’heureux z’homme !
la Mère Castor Says:
16 décembre 2011 at 17:09.
Charmant billet sur le bonheur, ce n’est pas si courant de savoir le reconnaitre et l’apprécier.(François Béranger a passé les dernières années de sa vie à Sauve)
Paul Says:
16 décembre 2011 at 17:30.
@ Mère Castor et @ Fred – Merci à tous les deux.. Heureuzomme je serais presque si, avec ce temps archi-humide, je n’étais pas réduit à me battre contre mon dos qui ne manque pas de décompter chaque goutte de pluie ! L’inactivité extérieure un peu forcée n’arrange pas la situation.
Pour François Béranger, j’ignorais que c’était encore (!) une des célébrités de Sauve…