15 août 2012

Rien à faire, je n’aime pas le dimanche

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .

La saga des chroniques du schtroumpf grognon continue : après le poisson et juste avant les cravates (ah bon c’est prévu ?), les technocrates et le Nouveau Centre, on s’attaque au dimanche. Aucun respect, même pour le sacro-saint repos dominical, ce jour sacré où Monsieur astique les chromes de sa Béhèmedoublevé toute neuve, pendant que Madame s’active derrière les fourneaux, histoire de satisfaire les goûts dépravés de Bon papa et Bonne maman, « qui n’aiment pas la cuisine arabe mais raffolent du Tajine aux pruneaux ». Entre le footing du matin, l’entretien de la bagnole, l’apéro, et la course de formule 1 de l’après-midi, il n’y a plus guère de place pour le curé – mais ce qui compte, après tout, c’est que dans son moi profond on conserve une foi inébranlable dans les enseignements de la religion, enfin ceux qui ne compliquent pas trop la vie. Les week-end où il pleut, ça fait chier parce que c’est toujours pareil (mais heureusement on a acheté un babequiou à gaz) ; les week-end où il fait soleil, ça permet de se croire cinq minutes en vacances sur la plage à Biarritz, le jour où on enregistrait en direct un micro-trottoir sur les pédalophiles.

Ben moi, les dimanches c’est pas mon truc et c’est pas nouveau. Ce n’est pas parce que j’ai seulement une peau de chamois et pas de Béhèmercédès. Déjà, môme, c’était une journée qui me gonflait. Fallait aller à la messe, fallait enfiler les « zhabits du dimanche », fallait rester longtemps à table, respecter la pause sacrée du début d’après-midi, aller faire un petit tour à pied histoire de s’aérer un peu et de se dégourdir les jambes, alors qu’on était si bien à jouer dans sa chambre, genre on se refait la bataille de Reichoffen et on massacre les lanciers du Bengale avec un lance-missiles à tête nucléaire. Pourtant ni la télé, ni la console Naintendu, ni le portable n’étaient en cause. Je vous parle d’une époque lointaine où la télé faisait son apparition dans les foyers. L’accès à l’écran magique était strictement réglementé : les enfants avaient le droit de regarder « la piste aux étoiles » du mercredi soir et l’émission de variétés du samedi ; point final. Non, simplement une journée où l’on aurait aimé jouer relâche, sans vivre au rythme des adultes, jouer à cache-cache avec son ombre, et massacrer quelques Indiens avec son pistolet à fléchettes histoire de vérifier si l’on n’avait pas perdu la main au tir aux pigeons.

 Les dimanches de mon enfance expliquent certainement un certain nombre d’allergies que je cultive maintenant. Cela va des vêtements « comme il faut » que l’on ne doit pas salir, aux airs d’opérettes ou à la musique classique qui investissaient inexorablement l’espace sonore de la maison entre l’heure du café et celle du goûter. Il ne me reste que deux souvenirs vraiment positifs de cette journée que je n’aimais pas : les livres que m’offrait ma sœur aînée au retour de la messe et le menu du soir. On échappait à l’inexorable soupe poireaux-pommes de terre à laquelle on avait droit les autres soirs de la semaine. La maman-cuisinière avait sa demi-journée de repos, et le dîner, c’était souvent une boîte de petits pois et une tranche de jambon. Ces deux mets ont conservé une saveur particulière pour mon palais, même si leur qualité s’est, dans bien des cas, dégradée. Je n’initie point là le procès de mes géniteurs qui faisaient ce qu’ils pouvaient avec ce qu’ils avaient. Mon père était sans doute convaincu que sa ferveur musicale était partagée par l’ensemble de sa descendance. J’aime la musique classique, tu aimes la musique classique, nous aimons la musique classique. Point de salut hors Mozart et Chopin. Par la suite ça a continué avec les profs de français au collège : point de salut hors Balzac, Corneille, et Molière… Grande a été ma joie iconoclaste d’entendre Sheila chanter « l’école est finie », Cloclo vociférer son hymne sur les marteaux et ainsi de suite. Je le reconnais, déjà à cette époque, j’avais de singuliers plaisirs solitaires.

Je ne sais pas de quelle façon les dimanches ont continué à m’emmerder à l’adolescence, mais je sais que ça a été le cas. Pourtant, il n’était plus question de messe depuis pas mal de temps et je disposais de moyens autonomes pour écouter de bons airs sympas, en collant avec amour des collections de roquettes sous les ailes d’avions pas si civils que ça. Je crois que ce qui n’allait pas, ce jour-là, c’est que c’était la journée « sans copains ». Je ne parle pas des copines ; on n’est pas au confessionnal. Tout le monde était cloitré chez soi, « en famille », avec le tonton, la tata, les frangines et le baba au rhum ou le civet de lapin. Lorsqu’un jour j’ai tourné la page de mon dernier « club des cinq » pour me lancer dans la lecture du « capital » de Marx, la situation n’a pas évolué. La semaine, une vie politique intense agitait mes neurones. Le dimanche, de solides rituels familiaux les engourdissaient dans les brumes de l’avachissement. Il y avait bien quelques débordements de pensée, mais les discussions en famille ne me convenaient guère ; c’était plus facile de démolir le monde dans la cour du lycée avec les copains que d’expliquer à des parents raisonnables pourquoi il était urgent de faire une journée de grève pour protester contre la présence militaire française au Tchad. Les virées nocturnes, bombe de peinture à la main, se sont ajoutées aux discussions acharnées autour d’un « rouge limé » à la buvette de la « Maison du peuple ». Les dimanches sont restés les dimanches, même si je ne consentais plus guère à m’endimancher.

 Je m’a trouvé une fiancée comme qu’y dirait le cénobite tranquille, puis nous avons eu deux charmants mouflets. Je vous ferai grâce des décennies qui se sont écoulées depuis les paragraphes précédents ; une seule chose cependant, les dimanches ont continué à m’emmerder. Je pourrais dresser une liste de griefs à rallonge. En mélangeant les époques, la gravité des faits, la fréquence des événements, ça donnerait un cahier de doléances de ce genre-là…
– le dimanche soir, fin du week-end, les enfants prennent le train, quittent la maison, retournent vaquer à leurs occupations ; je n’aime pas cette séparation.
– j’ai dix planches à assembler ; je suis en panne de clous ; putain de merde, la quincaillerie est fermée.
– non seulement y’a que des blockbusters à la con au ciné, mais en plus il y a la queue ; ça pue le « crouich-crouich » à la mauvaise graisse ; comment y’a pas école le 7ème jour de la semaine ?…
– pas moyen d’être tranquille ; les copains viennent bouffer à midi ; comme ils font semblant de bosser, faut toujours inviter les copains le dimanche. Quand je pense qu’on est retraités et même pas libre de son temps…
– comment ça pas de courrier ? Et la suite de ma BD, je la reçois quand ?
– et merde, les voisins ne bossent pas : tondeuse, perceuse, débroussailleuse, aspirateur et auto-radios au menu ; je n’aime pas le bruit des autres !
– j’ai pas corrigé mes copies vendredi ; j’ai pas préparé ma classe samedi ; ça va encore me bouffer ma journée… Redis-moi, c’est quand les vacances ?
– au lieu de se reposer le septième jour, le grand manitou aurait mieux fait de réviser son travail ; y’a vraiment trop de choses qui tournent pas rond sur sa fichue planète…
– il y a deux soirées dans la semaine où les programmes de télé sont particulièrement débiles… L’une de ces deux soirées c’est celle du … (quizz vacances, 1 timbre oblitéré à gagner).

– … ! ? !

 Je vous fais grâce de la suite, je ne travaille pas pour « La Pléiade » ; quant à la collection « La Jérémiade », elle reste à créer. Le blog sur papier bible ça ne s’est pas encore fait et je ne veux donc pas dépasser la longueur standard qu’un vacancier est capable de digérer d’un trait. Un Perrier bien frais, un zeste de citron, une chronique de la « Feuille Charbinoise » pour accompagner. Sachant que le Perrier est contenu dans un verre de 33 cl et qu’un vacancier les doigts de pied en éventail boit un litre de Perrier à l’heure, calculez combien de temps doit durer la lecture. Si vous n’y arrivez pas, repassez votre Certificat d’Etudes, il vous sera plus utile que votre licence de paléographie tendancielle.

Il ressort de tout cela que maintenant j’ai horreur de porter des vêtement élégants et par conséquent inconfortables. Il y a environ quarante ans que je n’ai pas enfilé une cravate ; de toute façon, je ne sais pas faire les nœuds. Je préfère les pensées d’Elisée Reclus à celles de Saint Mathieu. J’adore les repas de fête, qu’ils soient familiaux, amicaux ou congrégationnistes, le mercredi. Je suis totalement allergique à l’opéra, à l’opérette et aux comédies musicales (ce n’est pas très grave comme séquelle, sachant que j’aurais pu l’être globalement à la musique – merci à tous ceux qui m’ont préservé de cette catastrophe). Je n’aime pas les gus qui astiquent leurs chromes avec une peau de chamois le dimanche matin. Je suis opposé à l’ouverture des magasins le dimanche – parce que l’on ne demande jamais leur avis aux travailleurs concernés (enfin, dans le cas des magasins, exception faite pour ceux qui vendent des clous ou des boules quiès).

Quand j’écris une chronique sur mon blog, je regarde le calendrier avant et, si c’est le dimanche, je n’oublie pas de remémorer le fait que je n’aime pas écrire le dimanche mais que c’est une honte parce que, le week-end, l’audimat de la Feuille Charbinoise chute inexorablement chaque semaine…

Post audimat cadent scriptum  – Je remercie les sponsors qui ont permis à cette chronique d’exister : Perrier microbulles, Certificat d’Etudes™, La Pléiade, La Piste aux Etoiles, Sheila, Béhèmedoublevé… Je rappelle aux sponsors de la prochaine chronique que le versement minimum est de 100 €.

6 Comments so far...

Paul Says:

16 août 2012 at 08:07.

@ Zoë – Merci ! Honte sur moi, je ne connaissais même pas…

Fred Says:

16 août 2012 at 09:08.

Oh my God ! je ne m’en étais pas douté une seconde, mais pourtant je dois bien le reconnaître : le grand Zihou est un punk !
Dans un passé lointain j’ai eu une copine qui détestait le Dimanche aussi
elle m’a presque dégoûté de ce jour béni pour des glandeurs de mon acabit !

Lavande Says:

16 août 2012 at 10:28.

J’y crois pas, comme disent les djeuns! Tu ne connaissais pas « Je hais les dimanches » de Charles Aznavour, chanté par Piaf, Gréco…?
Certes tu étais un peu jeune: ça ne faisait pas partie du répertoire de comptines de l’école maternelle…et à la maison c’était effectivement plutôt Brandebourgeois et Impromptus de Schubert.
Ça m’évoque aussi un très beau film que tu ne dois pas connaître non plus: « les dimanches de Ville d’Avray » avec une petite fille inoubliable.

JEA Says:

16 août 2012 at 20:21.

un dimanche mémorable : le 30 janvier 1972, à Derry (Irlande du Nord)
une marche pacifique se déroule pour l’égalité des droits entre catholiques et protestants
réponse de l’armée de sa très gracieuse majesté : treize civils sont abattus
un Bloody Sunday…

Cathy Says:

17 août 2012 at 12:58.

J’aime pas les dimanches non plus. Alors j’ai trouvé une parade. Je fais sonner mon réveil, je me dis qu’on est lundi mais que j’ai décidé de faire le boulot buissonnier… et je reste bien tranquille sous la couette… C’est calme, c’est chouette, c’est bon 😉
PS (en cas de canicule, remplacer la couette par des draps plus légers.)

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