20 août 2012
Lectures éclectiques, estivales, épiques, savoureuses mais aussi reposantes…
Posté par Paul dans la catégorie : l'alambic culturel; mes lectures .
J’arrête temporairement les chroniques à inclure dans la collection « la Jérémiade ». C’est un fait acquis : je n’aime pas le poisson ; je n’aime pas le dimanche, les cravates, les technocrates, les imbéciles, les politiciens, les chiens débiles et les variétés à la télévision… On ne va pas épiloguer cent sept ans. Par contre il est un autre fait qui est sérieusement établi : j’aime les livres et j’aime LIRE. Comme quoi, même au mois d’août, même lorsque le mercure indique 36° à l’ombre, je suis capable de positiver.
Plus le temps passe et plus mes lectures varient ; j’ai de plus en plus de mal à rester enfermé dans un genre littéraire quelconque… Je picore à droite et à gauche (plutôt à gauche) en fonction des conseils des uns et des autres ou de l’inspiration du moment. Je voudrais vous faire partager quelques belles découvertes d’ouvrages contemporains ou plus anciens.
Si vous trouvez que cela ne fait pas très sérieux de lire des romans pour adolescents, allez directement au paragraphe suivant. S’il vous faut un alibi, vous pouvez toujours acheter « pour offrir » l’un des derniers ouvrages de mon amie Cathy Ytak : « le retour de la demoiselle » aux éditions « Ecole des loisirs ». Plusieurs fils emmêlés avec habileté tissent la toile de cette belle histoire écologique : le combat des habitants d’un petit village du Jura contre la construction d’un ensemble hôtelier qui va défigurer le paysage ; la découverte par le héros de la joie que l’on peut éprouver à jouer de la harpe celtique ; une belle histoire d’amour naissant… La magie des légendes celtiques, de Bretagne ou d’Irlande, se mélange avec la brume qui monte du petit lac jurassien… Le son cristallin de la harpe se confond avec le bruissement du vent dans les branches des épicéas… Une énième version du pot de terre contre le pot de fer, me direz-vous. Certes, mais avec quel talent l’auteur nous conte cette belle histoire. Dès les premières pages le charme opère et les personnages acquièrent très vite une profondeur qui les rend attachants. Je n’ai posé le livre qu’une fois terminé, et, croyez moi, la fin m’a fait pousser un grand « ouf » de soulagement… Adolescent attardé ? Pourquoi pas ? Il est plutôt rassérénant de se souvenir qu’à cet âge-là on faisait de nombreux rêves et qu’on ne les a peut-être pas tous oubliés. Autre mérite de ce livre, les informations délivrées au fil des pages sur la harpe celtique et son histoire. Si vous vous intéressez tant soit peu à la musique irlandaise ou bretonne, vous ne serez pas déçus. « Le retour de la demoiselle » est une bonne entrée pour découvrir l’œuvre déjà riche de cette auteure ; personnellement je crois que j’aime ce livre presque autant que « Rien que ta peau », à lire aussi si vous ne l’avez pas encore fait…
Je tenais à vous parler du livre de Cathy, même s’il ne présente guère de rapport avec les trois suivants, car c’est celui avec lequel j’ai ouvert mon cycle de lecture estivale – cycle dont la caractéristique principale est de s’enchainer avec harmonie au cycle des lectures printanières…
Je n’ai guère envie de lire de thrillers par les temps qui courent (la chaleur ne doit pas être compatible avec les bains de sang), mais j’ai toujours autant de satisfaction à fréquenter les marges du roman policier. J’ai lu avec plaisir « L’ombre de ce que nous avons été » de Luis Sepulveda (remarquablement traduit par Bertille Hausberg, aux éditions Métailié). Ce qui est amusant c’est que lorsque je rencontre un auteur qui me plait, j’ai l’habitude « d’éplucher » son œuvre de façon plus ou moins systématique, chose que je n’ai pas faite avec Sepulveda, dont la bibliographie est pourtant particulièrement fournie ! Tous les deux ou trois ans, je croise le chemin de l’un de ses romans, et tire généralement un grand plaisir à sa lecture. « Le vieux qui lisait des romans d’amour » m’a beaucoup plu, de même que le « journal d’un tueur sentimental ». Il se peut aussi, tout bonnement, que le style de Luis Sepulveda ne se prête pas à une lecture en série. Pour en revenir à « L’ombre de ce que nous avons été », le thème de l’histoire, annoncé dès les premières pages, est simple : il s’agit de la rencontre de trois vieux messieurs, plus ou moins dignes, anciens résistants à la dictature de Pinochet au Chili, qui se sont donné rendez-vous, vingt ans après, pour un « dernier gros coup ». Pour atteindre leur objectif, ces trois guerilleros en déroute ont besoin de l’aide d’un quatrième larron, le « spécialiste », qui a la triste idée de mourir au cours du trajet, d’une manière pour le moins originale. En toile de fond de ce récit parfois drôle, parfois triste, toujours émouvant, le Chili de Pinochet mais aussi la difficulté du retour d’exil, les trahisons de la « démocratie », les blessures qui ne guérissent pas. Ce qui est attachant dans l’œuvre de Sepulveda, c’est la manière dont il dépeint ses personnages et le côté saugrenu, mais pas forcément farfelu, des situations auxquelles ils sont confrontés dans leur quotidien. Le simple achat d’un lot de poulets rôtis sert de base à un épisode grandiose de l’histoire. Une lecture idéale pour ceux qui cherchent un roman pas trop long, entrainant, mais pas si léger que ça dans le fond.
Avant de déguster le Sepulveda, je m’étais offert un autre petit plaisir, le dernier (?) roman de Paco ignacio Taïbo II : « le retour des Tigres de Malaisie », traduit par et publié aussi par les éditions Métailié. L’enchainement a été des plus heureux et ne m’a posé aucun problème. Pour une fois, ce n’est pas vraiment un polar qu’a écrit le prolifique PIT II, mais plutôt un roman d’aventures moderne, un nouvel ajout à la longue lignée des écrits de Gustave Lerouge ou de Paul d’Ivoi. Les « tigres » que fait revivre Paco Ignacio Taïbo II ne sont en effet pas des inconnus pour les amateurs de romans populaires. Il s’agit de la résurrection de personnages créés par l’écrivain italien Emilio Salgari, célèbre auteur feuilletoniste du début du XXème siècle. Comme il l’a déjà prouvé par le passé en faisant revivre son héros, le détective Héctor Belascoarán Shayne, à la demande de ses lecteurs scandalisés, PIT II est un spécialiste de la résurrection littéraire. L’illustre Sandokan et ses amis jouissent d’une popularité considérable dans les mers du Sud, de Singapour à Bornéo, sans oublier la presqu’île de Malaisie. Retirés des affaires, ils profitent d’une retraite bien méritée, mais d’étranges adversaires s’attaquent à leur modeste empire et veulent les forcer à sortir de leur vie bien rangée : les Tigres sont victimes d’attaques répétées ; des inconnus s’acharnent à les calomnier dans la presse et à s’emparer de leurs réserves financières les plus secrètes. Les actes de barbarie se multiplient contre les populations indigènes des îles. Nos héros décident de passer à l’action et de démasquer l’étrange société secrète qui cherche à nuire à leurs intérêts privés. La tempête se lève sur la mer de Java et le mystérieux chef des mendiants de Singapour n’a qu’a bien se tenir ! Une histoire haute en couleurs, avec de nombreux rebondissements, de prodigieux exploits et des héros hors du commun… Histoire de ménager le suspens, je ne vous dirai pas qui gagne à la fin bien entendu, mais un bon roman populaire ne trahit jamais son lecteur !
Après avoir lu ces deux ouvrages plutôt singuliers, la transition s’annonçait difficile et j’ai hésité, je l’avoue. « Le Rhône au Moyen-Age » de Jacques Rossiaud me faisait un clin d’œil. La voix de la raison me conseillait cette lecture histoire de boucler ma chronique sur la navigation sur le Rhône. Je ne l’ai pas écoutée. Je me suis laissé manipuler par le copain qui m’a prêté « Mêlée ouverte au Zoulouland » de Tom Sharp (éditions 10/18, traduction de Laurence). La lecture du résumé m’a convaincu que le thème de ce livre promettait un enchainement à la hauteur de mes espérances pourvu que le talent de l’auteur soit à l’aune de son ambition. L’action se déroule en Afrique du Sud, après la guerre qui a opposé les Boërs et les Anglais. Le Kommandant Van Heerden et ses adjoints, le lieutenant Verkramp et le constable Els, tous trois d’une nullité flagrante et d’une imagination sans limite, sont chargés du maintien de l’ordre dans la petite bourgade de Piemburg. L’auteur dresse un portrait sanglant de ses trois héros : racistes, crétins, violents, ambitieux… tous les ingrédients sont réunis pour un cocktail explosif… La déflagration ne tarde pas : la comtesse Hazelstone convoque le chef de la police dans son manoir pour lui expliquer qu’elle vient de tuer d’une décharge d’un énorme fusil destiné à la chasse à l’éléphant, le cuisinier zoulou dont elle était la maîtresse depuis plusieurs années. La vieille femme accumule les détails truculents dans son récit, du genre la passion des deux amants pour le latex bleu, au grand effarement du Kommandant Van Heerden. Suite à ces aveux qui ne lui conviennent guère, le gradé prend la décision qui lui paraît la plus raisonnable : bouclage militaire de la propriété jusqu’à ce que la coupable revienne sur ses aveux. C’est sans compter sur le zèle de ses adjoints qui, dans les heures suivantes, provoquent un véritable massacre dans le parc qui entoure le château. Le responsable régional de la police se frotte les mains ; peut-être a-t-il enfin trouvé le moyen de se débarrasser de cet ineffable crétin de Van Heerden… L’auteur lui même le reconnait : il travaille au coupe-coupe et ne fait pas dans la finesse. En tout cas, on passe un bon moment et le roman se savoure du début à la fin. Contrairement aux apparences, comme dans les deux autres livres rocambolesques que je vous ai présentés, la dénonciation de l’impérialisme apparait largement en toile de fond. Les puissances financières concernées et les méthodes employées ne sont pas les mêmes dans les trois livres puisque l’on voyage du Chili à la Malaisie en passant par le Zoulouland. Mais il y a indiscutablement un point commun entre ceux qui tiraient les ficelles des pantins coloniaux en Afrique et ceux qui démolissaient dans l’ombre le régime de Salvador Allende.
Changement de style, sinon vous allez croire que je ne lis plus que des histoires bien délirantes. Mais non, mais non ! J’ai presque achevé « le Rhône au Moyen-Age » en ne faisant qu’un bref intermède pour lire deux volumes des « enquêtes du mandarin Tân » de Tran-Nhut aux éditions Picquier, « L’homme des bois », recueil de textes d’Elisée et Elie Reclus sur les Indiens d’Amérique, aux Editions Héros-Limite, ou encore « Un été dans la Sierra » de John Muir chez Hoëbeke (traduction de Béatrice Vierne)… Je passe sous silence les quelques déceptions qui auraient pu rallonger cette liste. Il ne faut pas s’acharner sur les ambulances disait mon arrière grand-oncle qui était pilote de Zeppelin. En lisant « … Libertaires, mes compagnons de Brest et d’ailleurs », autobiographie de René Lochu, avec une préface de Léo Ferré, publiée aux éditions « la digitale », je n’ai pu m’empêcher de penser à la fois au livre de May Picqueray, « pour mes 81 ans d’anarchie », et surtout aux « carnets de lutte d’un anarcho-syndicaliste » de François Bonnaud, dont je vous ai déjà touché un mot dans ces colonnes. Le livre de René Lochu est émouvant de simplicité. Point de grandes théories, de grandes considérations philosophiques, le simple vécu quotidien d’un homme confronté parfois avec brutalité avec la réalité d’une vie militante sans concession. Rien ne prédispose pourtant Lochu à militer pour la cause anarchiste. Engagé volontaire en janvier 1918 – histoire de pouvoir choisir une affectation dans la marine – il assiste plus comme témoin que comme acteur, aux mutineries de la mer noire. Les marins français refusent de collaborer à la sale guerre engagée par les Anglais et les Français pour soutenir les Russes blancs et la répression est féroce. Lochu ignore alors que les « rouges » qui se battent contre l’armée de Dénikine en Ukraine, sont les fameux soldats de la « Makhnovtchina » rouge et noire, dont il rencontrera le leader, Makhno, quelques années plus tard à Brest. Si le souvenir des luttes ouvrières de cette époque « entre les deux », vous indiffère, si les souvenirs du « Front populaire » et les manifestations pour la libération de Sacco et Vanzetti vous indifférent aussi, certes ce livre n’est pas fait pour vous. Mais si vous vous intéressez à cette tranche d’histoire populaire, alors les souvenirs de René Lochu sont plaisants à découvrir et riches d’anecdotes qui rendent certains personnages un peu moins poussiéreux. Pour conclure sur une note de musique, sachez que Ferré était un grand ami de René Lochu, et que c’est en son honneur que l’artiste composa sa chanson « les étrangers ».
Il me reste à vous parler d’une autre découverte estivale pour compléter cette chronique qui ne veut en aucun cas concurrencer « le magazine littéraire ». Parmi les personnages qu’a côtoyés René Lochu à la bourse du travail de Brest, il en est un qui fera l’objet de la dernière partie de cette chronique nourrissante. Je me suis lancé dans la lecture, item par item, de la réédition de l’encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure. Un seul volume est paru pour l’instant et je dois dire que c’est un bel ouvrage. Ce tome 1 couvre les lettres A jusqu’à C, de « abdication » jusqu’à « cynisme ». Le prix un peu élevé (29,90 €) est justifié par la qualité de l’édition : non pas du dos encollé, genre livre de poche grand format, mais un vrai livre, avec une vraie reliure cartonnée et des cahiers cousus. Les Editions des Equateurs n’ont pas fait les choses à moitié et j’espère que leur initiative va être soutenue par les ventes, même s’il existe une version internet gratuite de cet ouvrage. Certes, il est des articles qui datent un peu, mais une bonne part des textes reste largement d’actualité. Sébastien Faure fait preuve de beaucoup de lucidité en ce qui concerne le « bolchevisme ». Il n’en est pas vraiment de même en ce qui concerne la rubrique « atome », mais il faut dire, à sa décharge, qu’il ne disposait pas des éléments dont nous avons connaissance actuellement. Il s’est en effet lancé dans cette entreprise ambitieuse en 1930, alors qu’il était âgé de 70 ans. D’après le projet initial, son encyclopédie devait comporter cinq volumes, chacun détaillé en plusieurs tomes. Il ne sera pas allé aussi loin dans l’accomplissement de son œuvre : seuls quatre tomes du premier volume seront achevés avant sa mort ; mais à eux seuls ils représentent déjà une somme colossale de 2893 pages. Il veut rassembler un ensemble de connaissances à destination des anarchistes, histoire de montrer à quel point la pensée libertaire couvre un vaste champ de préoccupation, et apporte une vision nouvelle sur bon nombre de problèmes moraux, philosophiques, scientifiques… Il assure la coordination de ce travail colossal et rédige lui-même de nombreux articles. Nul doute qu’Elisée Reclus, auteur de « l’homme et de la terre », se serait associé à ce projet s’il avait été encore de ce monde. L’introduction de l’ouvrage, rédigée par l’éditeur, Olivier Frébourg, est intéressante et elle a le mérite de dresser un portrait plutôt fidèle de ce militant pacifiste hors du commun, malheureusement peu connu hors des cercles libertaires.
Je vous laisse un temps, histoire de me lancer dans une nouvelle lecture, plus récréative, la série BD « Hauteville house » dont les trois premiers tomes s’alignent sagement sur mon étagère… Je vous en parlerai – peut-être – dans un prochain billet, si la fin du monde, programmée paraît-il pour dans quelques mois, m’en laisse le temps… Après ça, si nos projets de déambulation automnale se concrétisent, peut-être ferai-je une nouvelle plongée dans la littérature de voyage.