19 février 2014
Il ne faut pas prendre l’arbre à vessies pour une lanterne
Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres .
De l’art de baguenauder au milieu des baguenaudiers
Si vous avez l’occasion de vous promener fréquemment dans la garrigue provençale, vous avez plus de chances de connaître le baguenaudier, charmant arbuste pouvant atteindre jusqu’à 6 mètres de hauteur, que si vous arpentez les forêts ardennaises ou vosgiennes. Le baguenaudier, dont je vais présentement vous entretenir, est en effet plus un représentant de la flore méditerranéenne que de celle du Nord de notre pays. Excusez le jeu de mot facile choisi comme titre pour cette chronique, mais il se trouve qu’en raison de la forme singulière de ses fruits, ce digne végétal est parfois surnommé « arbre à vessies » par les garnements qui s’y intéressent encore un peu. Il me fallait, avant de prolonger dignement ce billet, éclairer quelque peu votre lanterne; faute de quoi certains auraient peut-être pensé que je choisissais mes titres uniquement pour faire de l’audimat sur les moteurs de recherche.
Un petit mot de botanique pour commencer : l’arbuste appartient à la famille des fabacées, sous famille des papilionacées. Il porte le nom latin de Colutea arborescens. Ses cousins proches sont le cytise, le robinier, le sophora du Japon… C’est donc une légumineuse, c’est à dire une plante qui a la particularité (comme les petits pois ou les haricots au potager) de fixer l’azote atmosphérique dans le sol et donc de l’enrichir. Dans notre parc boisé, l’herbe est toujours plus verte et plus haute sous le robinier à fleurs rouges et ce n’est pas un hasard ! C’est lorsque les gousses arrivent à maturité que cet arbuste présente le plus de charme. Lorsque l’on se promène, un jour de grand vent, sur les flancs arides d’une colline, il arrive que l’on entende un bruit étrange, semblable à celui que feraient de petites boîtes en s’entrechoquant. Ce sont les drôles de fruits du baguenaudier, se heurtant les uns aux autres, ainsi que les graines à l’intérieur, qui provoquent ce tintamarre. Nul souci à vous faire, il est rare que les fantômes ou autres lutins se manifestent aussi bruyamment en plein jour… Ce bruit singulier est sans doute la raison pour laquelle les Espagnols l’appellent espantalobos (« chasse-loups »). Dans le Sud de la France on le surnomme plutôt « pan-pan » ou « glou-glou » ce qui illustre bien le fait qu’on ne le prend guère au sérieux. Les enfants s’amusent comme il se doit à cueillir les fruits mûrs qui peuvent mesurer jusqu’à 7 cm de longueur et à les presser entre leurs doigts pour les faire éclater. La gousse étant gonflée par un mélange de gaz se prête magnifiquement bien à ce jeu de pétarade !
Autre particularité, les gousses ne s’ouvrent pas sur l’arbre et celui-ci ne lâche donc pas ses graines pour les ressemer. Les gousses tombent au sol et restent fermées pendant un certain temps. Comme elles sont légères, le vent ou les tourbillons d’air créés par le passage des véhicules se chargent alors de les faire rouler et de les disséminer un peu partout dans le paysage, notamment sur les talus le long des routes ou des voies ferrées. Une fois bien desséchées elles s’entrouvrent et les graines n’ont plus qu’à se trouver un petit nid douillet pour germer. Cette dispersion par roulage s’appelle chamaechorie (de quoi briller en société : ne me remerciez pas c’est tout naturel !).
C’est sans doute en raison de cette singularité que l’arbuste n’est guère pris au sérieux ; sans doute aussi en raison du fait qu’il ne possède pas vraiment d’usage médicinal important. Pierre Lieutaghi le qualifie de « bouffon » de nos arbrisseaux… Sa floraison n’a rien d’exceptionnel et il est rarement planté en tant qu’arbuste décoratif dans les jardins. Et pourtant ! Le fait qu’il soit à l’origine d’un jeu ne serait-il pas un prétexte suffisant pour que deux ou trois spécimens soient choisis pour agrémenter un parcours un tant soit peu festif pour les enfants ? Planté à côté de cet « arbre à perruques » avec lequel les petits et les grands adorent se faire des moustaches, d’un buisson de mûres sans épine pour la pause et le maquillage de quatre heures et d’un joli sureau, matière première idéale pour fabriquer un sifflet, il aurait le mérite de rendre nos parcs arborés ou arboretums un peu plus festifs. Une simple balade technique n’a rien de bien passionnant pour des enfants ; un parcours agrémenté d’histoires naturelles, de jeux sensoriels et de petits ateliers de bricolage, aurait le mérite de rendre la botanique un peu plus attrayante pour les plus jeunes. Nos petites filles sont ravies de partir au jardin avec un « panier à trésor » et de ramener une foule de petits brimborions que la nature a grand plaisir à mettre à leur disposition.
Le baguenaudier, l’arbuste, est bien entendu à l’origine du verbe « baguenauder » et de ses deux sens légèrement différents… Tout d’abord on peut baguenauder en se livrant à des activités frivoles mais quelque peu bruyantes… Cela ne se dit plus guère… Mais on peut aussi baguenauder ou se baguenauder tout simplement en se promenant sans but précis et sans précipitation dans un lieu quelconque. « Je suis allé baguenauder au marché car je trouvais le temps un peu long à la maison ». Dans le « dictionnaire des mots rares et précieux » (un bon ouvrage à consulter pour les amateurs de belles sonorités et de mots désuets) on peut lire aussi que le baguenaudier était autrefois un jeu prisé par les enfants, consistant à enfiler et à désenfiler des anneaux sur un axe dans un ordre déterminé. Je pense qu’il s’agit en fait d’une allusion au casse-tête attribué au mathématicien italien Jérôme Cardan (Girolamo Cardano 1501-1576). Il semble que le savant n’ait fait que décrire et expliquer un jeu inventé en réalité par les Chinois. Comme toujours, dans un cas pareil, une gentille petite légende entoure cet objet. Je l’ai dénichée sur le site de « Pour la Science » et vous la propose sous cette forme : « vers l’an 200 de notre ère, le soldat chinois Hung Ming (181-234) dut partir à la guerre servir son empereur. Laissant une épouse attristée, il lui fit cadeau d’un jeu formé de plusieurs anneaux enlacés. Intriguée par ce casse-tête qu’elle désira résoudre, elle ne vit pas le temps passer et supporta ainsi l’absence de son mari. » Lorsque son mari partit pour la guerre, en août 1914, ma grand-mère avait d’autres chats à fouetter ! Quant au jeu, ne comptez pas sur moi pour vous en expliquer le principe : s’il y a une chose que je n’ai pas la patience de supporter ce sont bien les casse-têtes (sauf peut-être ceux fabriqués par les Indiens quand je suis face à un « casse-couilles »).
Bref, rien de bien sérieux décidément dans tout cela. Le seul usage médical que l’on ait trouvé autrefois au baguenaudier, c’est de se servir d’une infusion de ses feuilles comme laxatif. Cela lui a valu une estime modérée de la part des médecins de la Renaissance, et encore plus modérée des malades traités avec le breuvage infâme que l’on obtenait. On lui préférait nettement la Bourdaine. Cela n’a pas empêché de donner à l’arbuste le surnom de « Séné d’Europe » ; cela n’a pas empêché non plus certains apothicaires peu scrupuleux de le vendre à la place du Séné d’Egypte, une plante coûteuse parce qu’importée, mais dont les effets étaient nettement supérieurs. Mieux vaut donc laisser notre arbrisseau faire tranquillement son charivari dans la garrigue, et ne retenir que son côté « farceur » plutôt que de vouloir l’incorporer à la pharmacopée familiale.
Pour les jardiniers collectionneurs, sachez qu’il existe par ailleurs un baguenaudier d’Orient (Colutea Orientalis) tout aussi facile à cultiver. Les différences entre les deux frérots sont assez limitées : les fleurs de la variété orientale sont plus décoratives (rouge veinées de jaune) mais les gousses sont plus petites et ouvertes à leur extrémité, ce qui limite leur intérêt comme arme d’intimidation. Si j’emploie le terme « frérot » c’est que les deux arbustes sont si proches qu’il s’hybrident facilement.
Quant à moi, je suis content d’avoir réussi à vous dire tant de choses sur ce baguenaudier auquel les botanistes et les jardiniers s’intéressent aussi peu. Il est temps maintenant /crac splash/…
Bruissement d’ailes et colère de papillon : « comment osez-vous, Monsieur le chroniqueur, boucler cet article, sans préciser l’importance que cet arbuste charmant revêt pour ma petite famille… Je suis un magnifique spécimen de Iolana Iolas (on m’appelle aussi Azuré du baguenaudier – merci de ne pas faire de jeu de mots sur mon nom – et sans baguenaudier, je serais voué à disparaître, un peu comme le Koala privé d’Eucalyptus en quelque sorte… Connaissant votre ton persifleur, je parie que vous allez faire remarquer qu’à part les naturalistes, personne ne s’intéresse à moi ! Allez donc observer les photos que l’on publie de ma petite personne sur le site du « jardin des papillons« , espèce de mufle… » Je ne peux honnêtement pas terminer cette étude sans rendre justice à Iolana… C’est donc chose faite. Histoire de m’attirer ses bonnes grâces, je préciserai que cet Azuré est le plus grand de la famille en Europe, qu’il ne s’éloigne presque jamais de son baguenaudier préféré et qu’il est sur la liste rouge des espèces menacées. Je comprends donc qu’il cherche à attirer l’attention des médias les plus importants de la Toile et il est tout naturel que je fasse mon devoir…
Après cette intervention de dernière minute, je crois bien que ma chronique est réellement terminée. Amusez-vous à faire quelques recherches sur la Toile ou dans les livres ; il est des arbustes très populaires sur lesquels on trouve des mines d’informations – souvent redondantes par ailleurs – mais sur l’arbre à vessies seulement quelques notices peu expansives. Je connais même un guide des arbres et arbustes, pourtant assez complet, dans lequel il ne figure ni sous son nom latin ni sous son nom commun… Je suis donc content d’avoir fait œuvre dans la défense des espèces mal aimées. Il ne me reste plus qu’à aller baguenauder dans le parc… Le printemps s’approche, les bourgeons pointent leurs bouts de nez ; il y a tant à voir !
illustrations – photo numéro 1 : wikipedia commons, auteur Franz Xaver – photo numéro 2 : flore Thomé, domaine public – photo numéro 3 et 6 : wikipedia commons.
sources documentaires – Tout d’abord ma « bible » habituelle, le passionnant « livre des arbres, arbustes et arbrisseaux » de Pierre Lieutaghi. Une autre bible également, l’excellente revue « la Garance Voyageuse » incontournable pour tous les passionnés de nature et surtout d’ethnobotanique. Pour finir, quelques sites sur Internet, mais on trouve plus d’informations sur le papillon abrité par le baguenaudier que sur le baguenaudier en personne.
5 Comments so far...
Paul Says:
19 février 2014 at 18:00.
@ François – Content que tu viennes à nouveau baguenauder par là et égrener tes commentaires !
Lavande Says:
20 février 2014 at 22:42.
Baguenaudons, baguenaudons…!
Une histoire d’arbre (on pourra pas dire que je suis hors sujet!):
De dignes représentants de la maréchaussée ont eu vent d’une planque de drogue dans une forêt. Ils partent à la chasse et oh! surprise, rencontrent deux cardinaux. « C’est là » s’écrie le plus futé des deux pandores. « Comment ça ? demande son collègue. « eh ben oui » reprend le premier « c’est au pied de cet arbre! » « Comment ça? » redemande son collègue. « C’est évident: tu sais bien que l’arbre à came est près des sous-papes! »
C’était juste pour montrer que mes connaissances en mécanique valaient mes connaissances en géographie (qui ont toujours ébloui la famille)
Paul Says:
21 février 2014 at 08:23.
@ Lavande – Merci ! Grâce à ton aide les lecteurs vont peut-être enfin lire les commentaires et réagir. Je constate en tout cas que parmi les chroniques publiées sur ce blog, selon les statistiques, 8 sur 10 parmi les plus lues parlent des arbres. C’est bien, cela veut dire que les gens veulent se documenter un peu avant de tronçonner !
François Says:
21 février 2014 at 11:25.
@Paul Je ne t’oublie pas, mais j’ai eu de la peine à lire ta prose ces derniers temps. Un peu trop d’agitation. Mais je garde aussi à l’esprit de trouver une date pour charbinoiser.