22 mai 2014

La maison comme je l’aime…

Posté par Paul dans la catégorie : Le clairon de l'utopie; Notre nature à nous .

Une brève réflexion sur l’Europe et sur l’internationalisme inspirée par l’ambiance qui règne à la maison

brouillard Je me lève en général le premier, un peu dans le brouillard, mais la tête pleine de projets et une réserve d’énergie qui me paraît suffisante pour les exécuter. Rituels du matin, rêveries devant un bol de thé, le tour du propriétaire à la fois pour jouir du calme de la campagne au petit matin, et pour régler le ballet des travaux à mettre en place. Certains matins, la rêverie se prolonge au fil de mes pas, d’autres la pression que je ressens abrège le temps de la méditation. Tant pis pour le papillon qui survole les ancolies fraichement ouvertes et dont le vol stationnaire m’impressionne. Il est temps que je mette les mains, non pas dans le cambouis, mais dans le compost bien mûr. Au jardin, comme dans d’autres domaines, je ressens une obligation de résultat. Pour moi, butter des pommes de terre dans un potager ce n’est pas une occupation « à la con » pour un retraité « qui n’a que ça à glander ». Rigole qui le veut mais je pense que les chances de survie seront plus élevées pour ceux qui ont un minimum de connaissance des modes de production alimentaire les plus simples. Le programme à venir ce n’est pas l’autarcie privative, mais l’autonomie comme la définit si intelligemment Pierre Rabbhi. Je viens de terminer son ouvrage « Vers la sobriété heureuse ». Je ne souscris pas à toutes ses options car je suis sans doute trop matérialiste, mais je pense que les problèmes qu’il soulève sont bien réels. L’humanité fonce droit dans le mur et s’il y a une chance de survie, mieux vaut préparer nos airbags et assurer nos arrières. Comme disait ma grand-mère berrichonne, mieux vaut garder « un bout d’terre agricole, on n’sait jamais ».

desherbage intensif  Donc disais-je, grâce à l’avantage que me donne mon lever matinal, je suis le premier à bosser, et j’aime bien ce moment où je suis seul, au pied du mur, confronté à mes projets d’aménagement délirants (*). Un moment plus tard, nos deux « aides » du moment arrivent le sourire aux lèvres pour s’enquérir du programme de travail que je leur ai mitonné (**). Cette année, j’ai réussi à sortir un peu de ce rôle de « chef du personnel » ou de « directeur des ressources humaines de la ferme charbinoise » ; normal que cette position soit un peu gênante pour quelqu’un qui ne manque pas une occasion d’étaler ses sympathies pour une pensée quelque peu libertaire. La cheftaine joue maintenant bien son rôle et nous passons pas mal de temps à nous mettre d’accord sur l’emploi du temps de nos pensionnaires. Comme certains vont hurler à l’absence de démocratie, je précise qu’ils sont consultés aussi, au sens où ils ou elles peuvent refuser un travail qui ne leur convient pas. On évite aussi de proposer des tâches trop complexes ou nécessitant l’emploi d’outils trop dangereux. Bref nos deux aides du moment arrivent le sourire aux lèvres, ce qui montre que leur existence n’est pas trop dure non plus. Le programme, en ce beau milieu du mois de mai, ce sont les plantations, le désherbage et la fauche de l’herbe. Des centaines de plants de fleurs et de légumes attendent avec impatience, dans la serre, le moment d’aller s’épanouir dans les bacs, les massifs, les planches ou les buttes. Je m’interromps un moment dans mes activités et je vais préciser à l’une et à l’autre le travail que j’attends, les âneries à éviter, les outils à employer… Selon le niveau de compétence en jardinage, les explications sont plus ou moins longues et le contrôle du déroulement des activités plus ou moins nécessaire.

couleurs_printanieres Bon an mal an, cela fonctionne plutôt bien, et une fois chacun employé à bon escient, je peux retourner vaquer à mes propres occupations. Grâce à ce système, la totalité de mon temps n’est pas absorbée par l’exécution des travaux d’entretien et j’ai la possibilité de mettre en place de nouveaux projets : culture sur butte, semis expérimentaux, amélioration de notre façon de fertiliser… En milieu de matinée je remonte à la maison et je fais parfois une pause… Le terrain n’est pas immense mais c’est fou le nombre d’aller-retour que j’arrive à faire (quatre kilomètres en une matinée, selon les mesures objectives d’un podomètre utilisé à des fins expérimentales l’année dernière au mois de juin). J’essaie de rentabiliser mes trajets au maximum, surtout cette année avec un genou qui m’a emmerdé tout l’hiver et un pied qui prend le relais depuis un mois. Chaque trajet effectué doit être rentabilisé au maximum et, à force, j’ai le cerveau qui passe son temps à gérer des listes. « Je vais faire ça ; j’ai donc besoin de ça ; au retour j’en profiterai pour… » ou alors « Merde j’ai oublié le sachet de semences » parce que nul cerveau n’est parfait en ce bas monde, surtout quand cela fait une soixantaine d’années qu’il fonctionne sans que je refasse le niveau d’huile.

jardinage en bac De temps à autre je vais voir les uns, les autres et on papote autour de la table de rempotage. Le jardinage suscite des vocations mais aussi de nombreuses interrogations. Je précise, j’explique, le pourquoi et le comment de telle ou telle pratique. Je ne me prive pas non plus de faire part des problèmes non résolus, des questions en attente de réponse… Je suis surpris de la méconnaissance qu’ont la plupart des stagiaires qui passent quelques semaines chez nous, de l’agriculture et surtout de l’agriculture biologique ou écologique selon la façon dont on veut la nommer. Comme j’ai une sainte horreur de la tribu des Yakas et des ravages que ses méthodes provoquent, je tiens beaucoup à évoquer les limites de toute nouvelle expérimentation. « Non, il ne suffit pas de… Il ne suffit pas de dire merde à l’autorité pour qu’il n’y ait plus de chef ; il ne suffit pas non plus de rejeter les pesticides et de prier notre mère la Nature, pour que les parasites s’évaporent au firmament. » Cette après-midi j’ai longuement expliqué pourquoi je rempotais deux fois certains de mes plants : pas d’engrais soluble progressif… Si je veux que mes choux, mes tomates ou mes aubergines se développent harmonieusement, il faut renouveler le terreau dans lequel ces légumes poussent pour qu’ils trouvent de quoi manger. Pas de petit granulé jaune au fond du tout petit godet pour nourrir le végétal avec du bon miam miam chimique.

Là je sens que certains·taines commencent à se demander où se situe le rapport subtil avec l’Europe et les élections qui s’en viennent. Il est temps d’entamer une seconde partie plus engagée, sinon je vais me faire virer du « Blog roll » de certains sites amis !

utopie A la pause de dix heures, une nouvelle voiture est garée dans le parking. Pascaline s’approche et me dit : « je te présente Stéphanie ; elle vient d’Autriche et elle voudrait travailler. Elle a consulté notre profil sur Help’x et s’intéresse à notre projet… » Surprise totale, je n’avais point entendu parler de cette volontaire souriante et dynamique les jours précédents. En fait, elle est venue, de sa propre initiative, pour voir si on avait quelque chose à lui proposer… La réponse est « oui ». S’il y a bien une question qu’il ne faut jamais me poser c’est bien celle concernant l’éventualité d’une tâche à accomplir. Il faut vraiment que je sois fatigué et de mauvais poil pour donner une réponse négative. On discute un moment ; elle s’assied autour de la table avec nous à midi ; c’est décidé, elle va se joindre à notre équipe présente, belgo-australienne, et donner un coup de mains pour l’après-midi. Cette arrivée spontanée d’une candidate franchement motivée me met de bonne humeur. En buvant le café, à la fin du repas, je me dis que c’est comme cela que j’aime notre maison. C’est comme cela aussi que nos visiteurs et visiteuses l’apprécient puisque les séparations sont presque toujours difficiles. La journée va se terminer autour d’une tarte aux abricots australienne, et d’un verre de St Joseph ardéchois. Le repas est un peu « foutoir » mais le moment partagé avec deux amis de passage est chaleureux. La moitié de la tablée est originaire « d’ailleurs », mais un joyeux méli-mélo linguistique permet d’échanger bien des idées. A propos d’idée, j’aime bien celle-ci, exprimée par Albert Jacquard : « Le seul critère de réussite d’une collectivité devrait être sa capacité à ne pas exclure, à faire sentir à chacun qu’il est le bienvenu, car tous ont besoin de lui. A cette aune-là, le palmarès des nations est bien différent de celui proposé par les économistes. »

marinaleda Heureuse époque – me dis-je in petto –  où les portes de quelques lieux sont encore ouvertes, de même que certains esprits. On peut dire du mal d’Internet, mais la Toile permet quand même de belles rencontres ! Les récits, les travaux, les cadeaux de tous ces voyageurs alimentent notre mémoire et peuplent notre vie de souvenirs agréables. Nous espérons que tout cela débouchera sur plus de coopération encore, plus de partage : réseaux pour produire de la nourriture, réseaux pour acheter de façon plus collective et plus intelligente, réseaux pour échanger semences, plants, ou simplement idées … Voilà quelque chose qui ressemble à la planète, au continent, au pays, à la région, au village où j’ai envie d’habiter… Propagande par l’exemple : nous sommes loin de leur Europe des privilèges, du fric et du commerce sans entraves des marchandises et du « prêt à penser ». Abolir les frontières, noble programme, surtout s’il ne s’agit pas de les déplacer et de raisonner simplement en termes de prisons un peu plus vastes. Liberté de voyager, de travailler, de penser sans se référer à un quelconque drapeau ou à une quelconque culture « supérieure ». C’est amusant d’ailleurs de voir à quel point ces gens qui nous gargarisent avec l’Europe ou avec l’espace Schengen, ont une sainte horreur des migrants… A peine ont-ils entrouvert une porte qu’ils ne parlent plus que de contrôles, de permis, de caméras, de surveillance des communications… On pourrait croire que les Roms trouveraient facilement leur place dans une Europe sans frontières… Grossière erreur : les politiciens qui nous manipulent jouent sur les mots comme sur les idées. Lorsqu’ils raisonnent, soi-disant au niveau planétaire, ils ne mettent pas derrière le vocable « mondialisation » ce que nous mettons nous (permettez mois ce « nous » qui englobe beaucoup de mes camarades connus ou inconnus) derrière la grande idée contenue dans l’Internationalisme. L’Europe telle que nous l’envisageons ce n’est pas celle du moins disant ! Bien au contraire !

citoyens-du-monde  Je signale au passage, même si cela peut se déduire aisément de mes propos antérieurs, que je n’irai pas voter dimanche. Le débat en cours ne concerne en aucun cas les idées que je mets derrière « leurs » mots. J’ai été sensible au départ, au fait que la création de l’Union européenne allait permettre d’instaurer une paix durable entre les différents Royaumes constituant cette entité continentale. Je fais partie de l’une des rares générations à n’avoir été impliquée dans aucun conflit local ou planétaire, et j’entends bien que cela continue pour les générations suivantes. Je n’ai aucune pudeur à défendre ce genre de privilège ! Mais l’enrobage de la propagande n’est plus suffisant pour faire passer l’amertume du contenu de la pilule. L’Europe dont nous rêvons se constituera au niveau des peuples et non des gouvernements et des chefs d’entreprise ; primauté du social et du culturel et non de l’économique et du politique. Nous aurons fait un grand pas en avant le jour où la personne qui se présente devant nous ne sera plus un « étranger » mais un être humain ; le jour où le fait d’arriver « d’ailleurs » sera considéré comme une richesse et non comme une menace ; le jour où nos ennemis communs seront clairement désignés et où nous aurons la force de les ignorer, et, si nécessaire, de les combattre.

touscdmJe n’irai pas voter car je n’adhère en aucun cas au concept de « forteresse européenne » qui est en train de se mettre en place. Je n’irai pas voter car je suis trop gourmand : citoyen du monde et non citoyen européen. Ce n’est pas seulement sur ce continent qu’il faut abolir les frontières ! Laissez-moi rêver d’un monde où la circulation sera libre pour les êtres humains qui le peuplent et pas seulement pour les films « made in Hollywood » ou pour les sacs de soja transgéniques. Produire et consommer local, d’accord, mais pas à l’ombre des miradors. L’objectif est aussi de sortir l’humanité de l’ornière nationaliste dans laquelle elle s’est peu à peu enfoncée. Il faut favoriser la circulation libre des personnes et surtout des avancées sociales et des idées. Sinon nous revivrons les conflits à l’échelle de la planète entière comme nous en avons déjà connu, mais il est probable, comme le pensait Einstein, que nous aurons du mal à nous en relever. La force nait de la diversité : la richesse des différentes cultures, leur libre confrontation sans chercher une quelconque domination des unes sur les autres, voilà le creuset d’où jaillira l’humanité nouvelle. Excusez cette phrase quelque peu pompeuse, mais, je l’avoue franchement, le style et les idées de l’illustre géographe Elisée Reclus m’ont profondément marqué (« Qu’est le patriotisme, pris dans son sens vraiment populaire, sous-jacent à toute phraséologie ? C’est l’amour exclusif de la patrie, sentiment qui se complique d’une haine correspondante contre les patries étrangères. La patrie et son dérivé le patriotisme, sont une déplorable survivance, le produit d’un égoïsme agressif ne pouvant aboutir qu’à la destruction, à la ruine des œuvres humaines et à l’extermination des hommes. » On trouve de si beaux textes sur l’internationalisme au fil de l’une de ses œuvres majeures : « l’homme et la terre »…

Notes explicatives pour les lecteurs irréguliers : (*) transformer une ancienne terre à maïs en parc arboré et en potager bio, un lieu ouvert où il fasse bon vivre quand par hasard on se repose… (**) nous sommes membres de l’association Help’x et hébergeons des voyageurs longue durée en échange de quelques coups de main bienvenus…

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