4 décembre 2014
La ferme bio de Songhaï, un laboratoire pour l’Afrique
Posté par Paul dans la catégorie : Feuilles vertes; le monde bouge .
Un reportage vu sur ARTE m’a donné envie de pousser la recherche un peu plus loin et de me renseigner sur le centre de recherches agricoles de Songhaï au Bénin. Voici le premier résultat de mes découvertes sur le web, résumé en quelques lignes. Plus le temps passe et plus le travail concret effectué sur le terrain pour se libérer de la dictature de la finance internationale m’intéresse. Quelques idées force guident ma démarche : développer l’autonomie économique, faire évoluer les esprits, mettre en place des techniques nouvelles. Celles-ci doivent être moins agressives à l’égard de l’environnement que celles préconisées par les diverses « révolutions vertes », et plus efficaces que les pratiques traditionnelles. Le projet Songhaï me paraît s’insérer dans ce cadre, même si certains aspects du mode de fonctionnement mériteraient, à mon avis, d’évoluer vers de nouvelles formes décisionnelles.
Commençons par un historique de cette réalisation remarquable. A l’origine du projet, il y a une initiative individuelle, celle d’un prêtre dominicain, Godfrey Nzamujo. Choqué par les images de famine en Afrique vues à la télévision dans les années 80, il a décidé de quitter la Californie où il avait grandi pour l’Afrique de l’Ouest. Il s’installe au Bénin, porteur d’un projet économique d’auto-suffisance alimentaire. Ses propos, jugés un peu farfelus par beaucoup d’autres dirigeants, ont attiré l’attention du gouvernement de ce pays. A l’époque, le président Mathieu Kérékou est considéré comme plutôt à gauche (de culture marxiste) sur l’échiquier politique africain. En 1985, pour lancer son projet, le prêtre se voit allouer une parcelle de terre agricole d’un hectare de superficie, à côté de Porto Novo, ainsi que quelques aides financières. La terre qu’on lui a confiée est malade : l’abus d’intrants chimiques a littéralement stérilisé le sol qui a perdu sa fertilité originelle. Le manque d’eau se fait ressentir cruellement. Avec le groupe de jeunes volontaires qui s’intéressent à son projet, Godfrey Nzamujo se met tout de suite à l’ouvrage. Le premier travail effectué est le creusement d’un puits pour pouvoir irriguer convenablement les premières cultures. Les fondateurs du projet ne manquent pas d’énergie et d’enthousiasme et les premiers résultats obtenus sont encourageants.
A Songhaï, on ne veut utiliser ni engrais chimiques, ni pesticides. Dès le départ les méthodes agricoles employées s’inscrivent dans le cadre des règles de l’agriculture biologique. Pour fertiliser les sols, une activité d’élevage se développe parallèlement à la mise en culture des terres. L’objectif est d’atteindre le plus rapidement possible l’autosuffisance de la communauté : autonomie en matière d’alimentation, mais aussi dans d’autres domaines… La superficie des terres cultivées s’accroit lentement mais sûrement. De nouveaux bâtiments sont construits, permettant l’accueil de volontaires plus nombreux, mais aussi de stagiaires et même de visiteurs dans le cadre d’un projet d’écotourisme. Plusieurs unités de production de méthane sont mises en place en utilisant les déjections animales. Le gaz produit permet le fonctionnement d’unités de production électrique. Tous les engrais utilisés sont produits sur place et les déchets de l’exploitation sont valorisés jusqu’à la dernière limite, grâce au compostage ou à la production de biogaz. En plus de la volaille, Songhaï élève des porcs et des poissons en bassin. L’eau provenant des bassins est utilisée elle aussi pour fertiliser et irriguer les cultures. Un atelier de mécanique est ajouté à la ferme : non seulement on répare le matériel agricole sur place, mais on le fabrique grâce à la récupération de pièces sur des machines hors d’usage. Un atelier de transformation a été construit. Les aliments sont préparés sur place de manière écologique. Le biogaz est utilisé dans les cuiseurs. Différents procédés sont employés : séchage, conserverie… Les produits transformés alimentent ensuite le restaurant ou la boutique du centre. Il est possible d’acheter jus de fruits, yaourts, confiture, céréales diverses, charcuterie, pâtisserie… à des prix rivalisant sans problème avec ceux des denrées importées. Le recyclage final des eaux usées est effectué grâce à un procédé de filtration naturelle, un bassin couvert par les jacinthes d’eau. Ces plantes ont une capacité de filtrage organique importante.
En 2014, la ferme de Songhaï exploite 24 hectares de terre. Le centre a été désigné « centre d’excellence pour l’agriculture » par les Nations Unies, et commence à essaimer : plusieurs fermes sont en cours d’installation dans les pays voisins. Un label de qualité a été mis au point et les produits sont transformés et commercialisés sur place dans une boutique ouverte à la clientèle locale. L’objectif d’autosuffisance a été atteint sur le plan alimentaire. Non seulement la ferme nourrit ses employés, ses stagiaires et ses visiteurs, grâce à un centre de restauration, mais elle est en mesure de revendre ses excédents à l’extérieur. Outre l’essaimage et un important objectif de formation, les projets sont nombreux pour développer le centre. La visite de Songhaï figure au programme de plusieurs agences de tourisme spécialisées dans le tourisme vert. Elle intéresse aussi les associations qui travaillent dans le domaine de l’économie solidaire. Plusieurs milliers de visiteurs défilent à Songhaï chaque année. Les stages de formation sont gratuits pour les citoyens béninois et payants pour les étudiants venus d’autres pays d’Afrique. Ces dernières années ce sont plusieurs centaines d’élèves-fermiers qui sont accueillis chaque année. La formation dure 18 mois et alterne théorie et pratique. Ce nombre donne une idée de la dimension du centre. Ces rentrées d’argent extérieur (stagiaires et touristes) aident au financement du développement. Quant aux stagiaires, ils sont incités à créer de nouvelles fermes bio dans leur communauté d’origine. Ils intègrent ensuite le réseau Songhaï, bénéficient du label de qualité, et, s’ils le souhaitent, peuvent commercialiser leur produit en utilisant les services de la structure. Mais l’objectif reste avant tout l’essaimage et non la centralisation. Trois cents fermes environ ont été créées au Bénin par les étudiants formés à Songhaï.
Dans les différentes sources d’information que j’ai pu consulter, peu d’informations sont données par rapport au modèle économique de fonctionnement du centre de formation. Songhaï a le statut associatif d’une ONG. Le mode de fonctionnement semble tout à fait classique. Le rapport traditionnel patron/salariés semble être la règle. J’ignore totalement dans quelle mesure les employés sont associés au processus décisionnel. Les statuts évoquent l’existence d’une assemblée générale et d’un conseil d’administration, mais ne détaillent pas qui fait partie et comment sont choisis les membres de ces deux structures. Il est question aussi, sur le site de présentation de la ferme, de l’existence d’un « Think tank », « creuset de réflexion ». De quelle manière les 150 salariés permanents participent-ils (si participation il y a) aux décisions relatives au fonctionnement interne, à l’évolution du projet ? Ces points ne sont pas éclaircis. Cet aspect du problème est important et il serait souhaitable qu’une dynamique d’autogestion semblable à celle qui est mise en place dans les coopératives de production soit initiée. L’acquisition de l’autonomie économique est une dimension du problème ; la politique de développement visant à rendre l’être humain réellement partie prenante dans le processus de changement mis en œuvre en est une autre, également essentielle à mes yeux. Dans ce domaine-là, d’autres expériences du même type ont montré leurs limites et leur caractère exclusivement réformiste. Je ne dis aucunement cela pour dénigrer ce projet remarquable, mais certains propos me paraissent un peu flous… Dans la page de présentation de Songhaï on trouve des déclarations d’intention qui prêtent à discussion par leur côté un peu élitiste : « Un principe central de l’initiative « Songhaï » est que la seule façon de lutter contre la pauvreté de manière effective est de rendre les pauvres productifs. Les initiatives socio-économiques sont donc appelées à faire émerger une masse critique de jeunes, hommes et femmes, capables d’exercer un leadership et dotés des compétences nécessaires à la création de la richesse à travers les entreprises plus humaines et durables. »
Godfrey Nzamujo, le fondateur, reste un personnage clé au centre du projet. Sans que son statut ne soit érigé au rang de celui de gourou (le fonctionnement de Songhaï n’a rien de sectaire), il paraît évident qu’il reste le référent incontournable pour toute décision fondamentale. Même s’il a rédigé un premier ouvrage (« Quand l’Afrique relève la tête ») pour expliquer le développement de la ferme, pour le fondateur du centre, l’heure du bilan n’a pas encore sonné. Son enthousiasme est intact et il compte bien aller de l’avant ! Il considère que Songhaï « fait face au triple défi de l’Afrique d’aujourd’hui : la pauvreté, l’environnement et l’emploi des jeunes» et souhaite multiplier les expériences similaires. Il peut être fier de l’œuvre accomplie avec ses compagnons : les rendements des terres n’ont plus rien à voir avec les rendements d’origine. La culture du riz a été introduite, car la consommation de cette denrée, importée pour l’essentiel, augmente de façon exponentielle en Afrique. A l’origine, le rendement de chaque récolte s’élevait à 1 tonne par hectare. Il est aujourd’hui multiplié par 7, et ce avec trois récoltes chaque année. Le sol, nourri de façon équilibrée, est en bien meilleure santé. L’activité microbienne a été stimulée par une fertilisation intelligente. Cela démontre amplement que les rendements peuvent être élevés, la qualité des sols améliorée, sans avoir besoin de l’aide intéressée des multinationales de l’agrochimie. Songhaï fait partie des expériences qui permettent à la FAO d’estimer que l’agriculture biologique serait largement en mesure de nourrir la planète, sous réserve que l’on fasse un effort suffisant de formation dans tous les pays. Le maintien d’une agriculture familiale, rentable, assurant une rémunération convenable des personnes qu’elle emploie, est tout à fait possible. Reste encore à mettre en place la volonté politique et/ou populaire que cela se fasse !
Une petite précision historique, pour conclure, concernant l’origine du nom de la ferme. « Songhaï » désigne un prestigieux empire africain fondé à Koukia au VIIème siècle et qui a duré jusqu’au XVIème siècle. A son apogée, sa puissance et son influence en Afrique de l’Ouest étaient considérables. Sa capitale était la ville de Gao, actuellement au Mali. L’Empire s’effondra en 1591, suite à l’invasion des armées du Sultan marocain Ahmed al-Mansur Saadi. Il donna naissance à une douzaine de principautés de moindre importance (merci Wikipedia !).
4 Comments so far...
François Says:
4 décembre 2014 at 22:10.
Que voilà un beau projet, même si, comme tu le soulignes, il y aurait quelques zones d’ombre à éclairer. C’est ce genre de projets qui fera vraiment avancer le monde. On y pense pas mal aussi de notre côté.
Et on peut aussi connaître le Songhaï en jouant à Civilization V 😉
Zoë Lucider Says:
9 décembre 2014 at 22:42.
J’avais entendu parler de cette expérience. Il y a d’autres « héros » de ce type en Afrique dont on n’entend jamais parler. Merci Paul.
Connaissez-vous le livre de Bénédicte Manier « Un million de révolutions tranquilles »?
Paul Says:
10 décembre 2014 at 08:45.
@ Zoë – Non je ne connais pas cet ouvrage, mais du coup ma curiosité habituelle fait que je vais essayer d’y donner un coup d’œil. Merci en tout cas pour ce complément d’infos.