12 avril 2015
Par une belle journée de printemps…
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour...; Notre nature à nous .
Sur quel thème pourrais-je bien écrire, pour avoir une chance d’éveiller une lueur d’intérêt dans le regard d’un lectorat qui me paraît plutôt contemplatif, à moins que ce ne soit lourdement dubitatif, voire même carrément frappé d’asthénie ces dernières semaines. Vous avez eu votre lot de digressions à la télé et dans la presse sur les pilotes suicidaires, la sénilité chez les Frontistes, l’imbroglio yéménite et le cynisme chez les cadres du parti de la rose youplaboum tralala… Je ne vais pas en remettre une couche ; je ne suis pas pervers à ce point là. Un certain nombre de camarades – je les comprends et je les admire – sont descendus dans la rue pour une promenade syndicale encadrée et balisée, afin d’exprimer leur ressentiment à l’encontre d’un gouvernement qui ne gouverne que pour les patrons. Ils l’ont dit clairement : ras le bol de l’austérité. Les médias ont parfaitement relayé leur démarche en gardant un silence assourdissant sur cet épisode social qu’ils estimaient passéiste et improductif. C’est beaucoup plus lucratif (en terme d’audimat) de s’appesantir sur les fausses querelles familiales de la droite populiste, sur les enseignants qui s’intéressent surtout à la sexualité de leurs élèves, ou sur l’efficacité des mesures antipollution parisiennes.
Je compulse les notes que je prends à tout bout de champ, les pistes de chroniques, les chemins méconnus que j’aimerais explorer. Si je m’écoutais, je vous parlerais bien compost et radis, chant du coucou et floraison des viornes… mais certains vont m’accuser de recourir à l’art du « marronnier » ; toutes les années la même rengaine : au printemps l’herbe pousse, on plante des pommes de terre et on s’extasie sur la beauté des fleurs de l’amélanchier (avec photos à l’appui). Est-ce ma faute, dans cette société où il faut sans arrêt du neuf, du pétillant, du kistrémousse, si le printemps a la curieuse idée de revenir une fois par an ? Dois-je faire remarquer qu’en plus, ce printemps on l’espère, à l’issue d’un hiver un peu longuet qui nous a apporté son lot de rhumes, de grippes et d’automobilistes pris en otage par la neige qui a la triste habitude de tomber du ciel chaque année pendant cette saison qu’on appelle « mauvaise » ? Dois-je insister sur le fait que le verdissement des arbres, la poussée fringante de l’herbe, l’imagination colorée des fleurs sont des baumes dont notre cœur endolori a besoin ? Faut l’admettre : le printemps c’est beaucoup plus ringard que la dernière montre connectée de la pomme californienne, mais ça fait du bien par où ça passe.
Je suis toujours sidéré par l’énergie que demandent, chaque année de douze mois, un potager, un jardin fleuri, un coin de verdure pour se mettre en ordre de marche. Arracher des pommes de terre, des dahlias, des oignons… à l’automne, pour les remettre en terre ensuite au mois d’avril. Semer ces fichues graines de fleurs dans un terrain que l’on a au préalable nettoyé, amendé, biné, bichonné… Prier notre mère la terre ou le Saint Bouddah pour que les chattes ne grattent pas les semis, que les limaces ne ravagent pas les plantules, que les rattes ne se fassent pas un régal de ces bulbes juteux avant même le lever du rideau et l’arrivée des spectateurs. Des heures, que dis-je des jours ! de travail pour une représentation qui ne durera qu’un mois ou deux, trois ou quatre pour les fleurs les plus généreuses. On devrait dresser un monument à la gloire de (au choix) la bêtise, la naïveté, l’inconscience, la persévérance… des jardiniers. Il y a des jours où je me dis que les écologistes qui pensent qu’il faut laisser la nature se démerder toute seule n’ont pas complètement tort… Sauf sur le plan nourricier : difficile de ramener les quelques milliards de terriens à l’époque bénie (?) de la cueillette nomade. Les pommes de terre, il faut bien que quelqu’un s’y colle sinon « Germaine adieu les frites et l’aligot ! »
Il faudra peut-être un jour que l’homme arrive à trouver un équilibre dans ses relations avec la nature ; un état intermédiaire entre la béatitude mystique de certains olibrius (prolongation directe du « regardez les oiseaux du ciel, le seigneur patati patata »), et le délire de ceux qui ne voient d’horizon que du côté de la multiplication des ouvrages bétonnés, de la production industrialisée des salades et des steaks et des pesticides miraculeux qui n’empoisonneront plus jamais personne. Une position raisonnée ferait l’affaire si tant est que l’homme moderne soit encore capable de raisonner sur quelque chose, sans avoir besoin de déménager en Land Rover au milieu du désert et d’adopter la position du lotus en regardant les étoiles : « mon dieu que dois-je faire ? Aller à un meeting d’EELV ou faire une cure minceur avec un gourou indien ? » Pardonnez cette dérision facile mais il y a des gens qui me gonflent en cherchant la solution de problèmes sociaux en contemplant les circonvolutions cérébrales de leur nombril. Moi, mon truc, quand j’ai fini de lire les derniers bouquins passionnants édités par l’Atelier de Création Libertaire, c’est de comparer le goût des radis ronds ou longs, blancs ou roses, et de les déguster avec une tranche de pain tartinée de beurre salé (ne jamais fumer le radis rose !) Je rêve de radis autogérés. Au fait, messieurs les biologistes, le radis noir et rouge c’est pour quand ? C’est que c’est politique le radis, mon p’tit gars, comme le reste ! comme le reste !
J’avance à grands pas vers la sortie… Cinquième paragraphe d’un opus dont je ne vois pas encore très bien l’aboutissement, mais qui m’aura permis de vous parler encore « jardin », « nature » et « printemps », en changeant un peu la formule habituelle. Je reconnais que ça manque un peu de consistance sur le plan politique, mais même le drapeau noir, en ce moment, quand je vois certains qui le brandissent, j’ai – comme qui dirait – des doutes. Je vais me faire traiter d’élitiste – tant pis mais j’assume : il y a des jours où je me dis que l’idée libertaire est une idée trop noble pour être mise entre les mains de gens qui n’ont pas encore compris qu’ils allaient déguster du pain de ferme bio cuit au four à bois, à la place de la merde collante sous plastique qu’ils avaient l’habitude de mâchonner. Je pardonne à Yanis Varoufakis, le ministre des finances grec, de s’autoproclamer « marxiste libertaire ». J’attends simplement des preuves de ses assertions et je me demande ce qu’il fout dans ce gouvernement (enfin bon, y’a bien des copains anars, des vrais, qui se sont fait piéger pendant la révolution espagnole en 1937). Par contre quand je vois les médias accoler l’étiquette « libertaire » à côté du nom de l’un des candidats républicains aux primaires de son parti aux Etats-Unis (Rand Paul), j’avale (non pas mon dentier puisque j’en ai pas) mais mon radis rond blanc de travers, au risque de finir prématurément mes jours sans avoir admiré les jolies fleurs des cœurs de Marie qui vont s’ouvrir bientôt ! Perso, quand j’invite des copines et des copains à une tea party, c’est pas le même genre mal famé. Ils n’ont pas besoin d’enfiler leur costume du Ku-klux-klan.
J’espère que ces quelques lignes vous auront au moins distraits pendant vos mornes heures de bureaux, à moins que ce ne soit pendant la pause réglementaire de trente minutes, sous l’œil du patron, pendant laquelle vous devez aller aux toilettes, lire la Feuille Charbinoise et manger votre sandwich cresson, jambon cru, au fromage de chèvre fermier. Si des projets plus folichons vous tiennent à cœur, n’attendez pas le « burn-out » qui vous guette dans cette boite de merde. Utilisez la clé des menottes qui se trouve dans votre poche de gauche ; écrivez une belle lettre d’insultes au milliardaire qui vous a versé le Smig pendant des années et des années pour vous remercier de votre aide à son enrichissement personnel ; envoyez tout balader. L’année 2015 aura ainsi une place spéciale dans vos annales personnelles. Merci d’éviter les commentaires genre « c’est facile à dire mais… » Je m’en doute, je n’ai jamais largué quoique ce soit de cette manière là. Sûr que mon psy dirait que je cherche à vivre mes fantasmes par délégation. Il faut dire qu’il cause bien mon psy… Mais je ne vais jamais le voir : je pratique la thérapie par osmose avec la métempsychose du radis blanc (*).
Pardonnez-moi cette intrusion dans votre vie privée, mais je me demande, au fond, si ce n’est pas ce que vous aviez envie que j’écrive ? Bon vent et vive la marine à voile ! (**).
Notes didactives : (*) Même dans le domaine du jardinage bio on nous ment : les radis blancs ont un peu de rose autour du collet.
(**) Putain, qu’est-ce que je vais bien pouvoir foutre comme illustrations à un billet pareil ? Un jour, je ferai un jeu concours du genre « proposez vos photos qui vont bien ! A votre bon cœur ! »
7 Comments so far...
Anne-Marie Says:
14 avril 2015 at 11:56.
Le printemps je l’attends chaque année en me demandant « ne va-t-il pas nous faire un jour faux bond ? »; il aurait sans doute raison, nous détruisons tout autour de nous.
J’admire chaque fois cette renaissance de la nature, la puissance de la vie et le bonheur de contempler toute cette beauté.
« L’avenir est inévitable, mais il peut ne pas arriver. (Jorge Luis Borges)
la Mère Castor Says:
14 avril 2015 at 13:54.
merci pour le printemps et les radis, je prends tout (et j’ai tout lu, bien d’accord sur les regardeurs de nombril et autres EELV… )
Lavande Says:
14 avril 2015 at 21:48.
(ne jamais fumer le radis rose !): tu es en panne de moquette?
Lavande Says:
14 avril 2015 at 21:56.
Sinon une belle phrase de François Maspero (ma spero = mais j’espère) qui est parti samedi dernier:
« Finalement, qu’ai-je tenté d’autre que ce que fit don Pedro d’Alfaroubeira qui, avec ses quatre dromadaires, courut le monde et l’admira ? Il est encore permis de rêver d’un monde sillonné d’innombrables dromadaires conduits par des hommes occupés, le temps de leur passage sur terre, à l’admirer plutôt qu’à le détruire ».
Lavande Says:
16 avril 2015 at 22:55.
Je dédie la phrase ci-dessus à mon neveu conteur franco-québécois.
Paul Says:
17 avril 2015 at 08:10.
@ toutes – Merci pour vos commentaires ! Très belles citations de Maspero et Borges… Je ne suis point prompt à réagir car les radis monopolisent une bonne part de mon temps, d’autant que je souhaite les accompagner de pommes de terre (eh oui le lilas a fleuri alors on plante), de petits pois et autres gaudrioles. Mais je surveille de près vos pirouettes littéraires…
Yvanne Says:
20 avril 2015 at 02:15.
Ce n’est pas encore cette année que j’aurai un (bout de) jardin potager. Déjà fin avril et je n’ai pas eu de temps à y consacrer. Mais quand je vois ces histoires de radis me rappellent la recette de soupe aux radis que j’ai pas encore eu l’occasion d’essayer. Bref, ça faisait un petit moment que je n’étais pas venue consulter la feuille charbinoise et c’est un délice de la retrouver. En direct d’un poste de nuit, bisous.