4 mai 2015
La révolte des « Tards avisés » à Cahors en 1707
Posté par Paul dans la catégorie : les histoires d'Oncle Paul; Un long combat pour la liberté et les droits .
La Révolution Française en ligne d’horizon
« Il est arrivé, depuis trois mois, plusieurs petits désordres dans ce département au sujet du contrôle des bans de mariage, extraits baptistaires et mortuaires, que j’ai apaisés sans vous en rendre compte, le tout n’étant pas considérable ; mais, depuis trois jours, il y a eu une émeute au lieu de Catus, à deux lieux de Cahors, qui pourroit avoir des suites très fâcheuses, si on n’y remédioit. Sept ou huit cents habitants des communautés voisines s’y donnèrent rendez-vous pour tuer les commis, brûler les maisons et enlever les registres. Un des commis s’enfuit : la populace enfonça les portes de la maison, la pilla et enleva les registres ; l’autre les donna volontairement aux mutins pour sauver sa vie et ses meubles. Il y a cinq ou six personnes de blessés. Pour calmer ce désordre et en arrêter les suites fâcheuses, j’ai envoyé trente grenadiers du régiment de Normandie, commandés par un officier sage, pour s’assurer des coupables et intimider cette troupe mutine. Cependant je crois qu’il est de la prudence de punir ces gens-là par la bourse suivant leurs facultés sans autre punition plus éclatante, étant bon d’assoupir ces sortes d’affaires dans le temps où nous sommes. Si cependant cela pouvoit avoir quelque suite, j’irois moi-même sur les lieux avec des dragons de Fimarcon, et je vous promets de mettre cette canaille à la raison, sans que vous en entendiez parler davantage. Ainsi, cela ne doit point vous alarmer. » (Lettre de Monsieur le Gendre de Lormoy, intendant à Montauban, au contrôleur général. 9 mars 1707. »
Un rien les exaspère ces paysans au bon vieux temps de la monarchie absolue… Un jour c’est un problème de taille ou de gabelle ; à une autre occasion c’est la cherté du pain, à moins que ce ne soit la création de nouvelles taxes ou les ravages occasionnés par le passage des armées en campagne… C’est le cas en 1707 : la France est engagée dans la guerre de succession d’Espagne qui s’éternise. La campagne militaire ruine le pays. Les caisses sont vides et l’imagination des grands argentiers tourne à plein régime ! Voilà que le pouvoir décide d’instaurer un impôt sur les baptêmes, les mariages et les décès. Pourtant, à l’époque, ces sacrements sont, avant tout, affaire d’église, et l’ingérence des agents du Roi dans cette affaire est assez mal perçue. Il va falloir payer pour un service gratuit jusque là. Ceux qui vont empocher l’argent n’ont rien à voir avec la cérémonie. L’excuse pour faire admettre une telle mesure, c’est d’améliorer la tenue des registres d’état-civil et de confier leur gestion à l’administration plutôt qu’au clergé. Non seulement le nouvel impôt indigne ceux qui en sont les « victimes », mais c’est surtout la vigueur avec laquelle les receveurs des tailles tentent de le recouvrer qui exaspère. En cas de carence ou d’insuffisance de paiement, les commis procèdent à des saisies de biens mobiliers, vendus ensuite à des prix misérables. Les frais de recouvrements calculés par ces bandits excèdent parfois le montant de la dette. Les agents du fisc recourent fréquemment à la violence et causent de nombreux dommages dans les domiciles des débiteurs. Bref, la classe laborieuse, paysans, artisans, commerçants, n’apprécie guère ces pratiques.
La révolte gronde dans la campagne quercynoise. Il ne manque qu’une étincelle pour que le monde paysan s’embrase… Les événements vont aller très vite : un premier rassemblement mobilise deux ou trois cents personnes. En peu de temps, la troupe d’insurgés grossit ; ils sont maintenant trente mille et ne font qu’une bouchée de la garnison de la bonne ville de Cahors au grand étonnement de la bourgeoisie et de la noblesse locale qui n’imaginaient pas le petit peuple si remuant ! La lettre de Monsieur le Gendre publiée en avant-propos en témoigne. Le Quercy n’est pas la seule région de France où l’on s’agite. Je vous invite à relire (entre autres) la chronique que j’avais publiée sur Pierre Grellety et ses croquants, même si les événements relatés se sont déroulés quatre-vingt ans auparavant. En ce début du XVIIIème siècle, Béarn, Agenais, Périgord… il semble que tout le Sud-Ouest soit au bord de l’explosion. Pourtant, les premiers incidents ne sont guère pris au sérieux par l’état-major qui, par tradition, n’a que mépris pour la populace, ses bâtons et ses faux. Essayons de reprendre le fil rouge des événements.
Le 9 mars 1707, la révolte éclate dans le village des Arques à cinq lieues de Cahors. Les premiers insurgés s’emparent des registres des contrôleurs et brûlent leur domicile pour se venger. Ils ne sont que deux ou trois cents, mais le bruit de leur agitation se répand comme une trainée de poudre. D’autres villages suivent l’exemple des émeutiers des Arques : à Belaye, à Sérignac, on pille quelques demeures et on brûle des documents administratifs. La troupe grossit et le mouvement prend de l’ampleur. Ils se retrouvent plusieurs milliers au bourg de Mercuès. L’intendant de Montauban se rend sur place pour tenter de calmer la foule. Il interroge les meneurs (ou tout au moins les plus échauffés, car il semble que de meneurs véritables, il n’y en ait point eu…) et leur demande le motif de leur colère. La remise en question du nouvel impôt apparait comme la revendication principale. Accablés par les exigences du fisc, les insurgés expriment le fait qu’ils sont « loyaux serviteurs du Roi », qu’ils veulent bien payer la taille et la rente du Seigneur, mais qu’ils sont trop pauvres pour payer d’autres taxes. Monsieur le Gendre écoute les vociférations de la populace puis s’éclipse discrètement et regagne ses appartements. Ce n’est pas avec la dizaine de soldats qui l’accompagnent qu’il va disperser le rassemblement, d’autant qu’il ne songe nullement à satisfaire aux revendications. Les pourparlers échouent donc et les émeutiers décident de s’emparer de la ville de Cahors pour faire entendre leur revendication. Avant, il leur faut grossir leur troupe et mobiliser les compères des paroisses avoisinantes. Ils vont déployer une grande énergie pour cela et n’ont guère de mal à faire grossir les rangs de leurs partisans. Ils n’hésitent pas à recourir à la menace pour inciter leurs compatriotes à les suivre.
Une première démonstration de force a lieu devant les murailles de Cahors. Les insurgés sont au nombre de trente mille. Ils sont bien décidés à franchir les portes. Les premiers incidents qui ont lieu leur sont plutôt favorables : ils s’emparent d’un chariot de poudre et de balles destiné à la garnison de la ville, après avoir quelque peu malmené l’escorte du convoi. Le Comte de Boissière ayant en charge la défense de la ville décide de parlementer et promet aux insurgés d’intervenir en leur faveur auprès du grand Intendant. Il leur promet aussi d’intercéder auprès du Roi pour obtenir une diminution de leurs impôts. Bien entendu, ces promesses n’engagent que leur auteur et ne reposent que sur du vent. Mais les « Tards avisés » sont bien crédules. Ils estiment que leur démonstration de force est suffisante et décident de se disperser et de retourner dans leurs foyers. L’arrivée à marche forcée depuis Montauban du Maréchal de Montrevel n’est certainement pas étrangère à cette décision, d’autant que deux régiments de dragons accompagnent le Maréchal : ils ont été soustraits aux renforts envoyés en Espagne. Ce sont des troupes bien entrainées… Cette fois, le pouvoir prend le problème au sérieux, d’autant que, selon les rumeurs, les troubles gagnent le Périgord et l’Agenais voisin. Le Comte de Boissière quitte Cahors pour Paris, mais les raisons de son voyage n’ont que peu de rapport avec les promesses faites aux mécréants !
Le calme dure jusqu’au 6 avril 1707 puis les troubles reprennent. Le 2 mai, une bande de plusieurs centaines d’hommes armés se rassemble à Sérignac. Pour disperser le rassemblement les autorités envoient une troupe de dragons logés à Floressas. Les récits sur le déroulement des événements qui surviennent divergent quelque peu selon les sources. Soit les insurgés ont évité l’affrontement et se sont dispersés à nouveau ; les dragons les ont alors pourchassés et les ont affrontés sans pitié ; soit le face à face à eu lieu et les insurgés se sont purement et simplement débandés à la première salve tirée par les dragons. Le bilan est lourd en tout cas : une centaine de paysans sont blessés ou tués. Six prisonniers sont exécutés par pendaison sur ordre du Grand Intendant : deux à Sérignac, deux à Mercuès et deux à Montauban, afin d’impressionner les populations. Les dragons s’emparèrent également d’un nommé Couailhac, originaire de Saint Pantaléon, qu’ils considéraient comme un « meneur ». L’homme fut conduit à Cahors pour y être rompu vif, mais il s’évada en chemin. En fait, contrairement à ce qui se passa lors d’autres révoltes de croquants, il semble que la répression n’ait pas été trop féroce après les événements. Les villages de la périphérie de Cahors durent cependant supporter pendant le reste de l’année 1707 la charge de la présence des troupes et ce fait, à lui seul, entraina la ruine de nombreuses familles. Fin mai, cependant, l’ordre régnait à nouveau ainsi qu’en témoigne cette lettre d’un certain Monsieur Foulhiac :
« Enfin la tranquillité est rétablie non seulement dans cette province mais encore dans le Périgord où le feu de la sédition sétoit communiqué par les frontières du Quercy. Tout ceux qui avoient pris les armes les mettent bas sur la nouvelle de la venue de M. le Maréchal et de M. l’Intendant qui furent à Villefranche de Périgord le dernier du mois de mai. Le lendemain M. le Gendre revint ici pour s’en retourner à Montauban comme il fit le jour suivant et M. le Mareschal s’en alla coucher à un lieu qu’on appelle Castelnau, auprès d’un autre qu’on appelle Campagniac où la révolte avait esté la plus générale. Il pardonna néanmoins les habitans à condition qu’ils poseraient leurs armes au château, ce que n’ayant pas voulu exécuter après que les députés le luy eurent promis, il donna ordre de mettre le feu à toutes les maisons. Alors les habitans vindrent luy crier miséricorde et rendirent aussitôt leurs armes. […] »
On voit quelles méthodes furent utilisées pour calmer les esprits ! Que l’on ne se méprenne pas cependant sur le sens de cette révolte, même si le titre de ma chronique fait allusion à la Révolution Française de 1789. La monarchie, en l’occurrence le pouvoir de Louis XIV à ce moment-là, n’est nullement remise en cause. Ce n’est point l’autorité royale que l’on conteste mais les abus que commettent ceux qui la servent. Un grand nombre des émeutiers considère que le Roi ignore les tourments dans lesquels ils se débattent. L’un des objets de ces violentes manifestations n’est point d’outrager le Roi mais simplement de l’informer. « Vive le Roi, sans gabelle ! » crient bon nombre de paysans insurgés. L’heure de la guillotine n’a pas encore sonné.
Sources documentaires et illustrations : Les gravures publiées dans cette chronique n’ont qu’un rapport limité avec le texte. Les « Tards-avisés » n’ont pas eu la bonne idée de « balancer » leurs images sur Twitter et Facebook. Le mouvement n’a pas fait suffisamment de bruit pour intéresser chroniqueurs de l’époque et portraitistes ! L’absence de leader pour « personnifier » le mouvement explique aussi le peu de traces historiques. Pour écrire ce billet, je me suis servi de documents disponibles sur « gallica », le site de la BNF, ainsi que d’une étude publiée sur le site « floressas.com « . Je sais qu’il existe un bon ouvrage sur le sujet ; celui rédigé par Mme Miton Gossare et publié par les éditions L’Hydre en 1998. Je vous invite à vous y reporter pour une histoire plus détaillée.
One Comment so far...
Patrick MIGNARD Says:
16 mai 2015 at 15:29.
Très intéressant récit d’un épisode que je ne connaissais pas. Il illustre bien les constantes historiques de toute contestation, de toute révolte : la perfidie des hommes de pouvoir et l’indétermination chronique des révoltés. Le récit de ces évènements donne une autre épaisseur à l’Histoire officielle qui nous est plus ou moins présentée comme une épopée « hollywoodienne ». Merci Paul pour ces épisodes…