16 juin 2015

Yé bé (attitude)

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; philosophie à deux balles .

Genre de chronique vaguement philosophique, mais faut faire avec !

OLYMPUS DIGITAL CAMERA  V’là la fin du printemps qu’arrive, le muguet qu’est passé, les somptueux weigélias qui ont fané,  les feux de la St Jean bientôt allumés… et bien peu de chroniques publiées ces derniers mois. Yé bé ! On se la coule douce chez les retraités en zone rurale… S’agirait-il d’un concept nouveau, le viaduc, qui permettrait de relier tous les ponts entre-eux, du 1er mai au 15 août ? L’an 015 serait-il l’an 01 ? Que nenni mes doux agneaux et mes douces agnelles (le féminin ne passe plus forcément en premier, c’est discriminatoire) ! C’est juste le potager qui veut ça : la dictature du haricot. Ce n’est pas la faute des patates : cela fait déjà un moment que j’ai butté le dernier pied (à la binette et pas à la Kalachnikov). Les premières commencent à sauter gaiement dans la poêle. C’est sans doute un peu aussi à cause des tomates ; ces belles dames demandent une attention de tous les instants : tuteurage, taille, surveillance de ce maudit mildiou que les orages à répétition du mois de juin encouragent… Quand par hasard j’arrête de torturer mon dos, c’est pour prendre le temps d’admirer le spectacle en plusieurs actes que nous offre généreusement Mère Nature au printemps. Fier de l’ouvrage accompli, je me vautre ensuite sur mon fauteuil et je me délecte de la lecture de quelques bons ouvrages culturels en diable : de la culture terrestre à la culture culturelle en quelque sorte. Et s’il n’y avait que le jardin ! L’enthousiasme printanier nous pousse aussi sur la voie des réaménagements de notre territoire domestique. Comme le lérot, mais bien avant l’automne, nous habillons notre terrier de nouvelles mousses fraîches et odorantes pour mieux hiberner.

instant the Cette agitation domestique me vole une grande partie de mon temps mais ne m’empêche point de m’intéresser aux turpitudes de l’actualité mondialo-franco-hollandaise. Je lis ce qu’en disent quelques autres blogueurs amis·amies et je trouve leur propos suffisamment explicite, leur écriture suffisamment talentueuse et leur humeur suffisamment ravageuse pour ne pas avoir besoin d’y ajouter mon grain de sel (ou seulement un petit peu !). Je prends quelques notes pour mon prochain « bric à blog », histoire de garder les pieds sur terre. J’amasse des monticules d’idées pour mes prochains billets… Je cherche surtout quelques notes d’optimisme, au couchant comme au levant, histoire de ne pas trop sombrer dans la morosité. Les étincelles ne manquent pas pour allumer des feux de joie, mais ce sont les rapports de force qui m’inquiètent : l’énergie des quelques centaines, des quelques milliers de personnes qui se battent avec conviction et courage sera-t-elle suffisante pour contrer l’inertie mortifère des masses indifférentes ou vociférantes ? Combien de défenseurs pour les sans-papiers traqués par la police ? Combien de moutons qui hurlent avec les loups pour dénoncer le « péril étranger » ? Combien de militants conscients du « péril en la demeure » instauré par les pratiques délirantes des grands groupes financiers ? Combien de consommateurs prêts à voir disparaître jusqu’à leur propre emploi, pour acheter, toujours moins cher, les pacotilles que les cargos venus d’Asie entassent dans les gondoles des centres commerciaux ? A chaque fois on a l’impression du combat entre le pot de terre et le pot de fer. Trop souvent, l’écologie ne devient qu’une marchandise de plus : les multinationales vendent de la coccinelle, du solaire ou du « sans pesticides » comme elles ont vendu auparavant du lindane, du gazoil ou des yaourts à la soude caustique. Si le « durable » rapporte plus, alors soyons « durables » chers actionnaires.

jeu_de_patience Ces propos nous éloignent de la Yé bé(attitude) que j’aimerais tant afficher. Dans une chronique précédente je dénonçais les méfaits de l’exode urbaine dans nos campagnes. D’une part quelques courageux prêts à changer radicalement de mode de vie et à impulser une dynamique nouvelle ; d’autre part quelques dizaines ou centaines de milliers de délocalisés de la banlieue, ardents consommateurs de loisirs mécaniques, vivier prolifique pour les milices rurales que les maires émules de la droite extrême rêvent d’instaurer dans leurs communes… L’actualité dans son ensemble est un peu comme cela. On arrose de milliards de dollars les zones de conflits, histoire que la mèche continue à brûler pendant des mois et des mois…  Pendant ce temps-là, quelques ONG peinent à trouver des sommes mille fois inférieures qui permettraient d’installer un accès à l’eau potable dans un village en lisière du Sahel ou une clinique offrant les services de base dans une banlieue indienne. De durable dans tout cela, il n’y a que la guerre me semble-t-il et les monceaux d’or que les trafiquants d’armes (ayant ou non pignon sur rue) entassent dans les coffres de leurs îles paradisiaques. Sans doute, ma vision est-elle un peu trop « française », ce qui explique qu’elle soit aussi pessimiste. Il semble que notre pays batte actuellement des records de repli sur soi, d’indifférence, de mépris des autres, et de cynisme politique. L’imagination sera bientôt considérée comme une forme de terrorisme !
Plongés plus profondément dans la crise, nos voisins espagnols ou grecs semblent faire preuve d’un peu plus d’énergie, d’autonomie et de réactivité, pour mettre en place de vraies solutions de remplacement : sans l’aide ni de l’état (d’aucun état, ni provincial, ni national), ni d’aucun groupe financier ni d’aucune « fondation ». Les blogueurs qui se sont délocalisés quelques temps dans ces pays-là semblent avoir quelque peu rechargé leurs batteries ! En France, à de rares exceptions près, on attend que l’état, l’église, le capital, les partis ou les syndicats apportent une solution aux problèmes dont tout le monde est conscient. On cherche des coupables illusoires mais faciles à châtier ; on laisse les vrais responsables de la misère s’engraisser dans leurs palais. Peu de gens s’aperçoivent que la solution à tous les maux est à la portée de leurs mains et qu’à force de se battre et d’entreprendre on peut sans doute entrouvrir les volets coincés devant la fenêtre.

parpaing plus parpaingL’union peine à se faire derrière une idée ou derrière un combat. L’individualisme prévaut : l’idée du voisin est peut-être bonne, mais voilà… le voisin connait un tel qui n’est pas fréquentable et a accepté de discuter avec lui, donc méfiance. Avant toute chose il faut clarifier le débat, se rassembler sur des bases bien définies… Tellement bien définies que ces bases se limitent parfois à des radeaux où survivent trois ou quatre idéologues en attente de scission. Cette maladie groupusculaire, cette haine du principe de fédération et d’entraide remonte à l’après 68. Elle a toujours fait le bonheur du pouvoir en place. Elle est liée en grande partie à l’égo de ceux qui rêvent d’une carrière politique avant toute chose, mais aussi à la méfiance de l’expérimentation sur le terrain. Agir ensemble puis débattre des perspectives, plutôt que débattre et se séparer en multiples embryons. On pose une rangée de parpaings pour faire un mur ; une fois les soubassements posés on discute pour voir s’il n’y a pas moyen de faire plus vite, plus efficace, plus haut… que sais-je ? On s’en remet aux conseils d’un compagnon plus habile de ses mains ou plus expérimenté en maçonnerie (ce qui n’empêche pas d’émettre ses propres idées) plutôt que de procéder à une élection au suffrage universel pour savoir qui – parmi les candidats – sera chef de chantier… J’aime voir les murs se construire et commenter d’un sonore « Yé bé », la pose du dernier parpaing. Un temps pour l’action, un temps pour la réflexion, un temps pour la Yé bé (attitude).

5d414e29 Je crois que c’est ce qui me permet de tenir encore et de garder intactes mes convictions profondément libertaires. Je suis admiratif devant le potentiel créatif qui existe en chacun de nous. Nous n’avons aucun besoin d’un chef pour nous dire ce que nous avons à faire, mais nous avons intimement besoin de compagnons tant la tache est impressionnante. De plus, je ne suis pas naïf, et je sais fort bien que pendant que l’on construit, le bulldozer du ou des pouvoirs est à l’affût quelque part et attend le moindre signe de faiblesse pour raser l’édifice et réduire nos espoirs à néant (l’actualité présente, en Grèce, montre bien à quel genre de péril on peut s’attendre…). Mais plus les projets en voie d’accomplissement sont nombreux plus il est difficile de les abattre, et plus il est difficile de les dissimuler pour éviter la contagion des idées. Le rêve (ou plutôt les milliers de rêves) deviennent réalité, tant mieux. La méthode était la bonne. Le projet n’a pas atteint son terme ? Cent fois sur l’établi… Nous n’étions pas assez nombreux, pas assez motivés, ou nous avons choisi le mauvais terrain. Devoir recommencer n’est pas forcément signe d’échec car l’on repart au combat avec de nouvelles armes. Quand la journée de labeur est finie, on s’arrête, on admire, on chante et on danse, car comme le disait si bien Emma Goldman, « si je ne peux pas danser, je ne veux pas prendre part à votre révolution. » Yé bé(attitude).

before-an-anti-austerity-demon J’ai beaucoup levé le pied du côté des manifs, des pétitions et autres actions pétaradantes. Pour moi, l’idée libertaire se situe bien au-delà d’une simple colère ou d’un drapeau à brandir. Je n’ai jamais été un militant acharné et encore moins très obéissant : trop critique pour adhérer à quelque manifeste que ce soit. Les idées nouvelles m’interpellent ; les slogans m’inquiètent. Je me bats toujours à ma façon, même si je laisse les pavés à d’autres. J’essaie de faire évoluer mon environnement proche et surtout mes rapports avec cet environnement, pour qu’il soit conforme aux règles éthiques que je me suis fixées. Mais ce n’est pas qu’une question d’éthique (ce mot-là me fait toujours un peu peur à cause de son côté rigoriste), c’est surtout une question de plaisir. il y a des valeurs auxquelles j’adhère et dans lesquelles je me sens bien ; il y en a d’autres qui me donnent des boutons, me flanquent la nausée, ou m’ennuient simplement profondément. Je me complais dans un non-conformisme guère dérangeant, je le reconnais ; je me sers de ma plume, de ma langue et de mes mains puisque ce sont des outils qui me sont familiers. Je suis plus que jamais adepte de la propagande par le fait, pourvu qu’on me laisse choisir ce que je mets derrière le « fait ». Je m’identifie volontiers à des idées que d’autres ont exprimées avant moi et avec beaucoup de talent. A l’heure ou j’écris me vient à l’esprit cette pensée d’Albert Camus : «Nous sommes décidés à supprimer la politique pour la remplacer par la morale. C’est ce que nous appelons une révolution ». Je pense aussi à ce qu’écrivait le géographe anar Elisée Reclus, à savoir qu’évolution et révolution sont deux idées bien plus proches l’une de l’autre qu’on ne le croit et qu’il est stupide de les opposer.

Je termine ce long cheminement chaotique qui m’a permis de passer des haricots de mon jardin aux mutations révolutionnaires que l’on découvre dans les pays voisins. Après le froid, la chaleur, la sécheresse, il me faut maintenant me bagarrer avec l’excès d’humidité : des pluies torrentielles ces derniers jours et quelques grêlons malvenus. Décidément, le complot mondial déploie chaque jour de nouvelles tentacules !

3 Comments so far...

Rem* Says:

16 juin 2015 at 16:04.

Il y a dans tes propos beaucoup de réflexions qui recoupent les miennes. Mais aussi pas mal de complaisance, ce qui me hérisse pas mal…
Bon, entre « papys », on en est peut-être un peu tous là, hélas ???

Je n’ai pas (ou plus, depuis des décennies) la joie de « cultiver mon Candide jardin » au sens botanique, mais certes au sens culturel (et ça fait moins mal aux reins) du bavard philosophe « Monsieur de Voltaire » : il est piquant de constater que ce petit conte, « Candide », est à peu près tout ce qui reste lu – et lisible ? – de ce prolifique magouilleur des Lettres, de la Gloire et ses combines !

Vive Rousseau… et la chansonnette « je suis tombé par terre… »
Santé !

Paul Says:

16 juin 2015 at 16:27.

@ Rem – Merci pour ta réaction somme toute relativement indulgente ! C’est vrai qu’il y a de la complaisance. On peut dire comme ça, un peu de nombrilisme, un peu d’auto-satisfaction… J’en suis relativement conscient mais je n’ai pas honte non plus de tirer quelques satisfactions d’années de travail accomplies avec mes mains et celles de mes ami(e)s. Pas mal de combats aussi, menés sur le terrain syndical… Depuis des années, des combats qui ont abouti à de durs échecs. Je crois que la complaisance on en a besoin aussi pour résister à la grisaille ambiante et ne pas tout envoyer balader un beau matin. Ce n’est pas pour rien que j’ausculte l’actualité, tous les jours de ma vie, pour essayer de trouver des faits que j’estime enfin positifs. Je fais parfois des choix difficiles, mais, élément de mon caractère, quand le choix est fait, il est fait et je ne donne guère dans l’auto-critique. Au sujet du jardinage… pour moi, ce n’est pas une activité « de vieux » parce que ça fait des années que ça me tient. J’ai fait mes premiers pas en jardinage bio dans les années 70/80. Solides racines et prise de conscience qu’on peut faire toutes les élucubrations que l’on veut, un beau jour, un orage de grêle peut suffire à tout foutre par terre. On se dit à ce moment là que l’on ne dépend pas de ses pommes de terre pour vivre, mais l’on en a d’autant plus de respect pour le p’tit gars qui y croit et voudrait bien vivre du maraichage bio. Mais bon, là je m’écarte du sujet !

François Says:

17 juin 2015 at 08:10.

Je partage tes pensées, Paul. Je pense aussi que le changement vient de ce que l’on fait, et que, si l’on est convaincu de ses actions, il ne faut pas se laisser arrêter par la masse qui va en sens contraire.

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