17 août 2015
Samuel Bellamy : portrait du « prince des pirates »
Posté par Paul dans la catégorie : les histoires d'Oncle Paul; Petites histoires du temps passé .
« Soyez maudit, vous n’êtes qu’un sournois godelureau, de même que tous ceux qui s’abaissent à être gouvernés par les lois que les riches ont créées pour leur propre sécurité, car ces couards n’ont aucun courage si ce n’est celui de défendre ce qu’ils ont obtenu par leur filouterie ; […] que soit maudite cette bande de vauriens rusés, et vous aussi, qui les servez, n’êtes qu’un ramassis de stupides poules mouillées. Ils nous calomnient, les fripouilles, alors qu’en fait ils ne différent de nous que parce qu’ils volent le pauvre sous couvert de la loi, et que nous pillons le riche sous la protection de notre seul courage ; ne feriez-vous pas mieux de devenir l’un des nôtres, plutôt que de lécher le cul de ces vilains, pour avoir un travail ? […] Vous êtes la conscience du mal, vaurien, moi je suis un prince libre, et j’ai autant d’autorité pour faire la guerre au monde entier que celui qui a une flotte de cent navires sur mer et une armée de cent mille hommes sur terre ; voici ce que me dit ma conscience… »
L’auteur de ce discours, aussi vigoureux que pertinent, est un certain Samuel Bellamy, capitaine pirate, à un capitaine anglais qui refusait de se soumettre et de rejoindre les rangs de son équipage. A lire ces propos, on comprend la légende qui entoure ce personnage, dont la notoriété fut aussi fulgurante que de courte durée. Intéressons-nous un peu aux pirates dans la suite de ce billet estival.
Au XVIIème ou XVIIIème siècles, les raisons qui font que l’on devient corsaire ou pirate, et que l’on quitte les sentiers ombragés de la légalité sont parfois complexes. La destinée de Samuel Bellamy ne déroge pas à la règle ! Notre futur héros naît en 1689 à Hittisleigh, dans la province du Devonshire au Sud de l’Angleterre. Ses parents sont probablement des fermiers très pauvres. Il quitte sa famille et s’engage plus ou moins volontairement dans la marine à l’âge de treize ans (on manque de bras dans les bateaux et de nombreux matelots sont tout simplement kidnappés et enrôlés de force par des équipes de recrutement « musclées »). Il participe sans doute aux combats de la guerre de succession d’Espagne. Lorsque celle-ci s’achève, en 1712, il est déjà un marin expérimenté. La vie que lui offre sa province natale ne correspond guère à ses ambitions. Bien qu’il soit marié et père d’un enfant, il abandonne la ville de Canterbury où il s’est établi, pour chercher fortune dans le nouveau monde. En 1714 ou 1715, il élit domicile dans les environs du Cape Cod, sans doute à Eastham. Il cherche un moyen de faire fortune rapidement avant de rentrer au pays comme il l’a promis (peut-être un peu vite !) à son épouse. En ce qui concerne les débuts de son existence au Nouveau Monde, de vastes zones de flou subsistent et les différentes chroniques qui sont consacrées à sa biographie se contredisent parfois. Son projet serait de s’installer comme « pilleur d’épaves ». Nombreux sont les gallions espagnols chargés d’or et de marchandises précieuses qui ont coulé dans les flots de l’Atlantique, au large des côtes américaines. Il se dit qu’un bon moyen de trouver de l’argent serait d’aller repêcher tout cet or là où il dort paisiblement. Encore faut-il, pour cela, posséder un minimum d’équipement, à savoir au moins un bateau. Etant totalement dépourvu d’argent, il doit donc intéresser quelqu’un de plus fortuné à ses projets.
Deux rencontres vont modifier le cours de sa vie en 1715. Il s’associe à Paulsgrave Williams dont il fait la connaissance à Rhode Island. Il aurait, au préalable rencontré à Eastham, une très jeune femme, Maria Hallet, dont il est tombé éperdument amoureux (nouveau monde, nouvelles amours !). La nécessité d’impressionner sa nouvelle égérie (et surtout les parents de celle-ci !) a sans doute eu de l’influence sur sa volonté de mener ses projets à terme, vite et bien. Très vite, les deux nouveaux associés s’aperçoivent que les choses sont moins simples en mer qu’elles ne le sont sur le papier. Ils repèrent quelques épaves dont les cargaisons ont déjà été repêchées. On imagine mal pourquoi les Espagnols auraient abandonné à la fortune du temps des chargements d’or que d’autres de leurs galions pouvaient repêcher ! Par ailleurs, il est évident que Bellamy n’est pas le seul à avoir eu cette idée ! Les premières opérations conduites n’aboutissent à aucun résultat intéressant. Tant Samuel que son associé Williams ne sont rongés par les scrupules. Ils décident alors d’un changement brutal de stratégie : puisque l’on ne trouve plus de cargaison intéressante dans les épaves, autant s’attaquer aux bateaux qui naviguent encore et les soulager de leur chargement avant de les envoyer par le fond. L’envergure du projet n’est cependant plus la même et Bellamy se tourne alors vers la piraterie. Les membres de la confrérie sont nombreux en Amérique centrale. S’ils font la preuve de leurs compétences, les deux compères n’auront aucun mal à trouver un équipage.
Leurs premiers actes de piraterie ont lieu dans la baie du Honduras en Mai 1716. Les débuts sont beaucoup plus prometteurs que la « pêche aux épaves ». S’il n’a que 27 ans, Bellamy est un capitaine audacieux. Il commande une unité composée de deux petits voiliers avec lesquels il arraisonne un navire marchand anglais. Il contraint le commandant de ce bateau à le déposer sur les côtes de Cuba et entre en contact avec deux célébrités de l’époque, Henry Jennings et Benjamin Hornigold, fondateurs de la République des Pirates des Bahamas. Bellamy et Williams débarquent à un moment où l’entente entre les deux grands capitaines n’est plus à l’ordre du jour. Coup de poker réussi, nos deux nouveaux venus s’emparent d’une partie du trésor de Jennings et se joignent à la flottille de Hornigold. Bellamy devient capitaine de la « Mary Ann ». Ils se séparent vite de leur nouvel allié et débauchent l’un de ses capitaines, Olivier La Buse. Il faut dire que Hornigold est de plus en plus impopulaire à cause de son refus d’attaquer les navires anglais. Du coup, les occasions de pillage se font rare et le « gang des trois » décide de faire voile à part.En novembre 1716, ils capturent le « Sultana », un navire de commerce anglais et Bellamy en prend le commandement. Williams se voit attribuer le « Mary Ann ».
Leur victoire la plus spectaculaire a lieu en Mars 1717, lorsqu’ils s’emparent d’un navire de trois cent tonneaux, le Whydah. Le butin est considérable : or, argent, au moins 20 000 livres sterling. « Cela suffit pour faire notre bonheur à tous ; il est temps de retourner à terre ! » aurait-il déclaré à ses hommes. Bellamy prend le commandement de ce somptueux bateau qu’il décide de rapatrier dans le port d’Eastham. Il est facile d’imaginer le prestige qu’il espère gagner auprès de sa nouvelle « blonde » (genre « regarde chérie, je suis parti sur une bicyclette et je reviens avec une Harley ! ») Entretemps, Bellamy est devenu une nouvelle fois papa. Le sait-il seulement ? Le plus triste c’est que l’enfant n’a pas vécu.
Malheureusement il semble que l’ange protecteur des pirates n’ait pas été favorable au projet de celui que l’on commence à appeler « le prince des pirates ». Pris dans une tempête terrible au large du Cape Cod, le Whydah est détruit et coule à pic. Deux survivants sont repêchés sur un équipage de 145 hommes ; notre valeureux capitaine n’en fait pas partie. Ainsi disparait, le 26 avril 1717, Samuel Bellamy (*). De belles légendes commencent à circuler à son sujet. Certains pensent qu’il n’est pas mort dans le naufrage et le voient réapparaître quelques années plus tard dans les environs de Cape Cod. Le nouveau venu, Sam Bellamy, accomplit quelques exploits, puis il est capturé par les autorités et pendu haut et court en 1720, après un procès en bonne et due forme. Fabulation… Imposture… Rien ne permet de faire vraiment la part entre légende et réalité. Quant à la belle Maria Hallett, elle serait devenue folle en apprenant le naufrage et la mort de son bien aimé. Ce que l’on peut se demander en conclusion, c’est comment se fait-il qu’un homme soit devenu aussi populaire après une carrière de pirate ayant duré moins de deux années ? La chose est surprenante et mérite quelques réflexions supplémentaires.
Il semble qu’au cours de sa brève période de notoriété, notre homme ait largement fait sien un certain code d’honneur des pirates, et qu’il ait été particulièrement indulgent avec les équipages des bateaux qu’il capturait. Aucun massacre inutile, plutôt des offres d’emploi ! Bellamy a su rapidement estimer la valeur d’un bon marin. Les quelques propos qu’on lui a attribués montrent également que le « Prince des pirates » avait aussi une certaine conscience politique, et rêvait d’une société plus juste que celle contre laquelle il était en révolte (cf citation en préambule). De là à le qualifier de « Robin des bois » des mers, comme l’on fait certains de ses équipiers, il y a sans doute un peu d’exagération. Le code tacite des équipages de bateaux corsaires ou pirates imposait cependant une répartition assez sociale des butins. Le comportement de chaque matelot était pris en compte dans le calcul des parts et les blessures de guerre largement indemnisées. Contrairement à ce qui arrivait aux membres d’équipage des navires de la « Navy » anglaise ou de la « Royale » française, un marin estropié était débarqué mais bénéficiait d’une aide matérielle qui lui permettait de survivre dans des conditions décentes. Quant au capitaine, il avait sa part sur les prises, mais ses revenus n’avaient rien de comparable avec ceux de nos modernes capitaines d’industrie. Le « parachute doré » de fin de carrière était plus souvent une corde de chanvre qu’une rivière de diamants. La stabilité de son emploi n’était pas assurée non plus : nombre de commandants de navires étaient choisis au consensus ou élus par leurs équipages. Un capitaine qui multipliait les abus d’autorité et ne respectait pas les règles établies de manière collective pouvait être destitué. Cela s’est produit…
Les historiens de marine estiment que Samuel Bellamy a capturé environ 50 navires, ce qui représente un butin colossal pour une période d’activité aussi courte. On comprend que l’homme ait eu envie de prendre sa retraite aussi jeune. On peut en conclure aussi que même au début du XVIIIème siècle, le système de retraite par « capitalisation » n’était pas la panacée ! Bonne sieste à l’ombre des palmiers…
Compléments instructifs : (*) l’épave du Whydah a été localisée en 1984 par le plongeur Barry Clifford à faible profondeur. Les objets récupérés lors des fouilles sont exposés dans un musée à Provincetown dans le Massachusetts. On y trouve des armes, des joyaux, une cinquantaine de canons et divers équipements de marine.
Samuel Bellamy a un fan club très actif aux Etats-Unis. Le site internet de ce groupe mérite un détour ainsi que la galerie de photos avec de bonnes bouilles bien rondouillardes de pirates pas trop inquiétants ! Autant vous prévenir tout de suite : l’adhésion à la société n’est pas vraiment donnée…
Puisque cette chronique a trait à la piraterie, je ne vous dirai point à quelles sources je suis allé piller toutes ces informations et toutes ces illustrations. Sachez qu’elles sont nombreuses !
2 Comments so far...
Rem* Says:
17 août 2015 at 19:06.
Hardi matelot Paul !!
Je ne te savais pas le « pied marin » et la fibre homérique pour conter les exploits de ce phénoménal « Robin des mers »… qui, en prime, a le verbe haut et clair… bravo !
De même que, en bon pirate, tu ne cites pas tes sources, je ne me priverai pas, si besoin, de piller ce billet de bravoure, pour mes futurs exploits plumitifs… et en particulier de reprendre la déclaration d’ouverture du billet, attribiuée à ton héros…
Paul Says:
17 août 2015 at 19:14.
@ Rem – Pillons gaiement ; de tels propos peuvent effectivement circuler sur le web !