17 novembre 2015

Pour faire un bon archet, il faut du bois de Pernambouc…

Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres .

Jour anniversaire, pour la création de ce blog… Huit années d’existence, près de 700 chroniques publiées, 2 à 300 visiteurs par jour… Une bonne occasion pour parler un peu musique, lutherie et terres lointaines !

Violon_du_Roy_Gravure_1688_de_Nicolas_Arnault_Mus_e_du_Carnavalet Le Pernambouc est l’un des états du Brésil. Mais savez-vous qu’un arbre plutôt exceptionnel porte lui aussi ce joli nom ? En fait, son bois est assez peu connu en dehors du monde des violonistes qui aspirent tous à posséder un archet en bois de Pernambouc pour jouer sur leur Stradivarius. Si je compte vous parler de cet arbre aujourd’hui c’est un peu pour faire rupture au milieu d’un ensemble de chroniques situées surtout dans le champ de la politique, mais aussi parce que cette espèce fait partie des milliers d’autres qui sont,  à l’heure actuelle, menacées par l’appétit de profit qui est l’unique moteur propulsant nos sociétés. Le bois de Pernambouc, appelé aussi « bois Brésil » est en voie de disparition pour trois raisons : d’une part la forêt tropicale d’Amazonie part en lambeaux en raison du défrichage et le Pernambouc ne pousse que dans certaines zones côtières particulières ; d’autre part parce qu’il s’agit d’une matière première de grande valeur ; et finalement parce qu’en raison de sa densité exceptionnelle (2 fois celle du chêne), sa croissance est très lente. Notre monde apprécie les plus-values financières mais exècre la lenteur. L’un des bois de nos forêts, le cormier, est victime du même problème. Depuis une dizaine d’années, un programme de replantation a été lancé, mais il faudra un peu de patience pour que le bois de ces arbres soit exploitable.

Caesalpinia_echinata_Tree_3 C’est à l’époque des voyages d’exploration et de conquête en Amérique du Sud que les Européens ont découvert le bois de Pernambouc. Ce qui a frappé les premiers négociants qui l’ont exploité c’est la magnifique couleur rouge de son bois et ses propriétés tinctoriales exceptionnelles. C’est pour cette dernière raison que l’abattage de l’arbre et son transport sur le vieux continent ont commencé, dès le début du XVIème siècle. Les archetiers ont dû découvrir les qualités particulières de sa fibre et de sa structure assez rapidement, car d’après les documents que j’ai découverts sur le blog de « l’atelier Raffin » (voir notes), un célèbre luthier parisien, Paul Belamy, possède un nombre conséquent d’archets en « bois-brésil ». Cette information figure dans l’inventaire de son stock établi à sa mort en 1612. Une certaine confusion règne cependant concernant l’appellation « bois-brésil » car différents bois à la veinure bien colorée sont commercialisés sous cette appellation. Tous n’ont pas les mêmes qualités, mais les bûcherons qui font le travail d’abattage sur place ne sont pas des botanistes experts, et les négociants qui achètent puis écoulent le bois sur le marché européen ne sont guère scrupuleux. Le nom latin permettant d’identifier le « vrai » bois de Pernambouc est « Caesalpinia echinata ». Profitons en au passage pour résoudre une énigme : comment se fait-il que l’on trouve, en Europe, du « bois Brésil », avant même que Christophe Collomb et ses émules aient « découvert » l’Amérique ?… Cela vient tout simplement du mot « brésil », qui vient de braise et qui sert à qualifier un colorant d’un rouge intense. Au moyen-âge on utilise les propriétés tinctoriales du « bois de braise » venu de l’Orient, et de l’Inde en particulier. C’est donc le nom du bois, « brésil », qui sert à baptiser la région située sur la côte orientale de l’Amérique du Sud, lorsque les explorateurs découvrent les vastes forêts d’arbres au bois de braise (Caesalpinia echinata et autres) qui poussent dans le Nordeste.

512px-Caesalpinia_echinata_-_Jardim_Botanico_de_Sao_Paulo_-_IMG_0347  Le Caesalpinia echinata est une légumineuse (et oui, cette famille dépasse largement le cadre des petits pois et autres trèfles à quatre feuilles !) comme le robinier faux acacia qui pousse en abondance dans les lisières lumineuses des forêts de nos contrées. Il est facile à identifier car de grosses excroissances, semblables à des épines, se forment sur son écorce. A l’âge adulte, il atteint une dizaine de mètres de hauteur et sa densité, largement supérieure à 1, est le double de celle du chêne. Les spécimens de diamètre important sont devenus extrêmement rares en raison de la surexploitation dont cet arbre fait l’objet. De nos jours, l’abattage se fait au bout d’une trentaine d’années de croissance, ce qui veut dire que l’on exploite des fûts de petit diamètre. Au XVIIème siècle, les Portugais qui avaient le monopole de son exploitation (décrété par le roi Manuel du Portugal), en ont rapporté des centaines de tonnes dans les ports européens. En 1503, six petits navires sous le commandement de Fernão de Noronha embarquent un chargement de 20 000 quintaux (20 tonnes) destinés aux teinturiers du vieux continent. Le bénéfice tiré de cette opération est de l’ordre de 500 à 600%, mais, très vite, la plantation et le commerce du sucre vont s’avérer beaucoup plus lucratifs encore. La forêt côtière qui est la zone de prédilection du bois-Brésil est défrichée pour faire place à la canne à sucre. En remerciement pour les services rendus à la couronne, Fernão de Noronha se voit confier la première capitainerie du littoral, l’île de São João da Quaresma (rebaptisée aujourd’hui île Fernão de Noronha).

bois de Pernambouc La famille des Cesalpinacés comprend d’autres arbres appréciés des ébénistes. L’Amarante (Brésil), l’Andoug (Afrique occidentale), L’Angélique (Brésil), le Courbaril (Brésil), le Merbau (Malaisie), le Pao Rosa (Afrique Occidentale)… en font partie. Beaucoup sont des arbres précieux utilisés seulement pour le placage.
De nos jours, seul un dixième des archets commercialisés sont réalisés en Pernambouc. Le prix correspond à la rareté de la matière et à la qualité du travail effectué. Un archet neuf peut coûter plusieurs centaines d’euro. Quant aux archets anciens, leur prix semble n’avoir aucune limite. Ce que disent les grands violonistes c’est que chaque violon semble avoir « son » archet. Sur le même violon, deux archets de facture identique, réalisés avec le même bois, peuvent faire sonner le violon de deux manières différentes. Certains musiciens leur préfèrent maintenant les archets en carbone, beaucoup plus réguliers et sans doute plus résistants aussi. Comme toute matière rare, le bois brésil est utilisé aussi pour fabriquer des manches de couteaux ou des corps de stylo. Son usage dans le domaine de la coloration s’est beaucoup réduit ; de nos jours ce sont les déchets de lutherie qui sont employés.

tete_archet_baroque_RAFFIN

Voilà, comme aurait dit Oncle Paul en son temps, mon histoire est terminée. Cela peut paraître bien futile de parler d’arbres et de musique par les temps qui courent… Mais je pense aussi que connaître la nature, comme prêter attention à l’autre, c’est avoir encore plus envie de la (le) protéger. Tant de cultures, tant d’êtres vivants, toutes et tous porteurs de richesse disparaissent à jamais. Le monde végétal est fascinant et nous devons le côtoyer avec respect. Avoir un noble usage des choses, ne point les gaspiller, c’est aussi témoigner de notre admiration pour leur perfection.

Notes postliminaires – Je n’imaginais pas, en commençant à rédiger ce billet, avoir abordé un sujet à propos duquel les sources de documentation sont aussi rares. Je possède une bibliothèque assez complète sur les arbres, mais beaucoup de ces ouvrages omettent purement et simplement le bois de Pernambouc alors qu’ils présentent certains de ses cousins. Aucune trace de ce bois dans le très complet « Bois – essences et variétés » de Jean Giuliano, aux éditions Vial. L’ouvrage est pourtant destiné aux ébénistes… Mais il est vrai que le Pernambouc n’est pas utilisé en ébénisterie. Le monde des archetiers est un monde bien à part. Je dois donc beaucoup au blog passionnant que rédige Sandrine Raffin, archetière passionnée. Je vous invite à le consulter car je ne me suis permis que d’y « piocher » quelques informations essentielles. D’autres découvertes intéressantes vous attendent ! Les archives en ligne de la BNF (Gallica) m’ont été d’une grande utilité aussi.

crédit illustrations – photo 2, auteur : mauroguanandi (Wikipédia Commons) – photo 5 : archet baroque, atelier Raffin.

3 Comments so far...

Grhum Says:

10 décembre 2015 at 23:27.

non non ce n’est pas futile de parler d’arbres et de musique, cela me parait réjouissant de transformer le bois en instrument de musique. Je savais que certains archets peuvent coûter une fortune, mais j’ignorais que le c’est le pernambouc qui est utilisé.
J’ai appris aussi dans cet article l’origine du Brésil, c’est étonnant !
Merci pour cet article enrichissant.
Je vais m’aller de ce pas écouter le « caprice basque » de Pablo de Sarasate, tiens.

Paul Says:

11 décembre 2015 at 08:24.

@ Grhum – Rien ne me fait plus plaisir que de te voir réapparaître plus souvent sur le blog. Cela me montre ton intérêt – qui me touche – mais cela m’indique aussi que tu as un peu le temps de respirer… J’ai relu ces temps-ci les premières chroniques de mon blog et je m’aperçois que j’étais un peu plus « léger » il y a quelques années… Est-ce là l’un des indicateurs que la situation générale empire et que l’on a du mal à prendre des distances avec une actualité particulièrement anxiogène ? Sans doute… Peut-être aussi qu’avec l’âge l’énervement et la perte de patience me gagnent ! Alors vive le pernambouc et à bientôt pour d’autres récits feuillesques…

LMC Says:

15 décembre 2016 at 09:46.

Avec un pareil nom, on aurait pu imaginer que le bois de « Pernambouc » avait une origine bretonne 😉 Merci pour cet article très bien documenté !

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