8 février 2016
Les bagaudes, une révolte paysanne face à l’oppresseur romain.
Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; Un long combat pour la liberté et les droits .
Les révoltes populaires contre l’arbitraire du pouvoir étatique ont débuté bien avant le Moyen-Âge ou la monarchie absolue. L’épisode que j’entends vous conter là, avec les moyens documentaires du bord, prend naissance en 284 dans les campagnes gauloises. Il semble qu’il n’y ait pas eu qu’un seul village d’irréductibles Gaulois en froid avec les légions romaines !
Les documents dont on dispose sur ces événements qui se sont déroulés il y a presque deux millénaires sont bien entendu réduits et souvent contradictoires. Comme il est dit dans l’excellent film documentaire « histoire populaire des Etats-Unis » tiré de l’œuvre historique d’Howard Zinn, il y a l’histoire racontée (haut et fort) par les chasseurs et celle timidement esquissée par les lapins. Quand un paysan gaulois défie un empereur romain, il est clair que les deux protagonistes ne bénéficient pas du même soutien médiatique (Comment cela ? Rien n’a changé depuis le IIIème siècle ?).
Pour les partisans de l’Empire, les Bagaudes ne sont que chenapans, vauriens, bandits et va-nu-pieds. Pour les historiens des lapins, il s’agit de paysans ruinés par les charges fiscales, dépossédés de leurs terres par des propriétaires plus riches qu’eux, et n’ayant plus que la révolte armée pour essayer de se tirer d’affaires. Toute ressemblance avec une multitude de situations contemporaines n’est que purement fortuite. L’histoire n’a rien à nous enseigner disent certains…
La révolte des Bagaudes est un mouvement complexe car il va se dérouler en plusieurs phases étalées sur un siècle et demi, de 284 à 440 pour les derniers soubresauts. A l’évidence, tous les épisodes englobés sous la même appellation n’ont pas eu les mêmes protagonistes, et les motivations ont été sans aucun doute variées. La localisation géographique des différents mouvements diffère également. Il n’est pas évident de comprendre quelles sont les modalités qui ont permis l’attribution du nom de « Bagaudes » à certaines révoltes et non à d’autres. Le terme semble avoir été largement employé en tout cas pour qualifier toutes les formes de troubles sociaux, dans les campagnes, en Gaule, quelle qu’ait été leur ampleur. En tout cas, cette étiquette n’a pas été revendiquée par les révoltés eux-mêmes. Ce qualificatif a sans doute été créé par ceux qui ont décrit et catalogué les divers mouvements. Une explication plausible est donnée à l’origine du nom « bagaude ». Le mot viendrait de la langue celtique où il est connu sous la forme « bagad » qui signifie troupe. Il est probable que le mot existait en Gaule, employé comme nom commun. La révolte de 284 l’a rendu populaire. Histoire de suivre un peu la chronologie de cette affaire, je propose de commencer par le premier épisode en 284. Celui-ci se déroule dans l’Ouest et le centre du pays.
Le milieu du IIIème siècle est une période de grande instabilité dans l’Empire Romain. La situation politique intérieure est chaotique : depuis l’assassinat de l’Empereur Sévère Alexandre en 235, jusqu’à l’arrivée de Dioclétien en 285, une soixantaine de prétendants se disputent le pouvoir central, annexent des provinces, lèvent des armées et se livrent un combat féroce. Pendant ce demi-siècle, la Gaule retrouve un semblant d’indépendance avec des Empereurs gaulois « autonomes ». La situation sur les marges de l’Empire n’est pas bonne non plus. Profitant de la faiblesse des Empereurs, les incursions des Goths à l’Est et des Maures au Sud se multiplient, et sont de plus en plus audacieuses. Les frontières de l’Empire se sont repliées sur le Rhin et le Danube. Ces troubles coûtent fort cher et l’insécurité règne dans les campagnes. Certaines villes sont ruinées et nombre d’établissements artisanaux importants ferment leurs portes (notamment des ateliers de tissage ou de poterie). Les impôts et les pillages obligent les paysans à fuir dans les bois et à abandonner leurs propriétés.
Les édits proclamés au début du IIIème siècle ont rendu tous les hommes libres « citoyens romains », mais l’égalité ne règne pas pour autant et la société se divise en deux classes n’ayant pas les mêmes privilèges. D’un côté les « honestiores », classe supérieure ; de l’autre les « humiliores ». Les uns occupent tous les postes clés et ne sont pas soumis à l’impôt ; les autres (l’immense majorité de la population), sont taillables et corvéables « à merci ». Pour dresser un tableau complet de la société, il faudrait ajouter à ces deux classes, les exclus, les hommes qui ne sont pas libres, à savoir les esclaves et les « insolvables » , ceux qui ne sont pas en mesure de payer leurs dettes. Seuls les honestories sont autorisés à porter des armes et à devenir cavaliers.
Il est fort probable que ce sont dans les classes les plus basses que l’armée des Bagaudes va recruter l’essentiel de ses effectifs ; mais il est possible que le contexte économique ait fait basculer bon nombre d’hommes libres dans la misère. L’un des premiers interdits que vont bafouer les insurgés c’est celui concernant le port des armes…
Le premier événement marquant du soulèvement des Bagaudes a lieu dans le Nord de la Gaule. Une armée, avec à sa tête un nommé Pomponus Aelianus, se constitue. Elle regroupe un certain nombre de bandes armées composées de paysans, d’esclaves et de déserteurs des légions. Dans le contexte, on peut considérer que ces bandes sont, à l’origine, des milices paysannes constituées pour contrer les incursions calamiteuses des barbares. Les difficultés économiques viennent renforcer le mouvement. La troupe se déplace du Nord vers le Sud. Sa marche victorieuse s’arrête sous les murailles d’Autun. Il est difficile de savoir si la ville est prise ou simplement assiégée. Il est connu qu’elle subit de nombreux dommages à la suite des affrontements. La légion, envoyée par l’Empereur Dioclétien et obéissant aux ordres de Maximien Hercule oblige les Bagaudes à reculer. Les insurgés se replient dans une forteresse qu’ils ont investie et fortifiée à proximité de Paris. Les historiens estiment que cette base arrière se situerait à l’emplacement de l’actuelle Saint-Maur-des-fossés. Les assiégés ne peuvent résister et sont vaincus. Maximien, malgré la réputation brutale qui est la sienne, aurait fait preuve d’une relative clémence à l’égard des prisonniers, cherchant plus à les intégrer dans la légion, qu’à s’en débarrasser. Voici comment les faits sont racontés dans l’histoire de France rédigée par Henri Martin au XIXème, récit basé sur plusieurs témoignages monastiques anciens :
« Maximien poursuivit sa route, assaillit les Bagaudes et les défit, à ce qu’on croit sur le territoire des Edues (près de Cussi en Bourgogne) ; après divers échecs la plus grande partie de cette multitude indisciplinée se dispersa et mit bas les armes ; les plus braves avec leurs chefs, Aelianus et Amandus, se retirèrent dans la presqu’île que forme la Marne, un peu au-dessus de son confluent avec la Seine, et qui était alors complètement isolée de la terre ferme par un mur et un fossé construits par Jules César ; ils se défendirent jusqu’à la dernière extrémité dans ce camp retranché, que les légions finirent par emporter d’assaut après un long siège. Aelianus et Amandus moururent les armes à la main. Ce lieu conserva pendant plusieurs siècles le nom de camp des Bagaudes ou fossé des Bagaudes ; c’est aujourd’hui Saint-Maur-des-Fossés près de Paris. »
Les témoignages diffèrent quant au sort de Pomponus Aelianus. D’autres historiens que Martin affirment qu’il a échappé à la capture. De par le portrait qui a été dressé de lui dans divers manuscrits, l’homme possédait un fort charisme et il était bon orateur. Son origine est obscure tout comme la fin de ses jours. Non content d’être chef de l’armée, il avait pris, tant qu’à faire, le titre d’Empereur. Comme je l’ai indiqué plus haut, ce comportement était fréquent à l’époque. Si l’on connaît les motivations des participants à cette révolte, on ignore tout de leurs revendications et de leurs projets. Il est fort probable qu’ils n’auraient abouti qu’à remplacer un pouvoir par un autre… car cela a été le destin malheureux de nombre de révolutions que nous avons connues jusqu’à présent. Certains historiens donnent aux révoltes du IIIème siècle en Gaule une dimension religieuse. Dioclétien aurait voulu, en envoyant Maximien, réprimer l’expansion du christianisme en Gaule. Peu d’éléments viennent en appui de cette thèse ; il est peu probable que le christianisme ait été suffisamment répandu en Gaule, vers la fin du IIIème siècle pour que la question religieuse ait joué un rôle dans les événements. D’autres récits insistent sur la cruauté de Maximien qui aurait fait décimer puis exécuter la totalité des soldats d’une légion thébaine refusant d’aller se battre contre leurs frères en religion… La volonté clairement affirmée de rétablir l’ordre me semble suffisante et il ne me paraît guère utile d’enjoliver ! Les données concernant l’armée des Bagaudes relèvent probablement du domaine du fantasme lorsque l’on parle de plus de cent mille insurgés…
Les Bagaudes reviennent sur le devant de la scène au Vème siècle avec plusieurs mouvements de révolte qui prennent naissance dans l’Ouest de la Gaule, en Armorique principalement mais aussi en Aquitaine. Ces événements sont datés vers 415, 435 et 446. La situation est à nouveau chaotique dans l’Empire romain. Les frontières établies au IIIème siècle ne constituent plus une garantie et les envahisseurs les bousculent allègrement. Le premier épisode des « nouvelles bagaudes » est sans doute lié à la famine qui a frappé la Gaule lors des années précédentes. Le second est la conséquence d’une augmentation de la pression fiscale et semble toucher l’ensemble du pays. Nombre de propriétaires sont contraints à abandonner leurs terres à un patron et à devenir simples cultivateurs. Un nommé Tibatto prend le commandement de ces révoltés. Le dernier épisode est aussi le plus sérieux et semble concerner le Nord de l’Espagne également. En Gaule, les insurgés réussissent à assiéger la ville de Tours (Caesarodunum). A la tête des bandes armées se trouve cette fois un médecin du nom d’Eudoxius.
Les légions sont victorieuses en 448, comme elles l’ont été en 435 sous les ordres du même général, Aetius. Euxodius, en fuite, se réfugie à la cour d’Attila. Aetius ne tira guère de profit de cette dernière victoire : quelques années plus tard, il fut assassiné sur ordre de l’empereur Valentinien. Les maîtres n’ont guère de considération pour leurs serviteurs les plus fidèles !
Une certaine prudence s’impose dans l’interprétation des causes et du déroulement de la révolte des Bagaudes. La durée du mouvement (plus d’un siècle et demi), les différences de contexte selon les époques, la forme souvent allusive des documents écrits, ne permettent en aucun cas une analyse d’une grande précision. Tout au plus peut-on déterminer des tendances. Ce mouvement de révolte était clairement anti-étatique, le but étant de se libérer de l’oppression exercée par le pouvoir central (romain en l’occurrence) et par ses représentants locaux ; mais il est quasiment démontré que par contre il ne portait aucune revendication sociale ou économique précise. On n’en est pas encore aux cahiers de doléances rédigés en 1789. L’organisation militaire du mouvement était particulièrement insuffisante et seuls étaient payants les embuscades ou les coups de main. En bataille rangée, les insurgés ne faisaient pas le poids. Les esclaves et les hommes libres impliqués dans l’insurrection voulaient, en de nombreux cas, mettre en place une société libre et durable plutôt qu’affronter des représentants de l’administration face auxquels ils se sentaient en infériorité. D’un soulèvement à un autre, certaines bandes continuaient à fonctionner dans la clandestinité et les travaux récents de divers historiens montrent que se sont impliqués dans les événements de 435 des groupes d’insoumis qui étaient déjà partie prenante des révoltes antérieures.
C’est en tenant compte de ces divers éléments que j’ai essayé de rédiger ce billet. Plus qu’un récit historique détaillé et argumenté, j’ai voulu attirer l’attention des lectrices et des lecteurs de ce blog sur l’origine lointaine des révoltes paysannes dans nos contrées. L’uniforme et le langage n’ont guère fait changer la forme de l’oppression tout au long des siècles !
PS (23 février 2016) – A ceux qui sont intéressés par cette période de l’histoire, je recommande la lecture de cette chronique fort intéressante qui creuse le thème de la disparition de l’empire : « Qui a eu la peau de l’Empire Romain ?«
2 Comments so far...
la Mère Castor Says:
16 février 2016 at 13:19.
c’est rassurant, en quelque sorte, cette continuité dans la contestation. J’aime beaucoup les illustrations, vieilles vignettes d’école pour certaines, non ? (Volumétrix… j’en ai acheté récemment en Auvergne chez un papetier qui fermait et liquidait ses stocks)
Paul Says:
17 février 2016 at 20:16.
@Mère Castor – Bien le bonjour ! Oui moi aussi j’ai craqué sur ces dessins. Ils sont très largement inspirés ou extraits des vignettes éducatives des livres scolaires que j’ai pu découvrir en fouillant dans les bibliothèques ! Je regrette de ne pas en avoir « emprunté » certains…