25 décembre 2007
Foutu métier…
Posté par Pascaline dans la catégorie : Le sac à Calyces .
Le téléphone sonnait sans arrêt.
…prostituée agressée
…banque attaquée
…pantalon ouvert devant de vieilles dames
…ébriété dans un…
Prenant des notes et son mal en patience, Garcia n’eut aucune difficulté à faire le rapprochement entre les différents signalements de l’agresseur. Un nouvel appel :
« Mm ?
– Chef, Chef, on a besoin de renfort !
– A cause du vieux aux yeux bleus ?
– Co… Comment vous savez, Chef ?
– Le métier petit, le métier. Alors, il casse quoi maintenant le vieux con ?
– Pour l’instant, plutôt calme. Il vient de se rouler et de s’allumer un pétard gros comme mon bras. Mais la bande à Muche va pas tarder à rappliquer. C’est dans son quartier.
– Faudra bien qu’il partage, et ils essaieront de lui fourguer du crack. Laissez-les se démolir entre eux avant d’intervenir.
– Bonne idée Chef, bonne idée.
– Après faut lui contrôler son identité, s’pas ? Alors faudra y aller.
– Euh, pour tout dire Chef, je le sens pas très bien.
– Moi non plus je me sens pas très bien mon vieux. Le métier, que voulez-vous. Le stagiaire est avec vous ?
– Le Freluquet ? Oui.
– C’est lui qui me tiendra au courant, ça vous laissera les mains libres. Allez, sortez de la bagnole et tardez pas trop, on voudrait tous rentrer tôt ce soir, mais c’est pas gagné. »
Deux profonds soupirs ponctuèrent la fin du riche dialogue.
Le stagiaire assista à tout. L’arrivée de la bande à Muche et de celle à Crincrin, transformant le banc où le vieux fumait en quartier général, comment qu’il les défonça tous avec son pétard bien réduit en taille mais drôlement efficace, les sévères et décevants pourparlers, apparemment le grand-père ne s’intéressait pas au crack. Ou bien les jeunes voulaient-ils trop de bénéf. Les « petits cons » dont le vieux les gratifia résonnèrent loin au-delà de l’avenue malgré la vacarme de la circulation.
Le stagiaire s’apprêtait à faire un compte-rendu rapide quand il vit le Furet et le Phacochère se décider à partir au casse-pipe, les pouces dans le ceinturon, la moustache dressée, suivis à quelques pas par d’autres hommes déterminés.
« Papiers siouplaît… »
« Chef, Chef, c’est moi, le Freluquet.
– Alors ?
– Ben… comment dire… Il y a certainement des côtes cassées, sans doute trois épaules démises…
– Nom de dieu ! Ce type n’a pas trois bras !
– Mais le type il va très bien Chef, il est en train de se masser les poings. Les nôtres essaient de se relever. Lui, il a rien et… et il se dirige vers moi !
– Allez, courage, c’est à vous petit. Mais… le contrôle d’identité, c’est moi qui le fais. Il me le faut ici ce type.
– Merci Chef. D’accord Chef. »
J’aurais jamais dû faire ce boulot. D’abord je suis d’astreinte un jour comme aujourd’hui et en plus je vais mourir. Allez, droit dans mes bottes au moins !
Le Freluquet se racla la gorge et s’adressa au vieux en essayant de ne pas trembler.
« Monsieur s’il vous plaît, vous voulez bien monter dans ce véhicule ?
– Certainement jeune homme ! »
Le vieillard s’assit pieds en dehors sur le siège, frappa longuement entre eux ses souliers boueux, cracha un long jet de salive dans la neige puis se tourna et boucla sagement sa ceinture :
« C’est quoi comme modèle, votre carrosse ? »
La bonne humeur du type ne dura pas. Garcia les entendit venir de loin. Il était question de pétasses et de couillons. Puis la belle voix de baryton entonna une chanson cochonne et Garcia s’inquiéta pour les vitres qui tremblaient.
Garcia zooma dans les yeux bleus du type et s’y noya. Non non, il était pas amoureux, mais ça lui faisait quand même vachement drôle. S’arrachant au regard magnétique, il remarqua que le Freluquet lui aussi subissait le même envoûtement.
Cependant, le vieil homme se laissait tomber sur une chaise ; il se releva d’un bond :
« Nom de dieu ! C’est l’heure juste, là ?
– Oui monsieur. Je vous prie de bien vouloir me montrer vos papiers d’identité s’il vous plaît.
– Eh, mais j’ai pas que ça à foutre ! J’ai un travail urgent, je dois y aller !
– Mon petit monsieur, vous avez commis un certain nombre d’infractions. Vous ne vous en tirerez pas comme ça croyez-moi.
– Je vous ai dit que j’ai un travail à faire. Ça ne peut pas attendre.
– Parce que vous croyez que moi, je n’ai pas un travail à faire qui ne peut pas attendre ? Si vous n’aviez pas mis ce bordel en ville, je serais déjà tranquille à la maison, moi, figurez-vous.
– Bon, arrêtez les conneries, faut que j’y aille.
– Non non non non non, monsieur. Je n’ai toujours pas vu votre carte d’identité. Ne me dites pas qu’on vous l’a volée, ça me ferait de la peine. »
Le vieillard jeta un regard inquiet vers la pendule et soupira.
« J’ai laissé toutes mes affaires dans mon véhicule et je peux même pas vous dire où il est. Je retrouverais ma route en la rebroussant jusqu’au début.
– Pour me fausser compagnie, mon gaillard ? On verra plus tard pour votre bagnole. Qui êtes-vous ? »
Le regard bleu se perdit au plafond. Garcia frappa du poing sur son bureau.
« Je vous ai demandé qui vous êtes !
– Oh, mais ne le prenez pas sur ce ton avec moi ! » Le vieillard se leva, immense, bien campé sur ses jambes. « Comment voulez-vous que je vous réponde sans réfléchir ?
– Il faut réfléchir pour décliner son identité ?
– Ah ! Mon identité ! Je n’avais pas compris votre question…
– Nom, prénom, adresse, profession… Quelle est votre profession, insista-t-il, comme l’autre ne pipait mot.
– Bof… des livraisons… »
Je suis en train d’interroger un dangereux suspect. Je ne vais pas me laisser distraire pas ces conneries !
« C’est tout ? ironisa-t-il.
– C’est que j’en fais un grand nombre, et, d’ailleurs, mon activité professionnelle, je vous rappelle qu’elle m’attend et que le temps passe bien vite. »
Il semblait vieux comme le temps lui-même, pourtant sa vue était celle d’un jeune homme. Il aperçut la bouteille pourtant bien dissimulée derrière des paperasses et se rua dessus sans que Garcia ait eu le temps d’esquisser un geste.
« Mmh, fit-il après une bonne lampée. On ne s’emmerde pas ici, du Chivas… Vous n’auriez pas quelque chose à manger avec ?»
Garcia compulsait ces notes :
« Revenons à la raison de votre présence en ces lieux. Une jeune femme vous accuse de l’avoir agressée.
– Qu’est-ce qu’elle me reproche ?
– J’ai noté “ propositions salaces, geste obscènes ”, ça vous suffira ?
– Entre nous, vous avez lu Freud et Lacan ? La libido, vous connaissez ? Une femme, surtout une péripatéticienne, ça la vexe quand le client en sait plus qu’elle.
– Ce n’est pas ce nom-là qu’elle m’a donné. Perry quelque chose.
– Un pseudo, qu’importe. Moi je ne vois pas en quoi cette personne, charmante au demeurant, m’empêcherait de faire mon boulot.
– Mais ce n’est pas tout, je vois ici… comme l’attaque d’une banque… »
Le vieillard s’étrangla de rire :
« Ça, c’est la meilleure. Regardez avec quoi je les ai menacés ! Un jouet ! »
Garcia bondit en arrière quand de la poche du suspect jaillit un énorme pistolet comme il n’en avait jamais vu, puisque le modèle n’existait pas.
« Il serait temps que les banquiers soient un peu plus connaisseurs en arme, non ? Ça vous simplifierait les choses à vous aussi. Vous ne pouvez pas m’accuser de port d’armes prohibées – ou bien mettez tous les chiards au gnouf !
– Toujours est-il que vous avez ramassé un bon paquet de billets avec ce joujou ! »
Le vieillard gémit, se fit implorant :
« Que voulez-vous, on a tous nos difficultés, on n’arrive pas à joindre les deux bouts. Ne me dites pas que vous-mêmes, vous respectez la loi sans jamais lui faire la moindre entorse ! »
Édifié, Garcia préparait un discours quand le téléphone sonna encore. Pourtant, il est là devant moi, le con, il n’y a pas autre chose, au moins ?
Même dans les pièces voisines, la voix du correspondant se fit entendre, à défaut de se faire comprendre. Garcia devint vert et se liquéfia. Se confondit en excuses.
Tandis que le vieux reprenait le couloir et sa chansonnette, on signalait par téléphone un nouveau scandale. Dans le jardin public, des rennes reliés par des traits tout emmêlés dévastaient les cultures, brisaient les vitres des serres chauffantes et saccageaient les arbres exotiques.
Il fallut un certain temps pour faire la relation avec le traîneau dont le contenu avait déversé sur son passage des monceaux de saloperies en plastique et une tenue grotesque rouge fourrée d’ours blanc.
Garcia, la tête dans ses mains, commençait à comprendre pourquoi le type lui avait lancé en guise d’adieu :
« Comptez pas sur moi pour passer chez vous cette nuit ! »
One Comment so far...
Grhum Says:
26 décembre 2007 at 21:42.
Caly,
il est génial ce texte, j’ai été bluffé (mais ou veut-elle en venir ? Et paf la chute !)
bravo bravo
encore !