6 octobre 2016

Sur les routes de l’Aveyron (3)

Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage; Un long combat pour la liberté et les droits .

Quand les soldats de Napoléon Badinguet tiraient sur les mineurs…

«- Quel âge as-tu ? – Seize ans. – De quel pays es-tu ?
– D’Aubin – N’est-ce pas là, dis-moi, qu’on s’est battu ?
– On ne s’est pas battu, l’on a tué. – La mine
Prospérait. Quel était son produit ? – La famine…»

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Le début d’un poème de Victor Hugo en hommage aux mineurs et à leurs familles fusillés par la troupe lors de la grève d’Aubin, en Aveyron, le funeste 8 Octobre 1869. 14 morts sur place, parmi lesquels deux femmes et un enfant de sept ans ; 3 morts à l’hôpital ; 26 mineurs condamnés à des peines de prison ferme ; un lieutenant d’infanterie décoré ! Derrière tout cela, le cynisme de la société propriétaire des houillères (la compagnie ferroviaire Paris Orléans), un préfet impérial, l’ambitieux Nau de Beauregard, un lieutenant criminel et incompétent dénommé Gausserand.

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Le massacre d’Aubin n’est pas le premier à mettre sur l’ardoise de Badinguet : quelques temps auparavant a eu lieu la fusillade de la Ricamarie près de Firminy dans la Loire. Cette habitude d’employer l’armée pour tirer sur des grévistes va perdurer jusqu’à ce que des soldats, du fameux 17ème d’Infanterie, refusent de tirer sur les vignerons du midi. Il sera temps alors d’envoyer tous ces pioupious trop sensibles aux sirènes sociales se faire massacrer dans les tranchées, mais ceci est une autre histoire.

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Le mercredi 6 octobre 1869 les mineurs du site du Gua sur la commune d’Aubin se mettent en grève. Ils réclament une augmentation de leurs salaires misérables et un peu plus de considération de la part de ceux qui les commandent. La journée dure plus de dix heures avec une seule pause pour le casse-croûte. La paie ne suffit pas à nourrir une famille même si femmes et enfants travaillent eux aussi pour les houillères. La malnutrition est permanente et la famine fréquente. Les grévistes se rassemblent devant les bureaux de la mine. Ils exigent une rémunération plus juste de leur travail et exigent la démission de l’ingénieur Tissot qui ne les respecte absolument pas. Les ouvriers se retirent sans avoir obtenu satisfaction mais bien décidés à poursuivre leur combat.

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Grâce au télégraphe, le préfet est prévenu de suite du déclenchement des troubles. Il saute dans le premier train et prend soin de se faire accompagner par une compagnie du 46ème de ligne ainsi que de quelques gendarmes pour faire bonne mesure. Une fois sur place, le préfet avertit qu’il veut bien rencontrer les mineurs, mais ceux-ci doivent nommer des délégués pour participer à l’entrevue. Les mineurs refusent car ils savent parfaitement que s’ils désignent des représentants ceux-ci feront l’objet de mesures répressives de la part de la Houillère. Nous sommes le jeudi 7 Octobre. A nouveau, une foule se rassemble et se dirige vers les bureaux de la direction. Il y a là des familles au grand complet. Une bousculade se produit et, malgré l’interposition de quelques gendarmes, les manifestants se saisissent de l’ingénieur Tissot et l’entraînent avec eux.

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Pendant ce temps, le sous-préfet de Villefranche est allé accueillir le préfet et sa troupe à la gare. Apprenant les événements récents, toute la compagnie se met en route à marché forcée, à la rencontre des mineurs. Ceux-ci veulent visiblement éviter tout affrontement. L’ingénieur est libéré et les ouvriers de la mine retournent dans leurs foyers. La nuit tombe mais ne porte pas conseil. Le préfet veut avoir le dernier mot.
Le vendredi 8 au matin, les soldats d’infanterie sont envoyés à nouveau à la mine du Gua. Les mineurs, énervés par cette démonstration de force, se regroupent et se rendent à Combes (autre quartier minier d’Aubin) pour entraîner leurs camarades dans la grève. Un groupe pénètre dans la forge. Le directeur Lardy s’interpose ; il a à sa disposition un argument choc : un peloton de 30 soldats baïonnette au canon. La situation devient confuse et dégénère. Le lieutenant hurle : « Défendez-vous ! Faites usage de vos armes ! » Les soldats se mettent à tirer. Certains visent les toits mais la majorité tire dans la foule à bout portant. Les mineurs se dispersent laissant sur le carreau nombre de morts et de blessés. Le préfet a peur de la suite des événements et le télégraphe crépite sans arrêt. Plusieurs unités de soldats sont appelés en renfort dans le bassin depuis Toulouse et Montpellier. Le bassin minier, de Cransac à Decazeville, est occupé par l’armée comme si une guerre allait se déclencher. Une seconde phase répressive peut alors commencer : les arrestations…

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27 ouvriers sont arrêtés et déférés devant la justice : un acquittement, 26 condamnations à la prison dont 4 à des peines supérieures à un mois. Que reproche-t-on à ces malheureux ? Le réquisitoire du procureur est implacable : entrave à liberté du travail, outrages, rébellion et voies de fait contre les soldats… N’en jetez plus la cour est pleine. La fusillade et le simulacre de justice qui s’ensuit indigne une large fraction de l’opinion publique. Même les « deux Jules », Simon et Ferry, font le déplacement pour assister au procès. Hugo écrit un poème intitulé « Aubin » ; Zola s’inspire de la tragédie pour « nourrir » son roman « Germinal ». Le cynisme des autorités quant à lui ne s’arrête pas là. On envoie des secours officiels aux familles en deuil ! Napoléon fait un don personnel de 3000 francs et charge le préfet de le distribuer aux familles dans le malheur… Le tout nouveau fusil Chassepot qui équipe les unités d’infanterie a quand même fait 41 orphelins…

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Le préfet, Nau de Beauregard, peut être fier de lui, mais son coup d’éclat ne lui rapportera guère. La chute du maître entraînera celle du valet. Tous les politiques ne sont pas des Talleyrand. Dans le bassin minier, l’ordre règne. La grève est brisée. Les mineurs ont repris le travail sans avoir rien obtenu. Le calme instauré par la terreur va durer une douzaine d’années avant que l’incendie ne se rallume à Decazeville. Les mineurs du Gua à Aubin n’ont fait qu’inaugurer, de manière tragique, une longue session de luttes.

 

2 Comments so far...

Clopin Says:

6 octobre 2016 at 19:18.

Toujours aussi passionnant, tes récits de voyage ! Je connais bien ce coin de l’Aveyron. J’ai un grand copain qui habite Saint-Cyprien sur Dourdou depuis 30 ans avec qui j’ai visité le bassin minier en fin de vie dans les années 80 et en particulier la Découverte. On attend le suite !

Paul Says:

8 octobre 2016 at 15:47.

@ Clopin – Merci – Ce n’est pas évident de poster des chroniques quand l’accès à Internet est un peu aléatoire. Mais bon ! De toutes manières, retour à la case départ bientôt. Le jardin commence à s’impatienter. Nous avons traversé le village dont tu parles et remonté les gorges du Dourdou.Joli coin !

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