18 janvier 2017
Dans le vide interstellaire, une note d’accordéon
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .
L’angoisse de la page blanche existe. Je l’ai rencontrée. Plus les chroniques s’espacent, plus j’ai de mal à me remettre à l’ouvrage. L’absence d’écriture entraîne l’absence d’écriture. Ce n’est pas que les mots ou les idées soient ailleurs, c’est qu’ils paraissent ne jamais convenir : trop futiles, trop prévisibles, inutiles, affolants… La peur de la trace que l’on laisse sur la toile… L’angoisse de n’être pas compris… l’amertume laissée par les polémiques stériles… L’envie, une fois pour toutes, d’enfouir ses mains dans les copeaux de bois, la terre du jardin, les notes de musique… Vivre sans entraves le peu qui nous reste à vivre en espérant qu’une bulle – illusoire – va nous protéger du chaos ambiant. Alors les bribes de paragraphes, les en-têtes ronflants sans lendemain ou les idées sans suite s’entassent, misérables, sur un coin du disque dur, beaucoup moins chaleureux qu’une table de bistrot.
Musique, justement… Parlons-en… Je joue de l’accordéon. Au bout de quelques années, avec la pratique désordonnée qui m’est coutumière, mais aussi l’envie de mordre dans tout ce qui me paraît appétissant, j’ai atteint un niveau de débutant convenable, sans plus. L’instrument est encore trop « apprentissage », pas assez dompté, pour que j’en tire le plaisir que j’escomptais. Mais va savoir… Je commence à improviser, péniblement, quelques phrases, revenant trop souvent sur des mélodies rabâchées qui me lassent un peu. Mais je viens quand même de faire une découverte : de la même manière que j’ai mes « livres pantoufles », mes écrivains fétiches, mes maîtres à penser sans maître, je crois que je me suis trouvé un maître à jouer, quelqu’un qui égraine des notes qui me chantent et réveillent ma mélancolie pour mieux l’assoupir.
Hasard des rencontres de début d’année, j’écoute le CD « Traversées » de Sébastien Bertrand. C’est du diatonique pur jus, comme j’aime, traditionnel un peu, innovant beaucoup ; de ces musiques que les maniaques actuels peinent à étiqueter et jettent sans trop d’attention dans le cabas « musique du monde ». Faisons fi de ces catégories qui me gonflent car elles ne sont, bien souvent, que prétextes à hiérarchies. Sans torturer son instrument comme le font certains lutteurs de foire, il en tire des rythmes, des enchainements de sons, qui prennent aux tripes parce qu’ils sont joués avec les tripes. Les sonorités sont nouvelles je trouve, sans que ce soit l’objectif recherché. La démarche n’est pas intellectuelle mais profondément enracinée dans la terre. Mazette, que l’on entend de belles choses du côté de l’île d’Yeu où ce nomade semble avoir posé son sac ! Musique de voyageur installé pour un temps sur un rocher, observant mer et nuages jouant à cache-cache avec les korrigans et les mouettes.
J’aime cette ambiance. Il y a symbiose avec mon humeur du moment, mais à part cela, je ne saurais vous expliquer pourquoi, ce disque et pas un autre. Pourtant, depuis des années j’écoute des accordéonneux de tous horizons et de toutes mouvances. Des phrasés me plaisent, des instants sont magiques, mais cela n’atteint pas l’intensité ressentie en écoutant « Traversées ». Le courant passe entre cet ilien et le terrien confirmé que je suis ; même les mots simples figurant sur le livret du CD me parlent et me donnent envie de reprendre la plume, puisque je suis plus à l’aise avec ce clavier à mots qu’avec ma boîte à bretelles. Mon abonnement au journal « Trad’Mag » l’été dernier fut une belle idée, et je crois que mon univers sonore va se repeupler, tant il s’agit là d’une pépinière à belles trouvailles.
Ces notes d’accordéon s’ajoutent à d’autres, toutes récentes elles aussi. Il est rare que je vous parle de musique sur ce blog, laissant généralement à ma compagne le soin de vous raconter, avec ses mots à elle, des concerts à domicile que nous organisons trois fois l’an. Tout comme moi, elle peine à tenir son blog à jour : trop de choses à vivre, d’air à respirer, d’instants magiques à saisir pour avoir le temps de conter. Sans trop lui voler son propos, je vous dirai quand même que le passage de Coline Malice et de son complice Pierre Mussi, dans notre salle à manger, un samedi de ce mois, fut un pur moment de convivialité et de plaisir égoïste. Un concert pendant lequel les deux compères ont su réunir, avec talent, la poésie et la gouaille des mots avec les arpèges chromatiques de leurs deux accordéons. Heureusement que la musique vivante s’épanouit hors des hypermarchés sonores et des karaokés télévisuels. La chanson « à texte », « à parole », « intelligente » (comment la qualifier ?) se porte bien ; ce dont elle a besoin c’est de quelques oreilles disponibles de plus pour l’écouter et pour en jouir. Les artistes, contrairement à la légende, ne vivent pas que d’amour et d’eau fraiche.
Une note de musique perdue dans le vide interstellaire va peut-être me connecter à nouveau avec une réalité sociale qui me donne de plus en plus l’envie de rentrer dans ma coquille. Je n’en sais rien. Si ce n’est pas le cas, je vous raconterai au moins ce qui se passe dans cette coquille !
Remarques et considérations – Quoique lauréat du prix de l’Académie Charles Cros, le CD de Sébastien Bertrand ne se trouve pas derrière tous les buissons. Pour faciliter votre quête, sachez que la meilleure démarche consiste à se connecter sur le site de son éditeur « Daqui ». Vous pourrez, sans peine, faire l’acquisition d’un pur moment de bonheur sonore.
– la photo de Coline Malice provient de l’excellentissime site musical « tranches de scènes », que je vous invite chaudement à visiter.
One Comment so far...
Kuriakin Says:
20 février 2017 at 21:19.
Bonjour. Puisque vous parliez de musique dans ce post, j’en profite pour vous faire entendre l’excellente Pauline Dupuy, de Contrebrassens, qui chante Brassens accompagnée de sa contrebasse, et parfois de la guitare de son ami. Innovant sans trahison, bien au contraire. Je ne sais si vous la connaissiez.
A découvrir ici
https://www.youtube.com/watch?v=caAGVn_x-p4
et ici, entre autres :
https://www.youtube.com/watch?v=xEN973TUjNQ
Bonne continuation.
K.