12 décembre 2017
Henry Poulaille et « le musée du soir »
Posté par Paul dans la catégorie : Portraits d'artistes, de militantes et militants libertaires d'ici et d'ailleurs .
Le 16 mars 1935 s’ouvre à Paris, dans un local situé près des Buttes-Chaumont, un « lieu alternatif » avant l’heure, le « Musée du Soir ». A l’initiative de ce projet, l’écrivain Henry Poulaille et ses amis du Groupe des Ecrivains Prolétariens, parmi lesquels René Bonnet, Ferdinand Teulé, Edouard Peisson et Paul Löffler ; parmi les « sponsors » se trouve principalement l’Union des Syndicats de la région parisienne de la CGT. Ce musée du soir est avant tout une bibliothèque, mais pas que… C’est aussi une salle d’exposition et surtout un lieu de rencontres pour les ouvriers et les employés de la région parisienne qui souhaitent enrichir leur culture personnelle. Ce lieu va perdurer jusqu’à la déclaration de guerre en 1939. Le gouvernement prendra alors prétexte de sécurité intérieure pour le fermer définitivement. « Le musée du soir », c’est aussi une revue littéraire qui va paraître après guerre, dans la lignée de la bibliothèque mais après sa fermeture. Nous en parlerons également.
Cette idée de « Musée du soir » n’est pas tout à fait nouvelle. La proposition remonte au XIXème siècle. Elle a sans doute été formulée une première fois par un journaliste, critique d’art, nommé Gustave Geffroy. Poulaille connaissait le travail de son prédécesseur qu’il avait qualifié de « parfait honnête homme » dans l’un de ses textes. En 1895, Geffroy propose à ses contemporains la création d’un « Musée du soir aux quartiers ouvriers ». Le projet de Geffroy est moins ambitieux que celui de Poulaille, puisqu’il s’adresse avant tout aux ouvriers du meuble et de l’objet d’art de l’Est parisien. Il envisage la création d’un lieu permettant d’élever le sens esthétique des classes populaires, de former leur goût et de les amener, par cette éducation artistique, à lutter pour leur émancipation sociale. Il espère que ce projet fera tache d’huile s’il fonctionne dans des conditions satisfaisantes. L’ensemble de ces propositions est publié dans un manifeste soutenu par une large fraction des organisations ouvrières allant des socialistes aux anarchistes, mais aucune suite concrète ne sera donnée à ce projet. Le texte original de ce manifeste, très intéressant, peut être consulté sur « Gallica ». Les premières universités populaires, puis les Bourses du Travail, créées à la même époque, peuvent être en partie considérées, également, comme des ancêtres du Musée du Soir. Dans le cas des Bourses du Travail, c’est surtout la qualification professionnelle qui est visée, plus que l’ouverture à la littérature et aux arts divers (voir chronique parue dans ce blog sur ce sujet).
Lorsqu’il se lance dans ce projet, l’écrivain prolétarien Henry Poulaille bénéficie déjà d’une certaine audience dans le milieu ouvrier. Il vient de publier, en 1931, l’un de ses ouvrages les plus célèbres : « le pain quotidien ». Il a déjà créé deux revues : « Nouvel âge » et « Prolétariat ». Il est à l’initiative d’une troisième publication, celle de « A contre courant, revue mensuelle de littérature et de doctrine prolétarienne ». Ses frictions avec le Parti Communiste sont nombreuses, surtout depuis qu’il participe à la campagne pour la libération de Victor Serge, écrivain déporté en Sibérie par le gouvernement stalinien. Il refuse de participer au congrès pour la « défense de la culture » organisé par les intellectuels communistes. Poulaille estime que sa place est aux côtés des prolétaires et non des intellectuels piégés par une défense inconditionnelle de la ligne communiste orthodoxe. Il rejoint également le « Comité International contre la répression anti-prolétarienne en Russie » constitué à Bruxelles au mois de mars 35, et adhère, à l’automne 1936, au Comité pour «l’enquête sur le procès de Moscou et pour la défense de la liberté d’opinion dans la Révolution» formé à Paris. Cette opposition au « Parti » lui vaudra, à la libération, d’être « mis de côté » par la bande Aragon et consorts, mais ceci est une autre histoire !
Avant même l’ouverture du musée, voici comment Poulaille voit les choses (extrait d’un appel publié dans « l’homme réel » pour la création de bibliothèques ouvrières)… De ce texte se dégage une vision bien plus globale que ce que proposera le local des Buttes Chaumont.
«Elles contiendraient des collections de journaux syndicalistes, des ouvrages de technique et de doctrine, des œuvres littéraires d’auteurs strictement de tendance socialiste révolutionnaire. Ce ne seraient pas des salles silencieuses, on y parlerait. Des lectures y seraient faites. Des exposés, des résumés engageraient à la lecture. Il faudrait que ce soit des ruches vivantes et non des nécropoles. On aurait vite créé un noyau actif dans chaque quartier et, peu à peu, tous les indifférents reprendraient goût à la vie collective, cristallisation première du sens de classe que les mots d’ordre de lutte de classes ne sauraient remplacer».
Giraud, trésorier de l’Union des Syndicats de la Région Parisienne est d’accord pour financer la location d’un local situé au 69 de la rue Fessart. René Bonnet, l’écrivain charpentier, Ferdinand Teulé, le bouquiniste (les deux hommes sont sur la photo, Poulaille à l’arrière), donnent un coup de main pour l’aménagement du Musée. Dès l’ouverture, le 16 mars 1935, une première exposition est organisée. Elle a pour objet la vie et l’œuvre d’Emile Zola et rencontre un certain succès. Elle propose au public de découvrir l’œuvre de Zola à travers portraits, souvenirs, autographes et documents divers. Pour créer de l’animation, les expositions sont de courte durée, un mois généralement. Les projets ne manquent pas, mais le nombre des adhésions et leur montant réduit ne permettent pas de les financer. Le déficit est permanent et les « trous » dans la comptabilité doivent être comblés par les amis. L’un des objectifs est pourtant atteint : à part les artistes qui participent aux animations, le public du musée est essentiellement populaire. La première année, on dénombre 75 adhérents. Trois ans et demi plus tard, peu avant la fermeture, ce nombre est passé à 450. Ouvrières et employées constituent une part importante du public.
Même si leur nombre est réduit, René Bonnet, dans un bilan qu’il fait de son travail d’animateur, dénonce la part prise par les intellectuels, trop bavards, qui intimident parfois les ouvriers :
«Il y avait des bavards au Musée. On causait et les conversations n’étaient pas toujours intéressantes, voire instructives : on y parlottait parfois. Ces raisons avaient pour résultat qu’il était difficile d’y lire avec profit, sans être distrait par le voisin. Cet inconvénient n’était pas dû au hasard ni au manque d’activité du bibliothécaire. Mais, comme je l’ai laissé entendre, à l’exiguïté de la salle et, pour une part aussi, au trop grand nombre d’intellectuels fréquentant le Musée qui, sans étaler leur savoir, donnaient une impression d’infériorité aux ouvriers. Mais comme l’écrit André Sévry, il régnait au Musée du soir une atmosphère que l’on trouvait nulle part ailleurs. C’était en effet une ambiance de camaraderie qui, bien que ne correspondant pas au but initial fixé par Poulaille, ne manquait pas d’attrait.»
Parmi les projets qu’il est difficile de financer figure l’édition d’une revue. Celle-ci fera bien son apparition, mais en 1954, à l’initiative de Ferdinand Teulé et de Louis Lanoizelée. Un numéro consacré à Marcel Martinet. Ce sera le seul publié par cette équipe. Le projet revoit le jour l’année suivante en Belgique… mais l’idée est différente de celle de l’équipe du Musée du Soir. Une troisième série va paraître de 1957 à 1964. Celle-ci renoue avec le projet initial et elle est sous-titrée « Revue Internationale de Littérature Prolétarienne ». Son équipe de rédaction veille à l’indépendance du contenu vis à vis de toute chapelle ou parti politique. La publication est trimestrielle et diffusée sur abonnement seulement. Parmi les animateurs de la revue, voici ce que déclare René Berteloot :
«Nous étions intraitables sur ce point : l’authenticité sociale. C’est à dire que seuls les auteurs ouvriers ou paysans, écrivant sur leur condition, témoignant, pouvaient figurer parmi nos collaborateurs. Nous n’avons jamais dérogé à cette règle. Le nombre de signataires de nos différents sommaires, de Malva à Noguès, de Cluzel à Gornik, de Ligneul à Lanoizelée, de Bonnet à Poulaille, ou de Sabatier à tant d’autres, suffirait à prouver, si cela était nécessaire que la littérature ouvrière et paysanne existe bien, que si leurs auteurs étaient trop souvent méconnus, tout simplement nous entendions bien réparer cette injustice.»
Sources documentaires : en premier lieu, un article de Christian Porcher paru dans un numéro de la revue « Intinéraire » consacré à Henry Poulaille (difficile à se procurer malheureusement) – Un portrait d’Henry Poulaille sur le site du groupe Henry Poulaille de la Fédération Anarchiste – l’ouvrage de Thierry Maricourt « histoire de la littérature libertaire en France » – « Histoire de la littérature prolétarienne » de Michel Ragon – J’ai consulté également le site de l’APLO (Association pour la promotion de la Littérature Ouvrière), « littérature ouvrière » –