9 janvier 2018

En balade dans le Périgord : le village et le château de Bourdeilles

Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage; vieilles pierres .

Où il est encore question de « vieilles pierres » mais aussi d’épicerie ambulante, comme quoi…

 Quoi de plus évident comme itinéraire, pour des Dauphinois en goguette, rentrant du Pays Basque en ce mois de septembre finissant, que de passer par le Périgord pour revenir au bercail ? Surtout quand, à l’aller, on est descendus par la Margeride et l’Aubrac, deux autres de nos régions fétiches… La journée dans le Périgord vert ne fut guère souriante. La grisaille du ciel s’acharnait à vider le paysage de toute substance et à essayer de nous convaincre que ce Nord du Périgord, que nous connaissions assez mal, ne méritait pas qu’on lui consacre plus que le temps nécessaire à le traverser en voiture. Mais la magicienne qui veille sur ce pays vallonné n’était pas de cet avis. Il y avait plusieurs jours que je n’avais pas eu ma dose de « vieilles pierres » (comme les qualifie mon fils aîné) et j’étais plutôt en manque. L’arrivée à Bourdeilles, petit bourg très champêtre avec une vue splendide sur les ruines d’un splendide château fort, eut raison du début de morosité climatique ambiant ; d’autant que le comité des fêtes du cru, bienveillant à l’égard des touristes, avait eu l’obligeance de border la route de quelques surplombs rocheux fort bien venus pour faire une pause « clic-clac Kodak » comme on l’appelait dans les temps lointains du siècle précédent et ce sans avoir besoin du moindre parapluie… Voiture garée (presque comme il faut), appareil photo en batterie, je me précipitai de l’autre côté de la route, en bordure de la rivière Dronne… Un joli cadrage, histoire de ne pas voir que les poteaux EDF, les tas de gravier et les lignes téléphoniques peu seyants sur une gravure médiévale, et une première photo « carte postale » à mettre dans l’album. Nous étions en milieu de matinée et nous avions tout le temps nécessaire pour abandonner le véhicule et nous livrer à une exploration pédestre de ce lieu, apparemment aussi charmant que désert (c’est un privilège de ne pas voyager au mois d’août !).

 La commune de Bourdeilles compte moins de 1000 habitants au dernier recensement. Ce village castral avait plus d’importance au Moyen-âge puisqu’au Xème siècle, il avait été choisi pour être le siège de l’une des quatre baronnies du Périgord. Le tourisme vert attire à nouveau du monde pendant la période estivale, mais, en ce début d’automne, la rue principale est plutôt calme. Sur l’esplanade devant l’entrée du château, il y a un petit marché local de producteurs. L’occasion de s’arrêter un peu et de papoter avec l’une des marchandes présentes, une épicière ambulante dont la présence nous surprend. Chez nous, ce type de commerce a disparu depuis quelques décennies. Les plus longs à résister ont été les bouchers et les boulangers, mais eux aussi ont renoncé à leur tournée. Tous les commerces de proximité ont fermé même dans des villages comme le nôtre qui dépasse le millier d’habitants. Ne restent plus que les fameuses « zones artisanales » et leurs collections d’enseignes de supermarché, toujours les mêmes, proposant toutes les mêmes produits. Les marchés s’installent à nouveau mais beaucoup ont du mal à survivre. Ils simplifient pourtant grandement la vie des habitants qui n’ont pas de voitures ou n’ont pas envie de faire 5 km pour aller acheter une baguette de pain. Selon notre interlocutrice (Cécile Gomendy de « La cour des Miracles »), la situation est meilleure dans le Périgord et elle n’est pas la seule à poursuivre les tournées dans les villages avec son sympathique camion épicerie richement pourvu en produits bios, essentiellement locaux. Comme nos discussions ne sont jamais totalement désintéressées, on en profite pour faire l’acquisition de quelques bouteilles de Bergerac bio ainsi que de bière de la brasserie voisine de La Margoutie. Je remarque au passage que s’il y a un secteur qui est dynamique, dans toutes les régions de France, c’est celui des micro brasseries (plus d’une douzaine en Périgord, mais mes statistiques sont sans doute à mettre à jour).

 Si notre connaissance du milieu gastronomique local progresse à grands pas, ce n’est pas le cas de notre visite du château dont nous n’avons encore pas franchi le portail d’entrée. L’édifice est imposant. Contrairement à ce que l’on apercevait depuis notre parking, ce n’est point un, mais deux châteaux qui se trouvent dans la même enceinte. Lorsque la forteresse médiévale a été abandonnée au début de la Renaissance, les propriétaires ont fait construire une « villa italienne », à savoir un palais presque aussi imposant que son ancêtre, mais un peu plus accueillant grâce à ses nombreuses ouvertures. En passant d’un bâtiment à l’autre, on effectue un véritable parcours architectural et l’on peut mesurer, sans peine, l’évolution et les progrès des techniques utilisés par les maîtres d’œuvre successifs. Je ne pense pas que ce soit un souci pédagogique à destination des visiteurs du futur qui ait poussé les seigneurs du domaine à ne pas démanteler le premier pour construire le second. La forteresse a été conservée comme bâtiment à usage défensif ; le palais a servi de lieu d’habitation et de réception. Lieu de vie d’autant plus agréable que de somptueux jardins « à la française » ont été aménagés sur le pourtour de la nouvelle résidence. Les propriétaires ne manquant pas d’ambition, ils avaient même prévu, lorsqu’ils ont dressé les murs, des points d’ancrage pour une aile supplémentaire dominant la rivière, mais cette extension n’a jamais été construite.

Le point fort de la visite du château, c’est la grimpette au sommet du donjon par un escalier en spirale qui donne le tournis et qu’il vaut mieux ne pas escalader en courant, l’épée à la main, avec une cotte de mailles de dix kilos sur les épaules. La tour, de forme octogonale, mesure 35 mètres de haut et ses murs d’une épaisseur de 2,50 m ont plutôt bien résisté aux assauts du temps et des projectiles. Nous aussi on a bien tenu le choc à la grimpette, après trois semaines de randonnées (tranquilles mais quotidiennes) dans les Pyrénées Atlantiques. Pour être honnête il faut préciser aussi qu’on avait laissé la cotte de maille et la caisse de bière aux bons soins de notre gentille épicière après l’avoir grassement rémunérée avec une bourse d’écus bien remplie. Sur la plateforme sommitale on a une vue remarquable sur la vallée, et comme tout effort mérite une récompense, sachez que cette vue est magnifique ! Elle permet, entre autres, de se faire une idée du plan du village et d’admirer, presque vu du ciel, le vieux pont qui franchit la Dronne et le moulin rénové qui se trouve au pied du château.

Le second centre d’intérêt c’est la vaste salle qui se trouve à côté du donjon (voir photo). Elle mesure 38 m de long par 11 m de large. Il s’agissait de la pièce de vie principale du château, l’Aula, à l’intérieur de laquelle avaient lieu toutes les réceptions importantes. Elle est fort bien restaurée et ses fenêtres géminées assurent une relative luminosité. On ne possède guère d’informations sur la construction de ce magnifique bâtiment, si ce n’est qu’elle a débuté en 1283 sous la direction de Géraud de Maumont, l’architecte de Châlus et de Châlucet, l’immense forteresse du Limousin, et que ce château fort a été construit sur l’emplacement d’un bâtiment fortifié plus ancien fort endommagé, en 1259, par les guerres fratricides auxquelles se livraient les différentes branches de la famille de Bourdeille. Ce genre d’imbroglio est fréquent sur les sites médiévaux importants qui abritaient la résidence de plusieurs familles nobles et parfois concurrentes. Il faut donc savoir que le château fort visible actuellement date de la fin du XIIIème siècle, âge d’or de ce genre de constructions ! Sur le castrum précédent, on sait juste qu’il existait en 1183 : il avait servi de refuge à des abbés de Brantôme pourchassés par des brigands désireux de leur emprunter la collection de reliques de St Sicaire qu’ils transportaient.

Cette importance acquise par le château de Bourdeille (le « s » est un ajout récent) à l’époque médiévale ne dure pas et la forteresse va perdre de son importance au fil des siècles. Les causes sont nombreuses : querelles familiales, partages malencontreux, occupation anglaise pendant la Guerre de Cent Ans… Un certain nombre de personnages célèbres évoluent dans l’ombre de ce château qui n’est pas aussi « imprenable » qu’on voudrait le faire croire (la suite des événements en témoigne)… En 1310, Philippe Le Bel, craignant une attaque de son vassal, le roi d’Angleterre, installe une importante garnison royale dans la forteresse. Au début de la guerre de Cent Ans, la position de Bourdeille est critique, à cause de sa situation géographique et du fait du partage de la propriété entre deux familles occupantes, chacune étant liée à l’un des camps opposés. D’un côté, la famille Bourdeille, ayant prêté allégeance au roi d’Angleterre, de l’autre, une garnison aux ordres du Comte du Périgord rallié au roi de France, Philippe VI de Valois, depuis peu. Le parti anglais assiège le château pendant trois mois et s’en empare. On connait moult détails sur ce siège mémorable grâce au témoignage de l’historien Froissard qui l’a conté par le menu. La forteresse change à nouveau de camp en 1372, puis 1375. Nouveau siège, en août 1377 cette fois : l’armée du Duc d’Anjou est commandée par le connétable Duguesclin. Le drapeau à fleur de lys flotte à nouveau au sommet du donjon.

 La construction du palais Renaissance a débuté deux siècles plus tard, en 1588, à l’initiative de Jacquette de Montbron, l’une des favorites de Catherine de Médicis. Celle-ci avait quitté la cour et fait un « retour au pays », bénéficiant d’un legs de 4000 écus de la part de la Reine pour ses bons et loyaux service. Les travaux ont été rondement menés. Une dizaine d’années s’est écoulée avant que la châtelaine puisse quitter son autre propriété de Matha, dans le Saintonge, et s’installer dans sa nouvelle demeure de Bourdeilles. L’influence italienne est remarquable. La noble dame de Montbron n’a guère pu profiter du magnifique panorama qu’elle avait sur la campagne depuis les fenêtres de son grand salon, puisqu’elle est morte à la fin du chantier. Je dois vous avouer que si j’avais dû vivre en ce lieu, aucun des deux bâtiments ne m’aurait convenu : les espaces sont trop vastes dans le palais Renaissance, et je n’aurais pas apprécié de voir le plafond plusieurs mètres au-dessus de mon lit à baldaquin, et la cheminée à une vingtaine de mètres de là. Quant au château médiéval, appelé aussi château des Comtes, il m’aurait fallu un nombre considérables de torches et de chandelles pour que la lumière me suffise. Autre temps, autres mœurs. Tout au long de la visite on peut admirer des meubles splendides, en particulier une collection de coffres qui n’a pas manqué de me rappeler celle qu’on avait admirée au château de Gruyère chez les Helvètes.

 L’angélus de midi nous a incités à admirer aussi au passage la somptueuse église qui se dresse à portée d’arc du donjon. La faim (et non l’irrévérence religieuse) nous a par contre poussés à nous abstenir de la visiter ce qui est sans doute un manquement regrettable au respect des lois du tourisme. Le restaurant sis sur l’esplanade du château avait une mine sympathique, et son menu était des plus attrayants, mais notre conscience nous a rappelés à l’ordre : les excès alimentaires se multipliant, un jeûne momentané serait sans doute le bienvenu. Tout cela s’est terminé par un piquenique modeste dans la voiture sous la pluie, quelques kilomètres plus loin, dans la très photogénique cité de Brantôme, mais je garde cette histoire pour vos vieux jours. je sais que vous êtes tous hyper actifs et qu’il ne faut pas abuser de votre temps. Dès maintenant je travaille à l’écriture de chroniques format « texto », du genre qu’on peut lire le temps que le feu repasse au vert… Quand je pense que je m’étais juré de ne pas m’étendre sur la partie historique de cette chronique !

Sources documentaires et illustrations
• Photos de l’auteur sauf n°2 : annuaire de l’économie locale et solidaire.
• sources documentaires : mairie de Bourdeilles – livre de Jean Mesqui  « Châteaux forts et fortifications en France » –

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