2 mars 2018

L’étranger ? A toutes les époques un « ennemi intérieur »…

Posté par Paul dans la catégorie : Luttes actuelles .

Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire, la France s’est construite à travers des vagues d’immigration successives qui ont largement contribué à développer la richesse de son économie, de sa culture et de son patrimoine… et ce ne sont pas Monsieur Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa ou Monsieur Emmanuel Vals de Barcelone, qui vont me contredire, bien que la contribution de ces derniers personnages prêtât à discussion. Mais je ne suis pas là pour polémiquer, juste pour dresser un constat… France terre d’accueil, pays des lumières, paradis des droits de l’homme, de quoi rêver non ?

Trois petites excursions dans l’histoire pour voir comment évolue la situation des migrants au pays des « droits de l’homme »

A en croire une fraction importante de la population relayée par les formations politiques de droite (extrême ou non), du centre et de la gauche (quand elle est au pouvoir), l’étranger est celui qui « mange le pain des Français » (au mieux !), les assassine dans la rue, les cambriole dans leur demeures les plus humbles ou est grandement responsable d’une bonne partie de leurs maux. Depuis quelques années, les qualificatifs peu enviés que l’on utilise pour qualifier les populations immigrées, se sont vus enrichis par ce terme universellement employé de « terroristes ». L’analyse de ce vocable mériterait une chronique à elle seule, tant il recouvre n’importe quoi et son contraire. Qualifiés de « terroristes » par l’occupant nazi, les maquisards sont restés dans la mémoire collective comme des « résistants »… Les « terroristes » qui se sont opposés à la Grandeur Française dans les colonies, sont, dans leur pays d’origine, des héros et des martyrs. Après guerre, les Anglais qualifiaient de « terroristes » ceux-là même qui utilisent ce mot fourre-tout pour désigner la population palestinienne résistant à l’occupation… Tous les mouvements de population n’ont pas les mêmes causes, mais ils ont, dans la plupart des cas, le même résultat tragique… Quelques exemples…

Au temps de la monarchie

  L’envie d’écrire ce billet sur la façon dont les « étrangers » sont accueillis sur le territoire national m’est venue en lisant l’excellent ouvrage de Michelle Zancarini-Fournel, « les luttes et les rêves », sorte de pendant à la française de la non moins excellente « Histoire populaire des EtatsUnis » d’Howard Zinn. A la page 77 commence un texte intitulé « l’invention des étrangers », dans le chapitre qui traite de la vie quotidienne au « Grand Siècle ». On apprend, en le lisant, que ce sont surtout les campagnes françaises qui se méfient de ces gens « qui ne sont pas du pays » : forains, mendiants, mais aussi Juifs, Tziganes… Un vocabulaire spécifique est utilisé dans certaines régions.  « Pour désigner l’autre, les mots sont légion : « l’aubain » se distingue du « régnicole » (du royaume), le « natif » du « horsain »…» Les villes sont plus accueillantes. « Cependant, le nombre total d’étrangers est relativement faible et il y a un contraste de longue date en France entre cette faible importance numérique et le problème récurrent de leur accueil. » Cette dernière assertion est toujours vérifiée dans la région rurale que j’habite. Les villages où les formations politiques racistes font les meilleurs scores ne sont pas ceux où vivent le plus grand nombre d’immigrés (autre terme prêtant à sourire puisque certaines familles habitent au même endroit depuis deux générations au moins).

 Le pouvoir royal prend le même genre de dispositions au XVIIIème siècle, que nos élus républicains modernes. Toujours selon le même ouvrage de référence « les luttes et les rêves » :

« Le 22 juillet 1697, le roi signe et publie une Déclaration qui annonce la taxation des étrangers ainsi que leurs descendants, héritiers et ayants-droit. Dans l’avant-propos de l’édit, il se réfère à des droits féodaux abandonnés depuis le Moyen-Âge – le chevage et le formariage – et au droit d’aubaine : le roi récupérait en cas de décès les biens d’un étranger ou « aubain ». Par ailleurs, depuis une ordonnance de 1643, les étrangers ne peuvent entrer dans un corps de métier et ils n’ont pas le droit d’exercer de charges publiques. »

Nous n’en sommes pas encore là, mais je suis certain que nombre de nos concitoyens considèrent qu’empêcher les étrangers de travailler, puis les expulser parce que « sans travail » serait une solution pertinente… Disons que, pour l’instant, une telle politique ne conviendrait guère aux patrons de l’industrie ou aux entrepreneurs agricoles qui perdraient là une bonne opportunité d’avoir de la main d’œuvre taillable et corvéable à merci…

Les Belges et les Polonais dans le Nord de la France au XIXème et XXème siècle

  Si les conflits avec les travailleurs italiens et les maghrébins sont bien connus, l’état des relations avec les Belges et les Polonais l’est beaucoup moins. Dans les années 1847-1851, la Flandre belge connait une crise économique presque aussi grave que celle de l’Irlande à cette époque. Le déclin des filatures et des travaux à domicile de tissage met au chômage de nombreux travailleurs et travailleuses. Beaucoup choisissent d’émigrer dans le Nord de la France et s’installent dans les villes importantes, notamment à Lille. Le problème c’est qu’il n’y a guère de travail à leur offrir sur place et que beaucoup de ces immigrés se retrouvent à mendier dans les rues. La région du Nord devient alors l’une des plus pauvres de France et les incidents sont nombreux entre les travailleurs locaux et les nouveaux arrivants, accusés de « voler le travail » et de « tirer les salaires vers le bas ». La majorité des Belges qui s’installent viennent de Flandre et ne parlent pas le Français. Cette situation rend leur intégration encore plus difficile. Au lieu de s’unir contre les patrons exploiteurs, les ouvriers s’entredéchirent. Cette vague d’immigration est complétée par le phénomène des transfrontaliers, Belges francophones qui continuent à habiter en Wallonie, mais traversent la frontière quotidiennement pour venir travailler dans les houillères ou la métallurgie. Ces derniers ne sont pas vus d’un bon œil non plus et les incidents sont nombreux. En 1886, les Belges représentent la moitié des étrangers immigrés en France.

 A Lens et à Lievin en 1892 ont lieu des émeutes dont les ouvriers belges et leurs familles sont les principales victimes. Je relève un témoignage parmi d’autres dans une publication de Mme Natsue Hirano, chercheuse à l’université libre de Bruxelles :

« J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que j’étais bien installé en France où je gagnais bien ma vie, de quoi élever ma famille convenablement, lorsque le 15 août dernier, je fus mis en demeure par les ouvriers français d’avoir à déguerpir en moins de 24 heures; sinon je serais tué et mes meubles mis en pièces. Tous mes camarades belges se sont trouvés dans le même cas que moi, un de ceux-ci a les deux jambes cassées au travail et (a été) menacé comme les autres; un autre est mort dimanche dernier à l’hôpital de Lens, des suites des blessures reçues de la part des ouvriers français, ses fenêtres et ses meubles furent brisés, nous sommes tous forcés de revenir et ne trouvons pas d’occupation. »

Encore une fois, ce ne sont pas les véritables responsables de la crise qui paient les pots cassés. Ces événements vont marquer le début du reflux des ouvriers belges dans leur pays d’origine où la situation s’est un peu améliorée. Mais les « Popauls » (surnom que l’on attribue aux Belges, dans le Nord) ne sont pas les seules victimes d’exaction. Dans le Sud de la France, ce sont surtout les Italiens, plus nombreux, qui sont visés. A Aigues-Mortes, en 1893, les émeutes à l’occasion de la campagne de ramassage du sel font huit morts et de nombreux blessés… En 1894 c’est l’assassinat du Président Carnot, par Sante Caserio, un Italien, qui provoque une réaction xénophobe violente. Les entrepôts, les magasins tenus par des Transalpins sont pillés et incendiés. Dans ce dernier cas, ce ne sont pas toujours des employés ou des ouvriers qui sont « à la manœuvre ». Dans les quartiers populaires, une partie des habitants sont même solidaires de leurs voisins injustement agressés.

 Au XXème siècle, le patronat continue à jouer sur la division et les rivalités entre travailleurs. Pour faire face à la pénurie de main d’œuvre causée par les massacres de la grande boucherie de 1914/18, les industriels du Nord n’hésitent pas à faire largement appel aux mineurs et aux sidérurgistes polonais. L’industrie n’est pas la seule demandeuse de main d’œuvre et de nombreux Polonais et Polonaises viennent aussi remplacer les agriculteurs morts ou trop handicapés pour travailler dans les fermes. Habitués à des conditions de travail plutôt rudes et à des salaires de misère, ils prennent peu à peu la place des voisins belges qui sont retournés chez eux ainsi que des locaux. Dès 1919, après un accord passé avec le gouvernement polonais, l’immigration est massive. Lorsque l’on n’a plus besoin d’eux pour « boucher les trous » et maintenir la pression sur les salaires, ou alors qu’ils commencent à revendiquer et à se syndiquer, on se débarrasse d’eux sans aucun scrupule. Dans ce contexte, les relations entre communautés sont difficiles. Le repli sur soi est la règle commune, même si le nombre des mariages mixtes augmente peu à peu ; les rixes, les agressions, les insultes ne manquent pas, mais les incidents sont moins violents qu’à la fin de siècle précédente. Les problèmes sont moins nombreux en campagne que dans les villes. En 1926, le recensement dénombre plus de trois cents mille Polonais en France. C’est dans le département du Pas-de-Calais qu’ils sont les plus nombreux.

Les Républicains espagnols en 1939

  L’échec de la Révolution en Espagne, et la défaite du camp républicain, va entrainer « la Retirada », un exil massif des soldats et des civils du camp des vaincus vers la France. La répression franquiste est impitoyable : exécutions sommaires, emprisonnement, tortures, viols… terrorisent la population. Ceux qui en ont la possibilité fuient et se retrouvent totalement démunis dans notre pays au début de l’année 1939. Cinq cent mille Espagnols au moins franchissent la frontière rien qu’entre janvier et mars. Bien que l’évolution de la situation ait été prévisible depuis plusieurs mois, le gouvernement français n’a rien prévu face à l’ampleur de la vague de réfugiés. Ceux-ci se retrouvent du jour au lendemain enfermés dans des camps de concentration, au pied des Pyrénées, et traités comme du bétail. La seule chose existante à leur arrivée, ce sont les murs de barbelés et les miradors. A Rivesaltes, les « internés » dorment sur la plage en plein hiver : aucun équipement sanitaire dans un premier temps et la nourriture fait défaut. Le détail de leur conditions de vie a été très bien étudié dans certains ouvrages. Pour résumer, ils sont considérés comme des parias, des « Rouges », et rejetés par une large fraction de la population française. On craint la « contamination » et on évite, autant que possible, l’intégration de ces nouveaux arrivants, en les parquant comme des lépreux. Je vous invite à relire ce que j’ai écrit sur les camps d’internement, et notamment celui d’Arandon, à côté de chez moi. Seuls les réfugiés qui ont de la chance, ou bénéficient du soutien de réseaux militants (heureusement actifs) arrivent à tirer plus ou moins bien leur épingle du jeu. Les mauvaises condition de détention, le manque d’hygiène, entrainent un nombre considérable de décès. Maintenant que les chiffres commencent à être vraiment connus, ils donnent froid dans le dos.

 Il est plus qu’utile, en ce moment, de relire des ouvrages sur cette période sombre de notre histoire (1) ; cela permet de comprendre (mais non d’accepter) la « frilosité » d’un certain nombre de collectivités locales pour accueillir les exilés d’Afrique ou du Moyen-Orient ces derniers temps, alors que l’on n’en compte que quelques milliers qui souhaitent vraiment s’installer dans le « Pays des droits de l’homme ». Etrangers ? Méfiance : ils sont là pour faire augmenter la criminalité, voler nos emplois, piétiner notre religion…. si l’on écoute les discours des Le Pen et autres Wauquiez, chantres du protectionnisme et de la xénophobie. Tout cela n’est pas nouveau dans notre pays (comme dans d’autres) mais il est dommage que l’on ne cherche pas les vraies causes et les vrais responsables de ce genre de situation. Il faut une sacrée dose d’hypocrisie et de cynisme pour rejeter ces personnes qui sont chassées de leurs lieux de vie par les armes et les munitions que nous fabriquons et vendons massivement à leurs gouvernements ou à leurs diverses milices extrémistes.

Notes de l’auteur – (1) je vous propose par exemple deux livres assez peu connus mais très intéressants sur le plan documentaire : « Odyssée pour la liberté » de Marie-Claude Rafaneau-Boj aux éditions du Coquelicot ; « Debout dans l’exil » de Michel di Nocera aux Editions libertaires.

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