14 mars 2018
Du cynisme comme art de gouverner
Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive la Politique .
Nos modernes capitalistes n’ont rien à envier à l’ancienne aristocratie pour ce qui est du cynisme. En écoutant certaines déclarations il me semble entendre à nouveau le tristement célèbre « S’ils n’ont plus de pain, qu’ils mangent de la brioche », attribué (à tort ou à raison) à Marie Antoinette. Je comparais récemment la politique à une partie de bonneteau permanente. Je fais des promesses à Jacques que j’ai l’intention de réaliser en déshabillant Pierre, puis j’ai le même genre de comportement avec Jean, dont j’ai l’intention de satisfaire les revendications en déshabillant Jacques… Trouver des exemples pour illustrer mon propos n’est pas bien difficile ; il suffit de s’imposer, de temps à autre, le pensum de suivre une émission d’actualité politique sur l’une ou l’autre des chaînes de télévision qui sont censées nous informer. J’en choisis un dans un domaine que je connais plutôt bien, celui de l’éducation. Dans un premier temps, le ministre annonce en fanfare la création de classes de CP à 12 élèves ; en disant cela, il sait pertinemment qu’il n’a pas de budget pour créer le nombre de postes suffisants ; ce n’est pas un problème… Pour tenir partiellement au moins cet engagement, notre brave politicard ferme un maximum de classes rurales. Mais ce dernier point, bien sûr, il évite de l’évoquer lors de la table de presse qu’il tient pour annoncer sa miraculeuse réforme. Si les poules se mettaient à caqueter dans le poulailler, il suffirait de trouver un journaliste aux ordres (cela ne manque pas…) pour traiter de « privilégiés » les enfants des classes rurales… Je me rappelle d’ailleurs que c’est l’argument inverse que l’on a employé à tort lorsqu’on a fermé les classes uniques par centaines chaque année. Le tour est joué : les naïfs et les benêts sont prêts à croire que je fais un maximum d’efforts pour l’éducation…
Un autre exemple dans l’agriculture ? Un Macron, la main sur le cœur, déclare aux jeunes agriculteurs avec une voix exaltée qu’ils sont l’avenir de la France, tout en sachant pertinemment que son gouvernement négocie pour faciliter l’importation de produits agricoles à bas coût d’Amérique du Sud. Les ploucs, ingrats, ayant tendance à ne pas percevoir les avantages de cette nouvelle manifestation de la si moderne « globalisation » économique, notre bon président, toujours aussi séducteur, les rassure en leur annonçant des aides et des subventions. Vu ce que gagnent certains, il va falloir leur fournir un masque à oxygène, car ils ne pourront pas garder la tête hors de l’eau bien longtemps. Mais ça non plus je ne le leur dis pas. Des gens qui sont assez naïfs pour croire que les dirigeants de la FNSEA défendent leurs intérêts, ça ne doit pas être difficile de leur faire croire à une nouvelle version du petit chaperon rouge…
Je voudrais approfondir la question de ce cynisme extrême qui est le fondement même de ces discours et de ces pratiques. Nos dirigeants sont champions en la matière : porter aux nues une catégorie sociale pour la trainer dans la boue quelques années plus tard, en oubliant les sacrifices réalisés et les services rendus. La campagne de dénigrement actuelle à l’encontre des cheminots en est une bonne illustration. Prenons, au hasard, notre cher Président (il faut dire qu’il est orfèvre en matière de cynisme). Les médias nous le présentent arpentant les couloirs du salon de l’agriculture ; il se dit ému des conditions de travail des agriculteurs et s’apitoie en particulier sur les jeunes qui débutent dans la profession : « Je ne peux pas avoir d’un côté des agriculteurs qui n’ont pas de retraite et de l’autre avoir un statut cheminot et ne pas le changer » – sous-entendu, si vous êtes dans la merde, les cheminots, eux, sont (encore une fois) des privilégiés… Et, sur la lancée, de promettre la mise en place d’un système de pré-retraite, pour faciliter notamment la reprise des exploitations agricoles par les enfants des paysans. Ce beau discours à l’épreuve des faits ? Quelques jours plus tard, un député communiste, André Chassaigne, présente un projet de loi visant à revaloriser les retraites agricoles pour que leur montant atteigne 85% du SMIC (un luxe !). Le projet est adopté par l’Assemblée Nationale, et accueilli favorablement par le Sénat… Pour la suite, je cite le journal « L’humanité » (eh oui ça arrive parfois sur ce blog !) :
Et c’est là qu’est intervenu le gouvernement pour demander un « vote bloqué ». Cette procédure, nous dit l’article 4 alinéa 3 de la Constitution, fait de sorte que « si le gouvernement le demande, l’Assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendement proposés ou acceptés par le gouvernement » […] Pour dire les choses clairement, le gouvernement a recouru à cette procédure afin de vider le texte de son contenu pour ne pas permettre une augmentation des petites retraites perçues par une majorité de paysans et surtout de paysannes. Il est vrai que le texte visait à taxer légèrement le capitaux qui spéculent en Bourse au lieu de s’investir dans la production, afin de financer cette augmentation des retraites paysannes sans augmenter les cotisation dans une profession où près d’un tiers des exploitants n’ont dégagé qu’un revenu mensuel moyen de 350€ en 2016 du fait de la chute du prix du lait, de la viande et des céréales. On peut donc penser que c’est avant tout l’idée de taxer les capitaux spéculatifs qui a déplu au président Macron, lui qui par ailleurs a tenu à ce que les retraités paient à la place des salariés la cotisation chômage et la cotisation maladie. Tout cela pour que les smicards aient 10€ de plus à la fin du mois sans que cela ne coûte un centime à leur patron, même quand ce dernier se nomme Bernard Arnault, quatrième fortune mondiale, Serge Dassault ou François Pinault.
Statu quo donc pour les retraités privilégiés du monde agricole… Impossible, dans ces conditions (et même en louant les terres précédemment cultivées) de financer ne serait-ce qu’un séjour dans ces fameux EHPAD dont on nous a tant parlé ces derniers temps. Si l’exploitation familiale continue à tourner, ce n’est pas le revenu mensuel des futurs héritiers qui va financer l’opération. Seule perspective, la vente partielle ou totale du patrimoine qui permettra dans certains cas de boucher les trous.
Les cheminots – c’est écrit dans les médias – vont perdre une longue liste de privilèges et retrouver un statut de « salarié normal ». Les journalistes – bâclant (volontairement ou non) leur travail de documentation – dénoncent parmi les « privilèges » qui vont être abolis par la nuit du 4 août macronienne, des avantages particuliers à la profession ayant déjà disparu depuis quelques décennies. La fameuse « prime charbon », citée par Mme ex-FN dans l’un de ses discours et reprise par certains chroniqueurs ironiques, a réellement disparu avec la traction vapeur, c’est à dire il y a presque un demi-siècle. D’autres avantages, cités comme scandaleux, sont partagés par de nombreux salariés. Je ferais remarquer au passage que si certaines catégories professionnelles bénéficient d’intéressements divers, cela devrait servir de modèle pour l’ensemble des salariés et non de repoussoir. Excusez-nous Monsieur Philippe, Monsieur Macron, mais nous préférons, en ce qui nous concerne, le nivellement par le haut, plutôt que de souscrire à votre tendance à vouloir tout ratiboiser et ramener au minimum.
Commencez par faire le ménage dans vos locaux, chers élu.e.s. Le député de la France Insoumise, Ruffin, a prononcé, à l’assemblée, un discours fort juste (même s’il est un peu larmoyant) sur les conditions de travail des femmes de ménage qui astiquent chaque jour les pupitres et les chiottes de vos locaux princiers. Elles travaillent tôt le matin pour ne pas vous « importuner » et par la grâce du travail à temps partiel imposé, sont rémunérées un peu plus de 600 euros par mois. Cela ressemble aux conditions de travail des nonnes au Vatican… mais, pour une fois, je ne vais pas dériver sur le terrain religieux. Il y a suffisamment à dire et à faire dans le monde laïc.
Par chance, le cynisme n’est pas seulement le trait de caractère dominant de nos gouvernants. Dans le monde de l’économie, c’est un élément courant du discours. On ne sera donc pas étonné d’entendre Monsieur Xavier Niel, patron de la société Free, déclarer : « Quand les journalistes m’emmerdent, je prends une participation dans leur canard et ensuite ils me foutent la paix ». Quel magnifique éloge de la liberté de la presse. On comprend mieux pourquoi une connerie professée par un média officiel soucieux de plaire à ses chefs est reprise en cœur par l’ensemble de la profession. Du coup, à la télé ou sur les journaux, on passe d’une campagne de dénigrement à une autre. Le thème de la série c’est la destruction des services publics ; à chaque « saison » son leitmotiv : un coup les électriciens, un coup les cheminots, un coup les enseignants et leurs vacances à rallonge. Le grand art, c’est de ne pas oublier d’entrecouper chaque nouvelle saison, par des mini-séries larmoyantes : pauvres aides soignantes, pauvres agriculteurs, pauvres sans abris… Il ne faut pas lasser le chaland, et se servir de la misère des uns pour écraser la vie soi-disant facile des autres. Comme je l’ai déjà dit par ailleurs, l’art de faire croire à ceux qui sont tout en bas de l’échelle que ce sont ceux postés quelques barreaux en dessus qui sont responsables de leurs malheurs… Surtout pas ceux qui sont en haut de la tour. Eux, il faut les respecter, admirer leur réussite… Il paraîtrait qu’en France on a trop tendance à dénigrer les malheureux qui ont réussi à se hisser à la force du poignet tout en haut de la pyramide sociale. Je compatis au malheur de Monsieur Bernard Arnault qui n’a pas réussi à monter sur le podium mais qui a réussi quand même à atteindre la quatrième place au classement mondial des gens qui ont un max de blé. Heureusement, avec ses 72,2 (important le « ,2 ») milliards de dollar, il est médaille d’or en France et en Europe. Pour revenir à ce que je disais au début, je pense qu’il pourrait céder « 0,2 » milliards, cela permettrait à certains qui ne se nourrissent que de mauvais pain blanc de passer à la brioche bio.
Certains – et ils ont en grande partie raison – diront que l’on ne récolte que ce que l’on sème, et que le cynisme est lié au pouvoir quelle que soit la forme qu’il revêt. Cela n’empêche pas qu’il est important de dénoncer tous ces actes et toutes ces paroles malveillantes, aussi longtemps que des citoyen•nes auront l’occasion de les entendre. Tant que nous continuerons à accorder une confiance aveugle à des individus sans scrupules, il est probable que la situation ne s’améliorera pas. Comprendre cela peut cependant permettre de faire un sérieux pas en avant vers un futur un peu plus souriant. Comme le disait Camus : «Nous sommes décidés à supprimer la politique pour la remplacer par la morale. C’est ce que nous appelons une révolution».
NDLR – illustration 3 : site andrechassaigne.org – illustrations 4 et 6 : La Belette – illustration n°7 : provenance blog « Voix dissonantes » –
3 Comments so far...
Anne-Marie Says:
14 mars 2018 at 13:43.
« Comportez vous en moutons, vous finirez en côtelettes. » (P. Légasse)
Phphi Says:
14 mars 2018 at 21:43.
Paul, tu as juste « oublié » que Bernard Arnault avait, l’année dernière, augmenté son petit pécule de … 74%.
Et pourquoi ne parles ne tu pas d’apple, qui se contrefout de ses client, en ne payant AUCUN impôt?
Tu files ton pognon à une multi nationale qui pratique l’évasion fiscale.
Pour un libertaire anarcho, je trouve cela pathétique 😉
On en reparle cet été?
BiZZZ
Phphi Says:
14 mars 2018 at 21:50.
Un anarcho libertaire qui file tout son pognon à une multi nationale qui pratique l’évasion fiscale, hallucinant!
J’avoue ne pas comprendre tes coups de gueule contre le système auquel tu adhères.
La pomme se contrefout de toi et de ta retraite, Paul 😉