22 novembre 2018
La France résout le problème des déchets nucléaires… à coups de matraque !
Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Luttes actuelles .
La France est en train de résoudre le problème du stockage des déchets nucléaires, comme elle gère celui des personnes migrantes ou comme elle impose les G.T.I. (Grands travaux Inutiles) au bon vouloir de Messieurs Vinci et consorts : à coups de matraque. La situation est simple selon le gouvernement : il y a les gentils, ceux qui paient leurs impôts et protestent tous les cinq ans en mettant un bulletin dans l’urne, au gré des suggestions médiatiques ; il y a les méchants, auxquels on trouve des noms rigolos, souvent anglophones : les Zadistes, les Blackblocs, les No Borders, les squatteurs… bref tous les « terroristes » en herbe. Ces derniers sont faciles à identifier : les chaînes de télé, les journaux aux ordres, les radios consensuelles… vous les désignent préventivement à chaque nouvelle tentative de rébellion. Quand il y a manifestation, il y a casseurs et si les contestataires ne sont pas assez excédés pour casser eux-mêmes, on trouve toujours dans sa manche quelques provocateurs pour mettre de l’ambiance. C’est ringard comme méthode, mais ça marche.
Selon les informations qui circulent en ce moment dans les milieux bien zinformés, le gouvernement semble faire une fixation sur la construction imposée du futur centre de stockage des déchets radioactifs de Bure. Pas de tintamarre comme à NDDL, mais cela n’empêche que les bras armés frappent fort. Le pire c’est que l’opposition sur le terrain ne représente qu’un petit nombre de gens et que, pour annihiler leurs volontés insoumises, nos ministres et hauts fonctionnaires investissent un « pognon de dingue » : genre on envoie les chalutiers de hauts-fonds pour pêcher le goujon dans la rivière. Les mailles du filet ont beau être de plus en plus fines, sophistiquées et coûteuses, nos obsédés du « renseignement » ne pêchent guère. Quant à nos journaleux, ils n’ont pas encore pronostiqué la présence à Bure d’énormes stocks d’armes dissimulés, comme à NDDL ; comprenez les, en matière de propagande il faut changer les modes d’approche sinon on se couvre facilement de ridicule. Des véhicules blindés, des armes légères, des stocks phénoménaux de grenades, il y en avait bien, de l’autre côté de l’Hexagone, vers Nantes, mais uniquement entre les mains des forces de destruction massive casquées. Le prix de l’essence augmente ; le « pouvoir d’achat » des casseurs est limité et ils ne peuvent donc pas multiplier à l’infini les commandes de cocktails molotov ; en plus, ça pollue.
La filière nucléaire patine dans la choucroute. Les comptes des entreprises sont dans le rouge ; les coûts de chantier explosent ; les zones de stockage de déchets sont saturées (et il en arrive chaque jour plus à traiter)… Pas de problème : le contribuable paie et renfloue EDF, Areva, et consorts. Le cumul des difficultés n’empêche aucunement les cerveaux qui nous gouvernent (et décident pour nous) de persévérer dans la même direction : à fond, à fond, gravier ! EDF rachète (fort discrètement) des terres agricoles sur le périmètre des centrales du val de Loire. Il faudra bien caser quelque part les EPR de demain, les piscines et les aires de stockage… L’opinion publique, le débat démocratique, la consultation des intéressés ? Rien à foutre. Pendant ce temps, sur l’étrange lucarne, on vous parle électricité verte, moteurs électriques pour les bagnoles, pénuries possibles pendant l’hiver. Vas-y coco, les luttes antinucléaires ont baissé d’intensité, c’est plus la mode. Reste juste à espérer qu’il n’y ait pas encore un p’tit Tchernobyl qui vienne inquiéter le public ; espérons aussi que le gouvernement trouvera d’autres secteurs à pressurer pour combler le déficit abyssal de nos constructeurs de génie…
Reste que, les déchets, court terme, moyen terme, long terme, il faut bien en faire quelque chose et que maintenant que le site de Bure a été amoureusement sélectionné par nos technocrates on va pas renoncer. Alors on met le paquet… On arrose les collectivités locales avec des bennes de subvention et si ça ne suffit pas à balayer toute opposition, on matraque, on gaze et on emprisonne. Perquisitions à tout va, filatures, écoutes, fichage et contre-fichage. L’agriculteur du coin se métamorphose en terroriste pur jus et la fourchette devient arme de guerre de première catégorie. Quelques extraits de presse, histoire d’illustrer mon propos (au cas où vous ne les auriez pas déjà savourés) :
• Libération pour commencer bien que ce ne soit pas ma tasse de thé : « Ils ne sont que quelques dizaines, pourtant la justice emploie les très grands moyens. « Libération » a pu consulter le dossier d’instruction contre les militants antidéchets nucléaires : une procédure titanesque employant les ressources les plus pointues… de la lutte antiterroriste. (…)
L’objectif clairement affiché est de mettre en évidence la « radicalisation » d’une partie des opposants ayant des « desseins criminels » et auteurs, selon les gendarmes, d’ »infractions graves n’ayant pour l’instant entraîné que des dégâts matériels ». Dans cette instruction, qui a déjà dépassé les 10 000 pages et que Libération a consultée, les investigations les plus intrusives des enquêteurs s’enchaînent frénétiquement. Une « cellule Bure » à la gendarmerie est montée en coordination avec le parquet de Bar-le-Duc. Une dizaine de militaires travaillent sur le mouvement. La plupart à plein temps. Surveillance physique, géolocalisation, balisage de véhicule, placement sur écoute, tentative de sonorisation d’une maison, expertise génétique, perquisitions, exploitation de matériel informatique… Ces techniques spéciales d’enquête ont été étendues ou légalisées par la loi du 3 juin 2016 sur la criminalité organisée et le terrorisme. […] »
• CQFD Journal : « Bure, dans la Meuse. Ses 80 habitants, ses champs de céréales à perte de vue et… sa future poubelle nucléaire. C’est ici, à 500 mètres sous terre, dans un Centre de stockage géologique (Cigéo), que la filière atomique veut enfouir ses déchets les plus dangereux. De drôles de colis qui resteront radioactifs pendant des centaines de milliers d’années. Forcément, la perspective est inquiétante. Alors, l’État sort le chéquier : élus invités dans les meilleurs restaurants, millions d’euros de subventions… « Une sorte de corruption institutionnelle », persiflent les récalcitrants. Mais comme l’argent ne suffit pas, il faut aussi jouer de la matraque. Dans les bourgades désertes de la région, des patrouilles rôdent sans cesse autour des lieux collectifs habités par les opposants. « Les vieux du village disent que même pendant l’Occupation, les nazis tournaient moins souvent », grimace un agriculteur du coin. « Maintenant, je laisse mes papiers dans le tracteur », raconte un de ses collègues, qui a déjà eu droit à plusieurs contrôles d’identité. […]
Par moments, la vis se resserre encore. Les opposants annoncent une « semaine d’action » pour début septembre ? La préfecture sort un arrêté interdisant le transport d’objets en tout genre. Peinture, feux d’artifice, paille, poutre, matériel de camping… tout y passe. Les gendarmes multiplient les fouilles de véhicule. L’objectif est notamment de prévenir toute tentative de réoccupation de la Zad du bois Lejuc, expulsée en février. Une forêt dans laquelle il est désormais strictement interdit de pénétrer. Il en coûtera à l’impudent « 500 euros par heure commencée », dixit un gendarme prévenant. Dans de telles conditions, la « semaine d’action » de septembre ne put qu’être très calme – sauf le bruit des hélicoptères qui surveillaient la zone. »
• Reporterre, témoignage de Gaspard d’Allens, (journaliste jugé sans même en avoir été informé !) : « Nos corps sont muselés, nos paroles entravées. Chaque geste qui s’opposerait à l’ordre existant est susceptible, désormais, d’entraîner des poursuites judiciaires. Une longue litanie de procès et d’enquêtes, de surveillances téléphoniques et d’élucubrations policières… »
Tout cela rappelle l’affaire de Tarnac, vous ne trouvez pas ? Le témoignage de Gaspard d’Allens mérite d’être lu en entier, ainsi que les autres articles évoqués. C’est pour cela que je vous ai indiqué le lien afin d’éviter de vous surmener. Pour le pouvoir, il est urgent de faire passer ce dossier de Bure en force, quitte, comme pour le contournement autoroutier de Strasbourg, à commencer les travaux avant même que les poursuites judiciaires en cours aient abouti. C’est normal, Bure, le nucléaire, c’est le progrès. Les opposants sont d’égoïstes bobos passéistes. Stocker n’est pas gérer, surtout lorsqu’on fait aux générations à venir un leg mortel de quelques dizaines ou centaines de milliers d’années. Imaginez que Ramsès II ait recouru à l’énergie nucléaire… Les déchets stockés sous les pyramides (pourquoi pas ?) n’auraient que 3300 ans d’âge alors que la période du Plutonium (délai nécessaire pour perdre la moitié de sa radioactivité) n’est que de 703 millions d’années… Il va en falloir des matraques pour contenir la pollution ! La société nucléaire, ainsi qu’on le clamait déjà dans les années 70/80 ne peut être qu’une société policière. Pour nos technocrates, ce n’est qu’une histoire de foi : demain on rasera gratis et on trouvera bien une solution… ?
NDLR : Collecte d’infos essentiellement réalisée à l’aide de l’excellent site du réseau « SeenThis » et de « Sortir du Nucléaire » (lien pétition pour exiger l’arrêt des travaux et de la répression).
Complément (le 28/12/2018) : Ça commence à bouger ! Voir article sur Bastamag à cette adresse….