28 février 2019
Je ne suis (vraiment) pas un mec sérieux (*)
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour...; Notre nature à nous .
La tête et les bras dans le jardin, les jambes sur le vélo… Voici le résultat de toutes ces belles journées lumineuses que nous avons eues en février. Je ne sais pas si c’est bien pour la planète, mais c’est bon pour mon moral. En plus je ne respecte ni les bonnes vieilles règles de la sagesse populaire ni les enseignements rigoureux de ma mythique grand-mère lituanienne… J’ai commencé à semer, planter, en sachant très bien que l’habit ne fait pas le moine, qu’un printemps précoce ne met pas à l’abri des gelées tardives, qu’en matière de jardinage il ne faut pas aller plus vite que la musique… et patin couffin ! Que faire alors qu’il est trop tôt pour se lancer dans d’ambitieux projets ? Des choses simples comme nettoyer le potager. Mieux vaut, en fin d’hiver, enlever la couverture végétale de protection sur les parcelles qui vont être cultivées en premier. Si le sol est suffisamment sec on peut aussi commencer à le travailler en choisissant un outil adapté à ses convictions et à la superficie. Pour ma part j’utilise encore fréquemment la motobineuse plutôt que la grelinette. Je crois que je vais recevoir mon premier point noir de la chronique ! Ma terre est riche et profonde et une agitation raisonnable de la couche superficielle ne crée pas vraiment de problème. Il suffit de ne pas faire tourner les fraises à la vitesse d’un mixer de cuisine et de limiter à un passage ou deux par an ce genre de travail. Inutile aussi d’aller chercher trop profond une terre qui ne présente guère d’intérêt.
On peut procéder aussi à quelques épandages de compost et surtout s’occuper de celui qui est en cours de fabrication. Printemps et automne sont deux saisons importantes pour cela. On trouve de nombreux déchets végétaux sur le terrain, des fanes de haricots aux tiges de courgettes en passant par les précieuses feuilles mortes et les premiers seaux de plantes provenant du désherbage. Quant au compost ancien, s’il est à peu près mûr, il est temps de le brasser un peu, de le tamiser pour avoir matière à apporter aux premières cultures. J’utilise la même technique que pour les yaourts : le résidu de tamisage rejoint le nouveau tas en formation et sert de ferment. Je suis très content de ce système même s’il est une nouvelle occasion de s’abimer le dos. Je rêve d’un tamis circulaire à moteur (ça existe, mais ça va sûrement me coûter un second point noir !) pour systématiser ce genre de pratique. La solution écolo est indubitablement coopérative. Ce genre de matériel, tondeuse, hache-paille, tamis, motobineuse, houe maraichère… peut être facilement acheté en commun. Vive les CUMA de jardiniers !
Ce qu’il y a de bien c’est qu’on est en avance sur le programme de saison, alors on peut prendre tout son temps pour bien observer autour de soi. La brouette que l’on pousse peut très bien être posée le temps que j’aille surveiller la poussée des jonquilles tardives. Et puis, le soleil est là : comment résister au plaisir de donner quelques bons coups de pioche en se positionnant habilement pour que le soleil chauffe doucement le pauvre dos qui souffre ? Impossible… Pour moi l’appel du dehors est irrésistible et je dois pallier le manque de lumens que m’ont imposé les grisailles hivernales. Même tôt le matin, il fait déjà chaud dans ma serre… Alors il faut bichonner les salades : les arroser, les recoiffer lorsqu’elles sont froissées, leur parler avec un vocabulaire adapté…. Bref créer une ambiance propice à la croissance en leur expliquant que si elles se caillent un peu la nuit ce n’est pas bien grave. Leurs copines, les jonquilles, ne s’arrêtent pas pour si peu, et leurs jolies fleurs jaunes sont déjà épanouies. De temps à autre, on pose l’outil et l’on va observer de plus près quelque chose qui nous intrigue. Si la rangée de fraisiers n’est pas désherbée le soir même, eh bien elle le sera demain !
Dans l’ambiance de pénurie végétative qui règne à la fin de l’hiver, on est amené à faire attention au moindre détail : les premières fleurs de Cornus Mas, l’apparition des violettes, la blancheur flamboyante des perce-neige… On aurait presque envie de mesurer au pied à coulisse la croissance de certains bourgeons. Rien à voir avec l’abondance du mois de mai. Je sais qu’à cette période il y aura tant à voir que je ne m’intéresserai plus qu’à la globalité du paysage : taches rouges, jaunes, violettes… exquis tableau multicolore d’un peintre qui se déchaine. Rien de comparable en ces derniers jours de février : il faut une loupe parfois pour détecter les premières nuances de vert, mais quelle décharge d’énergie ! Comme pour les plantes, c’est la croissance de la lumière qui me stimule et, bien entendu, lorsqu’elle est amplifiée par l’ensoleillement quotidien, c’est le nirvana. Bien sûr, je devrais m’inquiéter un peu : est-ce bien normal de commencer à porter des arrosoirs si tôt dans l’année, d’autant que le mois de janvier a été plutôt sec et que la neige s’est principalement contentée d’orner le sommet des montagnes voisines ? Mais je n’envie pas la situation de nos amis canadiens chez qui la saison a été plutôt rigoureuse jusqu’à présent. Egoïsme profond : leurs records de température à moins trente, moins quarante degrés, me font plutôt froid dans le dos même s’ils voient plus souvent le soleil que nous au cœur de l’hiver.
Je ne suis vraiment pas un mec sérieux. Je fais encore l’effort de m’informer, quotidiennement, mais j’ai besoin des jonquilles, des bleuets et des coquelicots pour résister au côté anxiogène des infos nationales et internationales. J’admire les gilets jaunes qui continuent à résister contre vents et marées, malgré la désinformation et la haine de ceux qui défendent bec et ongles leurs privilèges. Je ne sais que faire lorsque je vois les portraits de ces enfants squelettiques du Yémen, pays auquel on vend des armes avant « d’offrir » du sparadrap. Pas mieux lorsque je réalise qu’à tout instant le dictateur turc peut mettre fin aux expériences sociales précieuses et instructives qui se déroulent au sein de la société kurde du Rojava. Terrifiant de penser que les fous furieux qui dirigent la planète peuvent semer la terreur et la désolation en d’autres contrées que l’on pensait pourtant préservées. Une grande lassitude m’envahit quand on me parle de nouveaux développements de l’industrie nucléaire mortifère ou des ventes d’armes croissantes de la France. Il faut une dose d’insouciance et une carrure solide pour résister à tout cela, à moins que ce ne soit, encore une fois de l’égoïsme…
La nature, les randonnées, le jardin me permettent en tout cas de me ressourcer et de récupérer un peu d’énergie et de combattivité, mais c’est de plus en plus dur. Pour résister au sentiment d’être submergé par les pires aspects de l’humanité, je me documente le plus possible sur les actions courageuses de ceux qui rament à contre courant : heureusement, il y en a, même si certains croient, avec un peu trop de facilité, que leur propre bien-être constitue un pas en avant pour l’humanité. Je ne fais pas partie de ceux-là et je reste convaincu que s’il est essentiel d’expérimenter de nouvelles façons de vivre, celles-ci doivent s’extérioriser, se partager, s’élargir… Bonne vieille théorie de la propagande par le fait, sauf qu’il ne s’agit plus cette fois de bâtons de dynamite, mais de monnaies alternatives, d’autogestion, de protection des environnements fragiles, de réseaux horizontaux… Il y en a en tout cas qui se lancent dans des projets coopératifs pour cultiver la terre de façon saine ; d’autres qui cherchent des façons différentes de produire et de gérer de l’énergie, de construire et d’habiter des logements conviviaux ; la solidarité a sa place dans tout cela et c’est formidable. Le dernier DVD que j’ai regardé après avoir bien œuvré de mes mains s’intitule « Nul homme n’est une île », et il est passionnant. Je vous en reparlerai.
La lenteur de la marche à pied ou celle du vélo me conviennent et les grandes envolées vers de lointaines contrées à portée de réacteurs me tentent moins. Il y a beaucoup à voir à notre porte ou dans le quartier voisin… Je ne me désintéresse pas des Papous de Bornéo ou des Bushman d’Afrique du Sud, mais je me dis que la Sardaigne, le Limousin, ou les Apennins c’est pas mal non plus et plus économique en kérosène. J’ai découvert aussi le vélo. Honte sur moi (mais qui ne me perturbe pas trop non plus), l’assistance électrique subvient à mon dos fatigué, à mes muscles défaillants et à mes genoux inquiets de tant d’agitation. Je supporte vaillamment le regard moqueur de certains pros qui font le tour du pâté de maison en attendant le Tour de France. C’est comme ça ! Ils ont l’arrogance de la jeunesse… Suite à la conférence Négawatt à laquelle j’ai assisté l’un de ces soirs, je me dis que je n’ai pas tout bon pour la décroissance… mais je ne me sens pas non plus responsable de l’état actuel de la planète. On aura du mal à convaincre ceux qui n’ont presque rien ou pas grand chose que notre exemple de développement est mauvais et qu’il faut qu’ils se satisfassent de leur sobriété qu’on qualifiera d’heureuse. Je reviendrai sur ce sujet hautement polémique qui me travaille. Le vélo à assistance m’a en tout cas permis d’améliorer mon rayon de découverte local et je m’en porte fort bien sans que le lithium ne dévore trop mon bien-être musculaire.
Vous pensez peut-être que je dévie de ma ligne conductrice en parlant de jardin, puis d’état de la planète en terminant par un bilan de santé de ma musculature. Que non, que non ! Et puis, je vous ai prévenus, je ne suis pas un mec sérieux, pas un de ces blocs de cohérence qui font les militants de choc. Je m’appréhende comme un libertaire non encarté, quelqu’un pour qui l’éthique a plus d’importance que la politique des politicards, un être humain qui a besoin d’une bonne dose d’hédonisme pour respirer sans contrainte et être ouvert aux autres (ce qui n’est pas toujours facile, je le reconnais). Je ne suis ni violent, ni non-violent. Je ne suis ni viandard, ni végétarien. Je supporte une certaine dose d’agressivité, mais, à terme, je deviens vite rancunier. Si l’on me frappe la joue gauche, j’aurais plutôt tendance à chercher une massue pour mettre un terme au débat. La nature, telle que je la vois en œuvre dans mon jardin, mini laboratoire d’expérimentation, me fascine. Essayez donc d’observer, un soir de mai, vers huit heures, une fleur d’onagre qui s’ouvre en dépliant ses pétales et vous comprendrez ce que je veux dire… J’ai une grande soif de connaissances et si mon squelette grince de plus en plus, ma curiosité reste intacte. Comme me le dit un ami ostéopathe (ce qui me fait gentiment sourire) : mon corps terrestre est un peu fatigué, mais mon « enveloppe énergétique » est en bon état. Là-dessus, je retourne au jardin : l’autocélébration de mon nombril a atteint la côte d’alerte !
Notes de fin : (*) j’ai carrément volé le titre de ce billet à celui d’une chanson d’un gars que j’aimais bien mais qu’est plus là pour me le reprocher – Jehan Jonas – et c’est une chouette chanson.
(**) Image n°5. Toutes les photos sont « maison » ; la numéro 5 provient d’une prodigieuse expo de personnages « grandeur nature » dans le village sympathique de Miremont dans le Puy de Dôme (visité à l’automne).
4 Comments so far...
Zoë Lucider Says:
28 février 2019 at 23:30.
Je vous lis après une journée de nettoyage des plate-bandes. des kilos d’herbe en dépit de la couverture de feuilles mortes déposée à l’automne. Oui le soleil nous soustrait à nos ordinateurs et c’est très bien.
Lavande Says:
1 mars 2019 at 08:54.
Je t’avais reconnu : tu ressembles de plus en plus à ton grand-père lithuanien de Crémieu (au fait pourquoi c’est toujours de la grand-mère que tu causes ?)
Paul Says:
1 mars 2019 at 11:45.
Bonjour Zoë ! OUi mais il faut se consoler en se disant que ce mélange herbe, feuille, brindilles est excellent pour le compost. En plus, avec les chaleurs des mois à venir, la décomposition est super rapide… Miam miam se dit le ver de terre en observant d’un air rigolard la jardinière qui bosse qui bosse !
Didier Mainguy Says:
11 avril 2019 at 08:34.
Ce n’est pas en parlant jardin que vous déviez de votre trajectoire mais en utilisant une motobineuse 🙂 Avec une couverture permanente du sol, un léger griffage suffit. Ou alors vos vers de terre sont des fainéants? Mais bon, hein, un-e libertaire il/elle fait ce qu’il/elle veut