18 novembre 2019

Des livres dans lesquels j’ai trouvé du grain à moudre…

Posté par Paul dans la catégorie : l'alambic culturel; mes lectures .

C’est donc l’automne. Les feuilles tombent et la pluie et la neige aussi, c’est de saison ; les chroniques reviennent. La fréquence, je n’en sais trop rien. Les travaux extérieurs ralentissent sérieusement et cela me libère du temps, pour lire, beaucoup, pour écrire, un peu… Je vous propose une chronique lecture, en deux volets. Le premier, plutôt axé politique et écologie ; le second plutôt romans, même si chronologiquement, mes découvertes se mélangent un peu. Il m’arrive assez souvent de lire en parallèle un essai et un roman. Nous avons fait aussi un très beau voyage dans les Pouilles et dans les Abruzzes, mais ceci est une autre histoire qu’Oncle Paul vous contera aussi s’il est d’humeur. L’épisode du soulèvement populaire dans le Matese l’a fort intéressé.

 Belle découverte ces dernières semaines, avec le livre « Comment je suis devenue anarchiste » d’Isabelle Attard, coédition « Reporterre » & « Le Seuil ». Surprise d’autant plus importante que j’avais abordé cet ouvrage avec pas mal de réticences, en partie à cause de ma déception après avoir lu l’essai de Fred Vargas, « L’humanité en péril ».  Isabelle Attard a frappé à la bonne porte en évoquant la difficulté qu’il y a, dans le parler commun, à utiliser le terme « anarchiste » que les pouvoirs de droite comme de gauche ont réussi a trainer suffisamment dans la boue pour que son emploi dans une « discussion sérieuse » devienne problématique. Isabelle Attard, ex-députée EELV, s’en revendique et c’est tant mieux. Peut-être arrêtera-t-on enfin de tourner autour du pot et appellera-t-on « chat noir » ce qui en porte la couleur… Personnellement, j’aime bien le qualificatif « libertaire », mais celui-ci prête parfois à confusion, notamment avec son voisin linguistique « libertarien ». Les deux ont aussi peu de points communs que possible, à mes yeux… Alors, va pour anarchiste, même si Mme Michu est encore un peu effrayée par l’ombre du drapeau noir.

Beaucoup de bonnes choses dans le livre d’Isabelle Attard ; une belle synthèse par exemple des idées libertaires et de la façon dont elles ont été mises en pratique. Rien de nouveau, certes… Des choses que les « vieux de la vieille » du drapeau noir ont déjà lu et relu, mais présentées de façon telle qu’elles soient accessibles à ceux qui veulent bien prendre la peine de débrancher TF1, BFM, le Nouvel Obs… et autres médias de propagande, prendre la peine d’ôter les boules de cire que les marchands de sommeil leur ont mises dans les oreilles. Non, les anarchistes ne sont pas des terroristes, mais des gens qui ont des idées positives sur l’avenir du monde et qui ont payé le prix du sang pour essayer de les mettre en pratique face aux oppresseurs de toute origine. Non les anarchistes ne sont pas des assoiffés d’hémoglobine, des voyous ou des bandits comme l’ont proclamé d’une voix unanime les suppots du capital, privé ou étatique… Plongez-vous dans l’histoire des luttes ouvrières depuis un siècle ou deux et vous trouverez, comme j’en ai trouvé, un terreau fertile pour les fleurs que nous devons à tout prix faire pousser dans les années à venir. (Pff !… quand je pense qu’en lisant des phrases pareilles chez les autres, j’ai envie de changer de chaîne…). Je vous invite à lire, histoire de ne pas faire de copier-coller indigeste, les quelques lignes que j’ai déjà écrites, sur ce livre, sur le site de « Reporterre » ou celui du réseau « Babelio ». Je ne voudrais pas donner l’impression de radoter ! Pour conclure, temporairement, une petite citation s’impose ; celle-ci est extraite du paragraphe « Emanciper la personne par l’éducation ». Elle énonce des principes et des idées auxquelles, ancien pédago Freinet, je ne peux que souscrire :

Plus j’avance dans mes lectures, plus j’approfondis l’étude de la philosophie anarchiste et de ce qu’elle a apporté à l’humanité, plus je prends conscience de sa capacité à nous aider à construire une autre société. Cette société radicalement différente de celle dans laquelle nous vivons aujourd’hui dans nos pays occidentaux, dont l’économie est fondée, depuis plus de deux siècles, sur le capitalisme et l’individualisme. Pour parvenir à la naissance d’hommes et de femmes libres et égaux, il faut du temps. Un temps pour l’éducation, la formation, le développement d’un esprit critique et un temps pour la solidarité, le travail collectif. Et enfin, il faut prendre, lorsque cela est nécessaire, le temps de l’action, qu’il s’agisse de la désobéissance civile ou d’action directe. Pour vivre dans une société sans dieu ni maître, l’éducation est primordiale. Mais il ne s’agit pas de modeler le cerveau des futurs militants anarchistes comme dans des écoles d’endoctrinement politique ou militaire. Bien au contraire, l’objectif est de développer le questionnement, l’autonomie, l’esprit critique des futurs citoyens.

 Bravo à François Ruffin pour son dernier bouquin, « il est où le bonheur« . Je partage avec lui son analyse lucide et remarquable de l’écologie politique. Du côté des solutions proposées à la crise planétaire, j’adhère un peu moins à sa vision « parlementariste ». Mais bon, il est député aussi et c’est normal qu’il pense que cela sert à quelque chose. Par contre, je me demande ce qu’il fait encore dans la charrette insoumise avec un cocher aussi politicard et versatile que Mélenchon (au sujet de ce personnage, on peut relire ce qu’écrit Fabrice Nicolino dans son blog « planète sans visa » – j’adhère). Vivement que tous ces anciens trotskistes OCI relookés soient à la retraite ! Il ne lui reste plus qu’une sage décision à prendre, la même que sa collègue parlementaire Isabelle Attard : aller voir ailleurs, si l’on ne peut pas construire autre chose qu’une énième arche de Noë politicienne avec un « leader massimo » potentiel au gouvernail. On a vu ce que ce genre de tentative donnait en Grèce, en Espagne ou au Venezuela.  Ruffin devrait lire ou relire Bookchin, Kropotkine et Reclus. Heureusement, je ne m’arrête plus aux étiquettes et aux drapeaux et je trouve ce qu’il raconte sacrément en prise sur la réalité. Comparez son raisonnement avec la tentative malheureuse de plaidoyer pour l’écologie de la grande Fred Vargas (que j’estime beaucoup). On est certainement dans le même bateau, mais on n’occupe ni le même pont, ni la même cabine que les maîtres actuels du monde. Arrêtons les discours bisounours ; le colibri est un oiseau sympathique mais face à l’ampleur du désastre en cours et à venir, nous avons besoin de solutions plus radicales. Contrairement à ce que laissent penser les discours consensuels des environnementaliste, la lutte des classes est toujours bien présente et l’écologie ne présente qu’un intérêt limité si on ne prend pas la peine de lui accoler l’étiquette sociale (ou pourquoi pas « libertaire » ?!). Parmi les belles phrases notées dans cet ouvrage, celles-ci :

Car, en face, le pouvoir mène une offensive. Certes ils se convertissent en série, d’un Premier ministre lobbyiste d’Areva qui fait sa « rentrée en vert » à un président qui n’en disait rien dans son programme et qui assure aujourd’hui avec des trémolos : « j’ai changé ». Mais en même temps qu’ils s’en saisissent, en même temps, ils vident l’écologie de sa dissidence, la rendent inoffensive, remplissent ce signifiant d’insignifiance. Ils en font un mot creux, une petite chose étriquée, défensive, des mesurettes technico-fiscalistes, mais sans toucher à l’ordre, à l’ordre social, à l’ordre économique. Et même, je préviens, je prédis, je le devine : ils en feront une camisole de plus pour l’ordre. C’est sous-entendu, déjà, parfois : « vous revendiquez ? Vous osez ? Alors que la planète est à sauver ? Alors que nous devons affronter ce gigantesque danger ? » Ils feront passer, bientôt, l’exigence de justice pour un égoïsme. L’écologie se dégrade, dans leur bouche, en une nouvelle « escroquerie intellectuelle », une hypocrisie permettant de « reporter à plus tard toute volonté redistributive ». Et mieux, toujours mieux : au cri de « Tous ensemble », ils veulent nous faire embrasser nos tyrans.

Pour finir, il y a des propos que j’aurais aimé lire dans le bouquin de Ruffin, des choses que j’ai trouvées dans l’ouvrage d’Isabelle Attard. Je ne les ai pas croisées. Il y a aussi un credo en l’action parlementaire qui s’affiche à certains moments ; je ne le partage pas et je suis convaincu que les élections à répétition, telles qu’elles se déroulent actuellement, soient une perte de temps pour les combats multiples que nous avons à mener. Cela fait plus d’un siècle que les Anars le répètent et sur ce point, comme sur celui du virage pris, dès le début, par la Révolution russe, ils ont raison. Passons… Malgré ces quelques reproches, je trouve qu’il y a dans ce livre une énergie bienfaisante, un optimisme dynamisant, que nous serions bien obtus de bouder. Alors, la prochaine fois peut-être, le prochain livre ? Encore un pas de côté François ! En tout cas, le chemin suivi me parait le bon. Plus de pouvoir de décision à chacun, moins d’espérance en un quelconque sauveur suprême comme le proclame dans l’un de ses couplets, une certaine chanson intitulée « l’Internationale ». Quant aux anarchistes dont il est fort peu question dans cet ouvrage, il est vrai « qu’il n’y en a pas un sur cent, mais pourtant ils existent », comme nous dit Léo Ferré. Tant mieux. Cela fait un certain temps que je marche et je suis – il faut le dire – fatigué… D’autres compagnons.onnes de route sont les bienvenu.e.s.

 J’ai bien aimé aussi « L’égologie – écologie, individualisme et course au bonheur » écrit par Aude Vidal et que j’ai lu un peu plus anciennement. Les thèses mises en avant rejoignent celles de François Ruffin mais l’auteure concentre son attention sur ce courant de la pensée écologiste très axée sur le « développement personnel »… Tous ces gens (et ils sont nombreux) considérant qu’avant de changer le monde il faut se changer soi-même… Ce sont, par exemple, les disciples d’un Matthieu Ricard, qui propose de longues méditations aux banquiers pour qu’ils prennent conscience des méfaits de leur matérialisme et du pouvoir malfaisant de l’argent roi… Je caricature un peu (selon mon habitude) et le raisonnement d’Aude Vidal est plus subtil que le mien ! Faire ses achats dans une AMAP c’est bien (je le fais), privilégier le local, certes, manger bio (pourquoi pas), cultiver son potager, vivre en habitat partagé… Et après ? Devant la difficulté de conduire des luttes collectives d’une certaine ampleur, c’est difficile de donner à tous ces choix une dimension sociale, alors beaucoup se réfugient dans des solutions individualistes, sans s’apercevoir que ce qu’ils font c’est s’adapter à ce que la logique libérale attend d’eux. Face à la régression générale, la tentation est forte de faire l’autruche et de se réfugier dans les profondeurs de son nombril. Bien souvent, même le colibri en profite pour rester dans son nid douillet plutôt que de jouer au Canadair. Quant aux patrons des multinationales (du moins les plus intelligents ou ceux qui ont besoin de conserver leur personnel quelques années), ils sont prêts à accorder une séance de méditation quotidienne, histoire d’apporter un peu de bien-être aux employés qu’ils pressent comme des citrons. Les mouvements citoyens restent des fétus de paille s’ils n’articulent pas leurs luttes avec celles menées sur d’autres fronts. Seule l’ampleur d’un mouvement peut donner à réfléchir au pouvoir en place. Comme le fait remarquer François Ruffin, sans l’ampleur du mouvement social qui s’est développé dans les rues (grèves, manifestations) il est probable que le Front Populaire mis en place par les élections de 1936 n’aurait apporté au peuple que quelques réformes anecdotiques.

J’aurais aimé chroniquer aussi le dernier livre de David Dufresne, « Dernière sommation », mais je n’en suis pour l’instant qu’aux premières pages et je remets le compte-rendu à plus tard.

A part cela, le jour de la publication de cette chronique correspond à quelques jours près au douzième anniversaire de ce blog. Ce n’est pas parce que le tenancier de ce bastringue s’accorde parfois de longs congés de convenance que la bestiole est morte et enterrée. Voyons si l’agitation sera brève et futile ou un peu plus soutenue que ces derniers mois ! L’avenir le dira. Bon vent !

 

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