3 septembre 2020
Baguenaudage
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .
Depuis le confinement printanier, baguenauder est à la fois l’une de mes activités et de mes expressions favorites. Quand je ne sais pas exactement ce que je vais faire… je baguenaude, dans la maison ou dans le jardin, à la recherche d’un objet, d’une idée, d’une intuition qui va m’interpeller. Ainsi va la vie au milieu des feuilles qui m’entourent. Que fais-tu ? me demande ma compagne. Je baguenaude, je baguenaude… Ah ! me dit-elle, consciente du fait que je n’ai guère plus d’informations à lui donner… C’est bien ! Par contre, je ne baguenaude qu’à pied. Il ne m’est jamais venu à l’idée d’utiliser ce mot lorsque je prends le vélo ou la voiture. Conduire n’est pas vraiment un plaisir, pour moi, sauf dans des circonstances exceptionnelles (genre petite route touristique). Je note que le dictionnaire donne le verbe « batifoler » comme synonyme pour « baguenauder », mais ce verbe-là me fait penser à gambader, courir, et évoque plus pour moi les roulades dans l’herbe ou la course du chien fou après la baballe. J’ai un peu passé l’âge !
On peut sans problème baguenauder en musique. Je joue de l’accordéon diato. Ce n’est pas l’instrument idéal à promener, mais surtout je n’en joue guère ces derniers temps, en raison d’un problème d’épaule qui me rend difficile l’extension du bras gauche, et, sans soufflet ouvert à fond, ma boîte à sons ne grince plus avec autant de vigueur et d’allégresse que les années passées. Alors j’écoute la musique des autres et je me régale avec de belles découvertes proches ou lointaines. Tournent en boucle en ce moment, le groupe néo-folk pyrénéen « trio baladins », la chanteuse US Rhiannon Giddens, les musiciens russes de l’ensemble « Otava Yo » ou l’extraordinaire chorale Chypriote « Amalmagation Choir ». Ajoutez à cela quelques CD plus anciens restant toujours sur le haut de la pile : Sébastien Bertrand, Eric Frasiak, Mandolin Orange, le regretté John Prine… Ce ne sont pourtant pas ces musiciens-là que j’écoute en baguenaudant. Mes voisins les plus proches sont musiciens et de temps à autre, j’entends guitare, hang ou trombone qui résonnent dans la cour ou dans le parc. Grâce à eux, il m’arrive parfois de baguenauder sur fond musical. Jamais de baladeur par contre ; je n’aime pas les écouteurs car je déteste être coupé de mon environnement.
Si la chaleur ou la fatigue m’indisposent trop, mon errance se termine dans un fauteuil confortable, un livre à la main. Je peux réduire difficilement six mois de lecture intensive à une liste de titres, mais je ne résiste pas au plaisir de vous livrer quelques clés de mes bonheurs livresques récents. Des titres légers (mais qui font du bien par où ils passent) comme « Mamma Maria » de Serena Giuliano ou « Et je danse aussi », le petit bijou de Anne Laure Bondoux et Jean-Claude Mourlevat (avec sa suite « Oh happy days ») ; des plats plus épicés comme « l’amant de Patagonie » d’Isabelle Autissier ou « Ecotopia » d’Ernest Callenbach ; des vitamines en barre avec « Changer la vie, changer le monde » de Murray Bookchin ou « La science, la paix, la liberté » d’Aldous Huxley… Au détour de l’une de mes pérégrinations, j’ai aussi savouré le début du cycle du « Royaume de Pierre d’Angle » de Pascale Quiviger dans la catégorie que les éditeurs français nomment (sans doute par méconnaissance de la langue française) « Fantasy pour Young adults ». Rien qu’avec les titres cités dans ce paragraphe j’aurais pu faire une chronique complète, mais que voulez-vous, quand on baguenaude, on n’est pas toujours très sérieux. Comme je n’ai plus trop peur de rabâcher, j’y reviendrai peut-être. Allez, si, je me lâche sans attendre et j’ajoute le titre du dernier ouvrage lu, et qui mérite le temps que je lui ai consacré : « On dirait que l’aube n’arrivera jamais » de ce grand écrivain italien qu’est Paolo Rumiz. J’en extrais cette brève citation :
«La quarantaine va finir et moi, j’ai déjà peur du monde. Peur de sortir, peur que rien n’ait changé. Peur que les gens, au lieu de ralentir, n’accélèrent ultérieurement pour rattraper le temps perdu. Peur que tout reste comme avant, ou soit même pire. Mais si nous ne changeons pas de peau, à quoi aura servi tout ceci ?»
Chose étonnante, je trouve souvent l’errance dans le jardin plus stressante que la lecture ou l’écoute musicale. Malgré les nombreux conseils d’amis chers (et de chères amies – excusez moi mais les règles de l’écriture inclusive me fatiguent), et bien que je fasse des efforts pour tenir compte de leurs remarques, j’ai toujours du mal à explorer les environs de la maison, sans rapporter de mes divagations une liste rallongée de travaux que j’aurais dû, ou que je devrais, faire. Je me rappelle la phrase de l’une de nos stagiaires : « Tu habites dans un endroit merveilleux et tu n’en profites pas ! ». Le problème est que « cet endroit merveilleux » donne un travail fou et que je suis de plus en plus conscient de nos limites. Au printemps, la végétation pousse très vite, histoire de me bousculer ; pendant l’été, c’est la canicule qui nous a posé de nombreux problèmes et la liste des arbustes et des fleurs qui hurlent « j’ai soif », me vrille les oreilles.
Heureusement, pendant les deux mois de confitourment, mon bricoleur de fils a créé tout un tas de structures en bois qui favorisent la méditation et le détachement spirituel des souffrances vulgaires de ce bas monde végétal. Ces ustensiles divers ont pour nom : banc, fauteuil, table de piquenique, chaises… Un chemin de croix un peu particulier se met en place dans notre parc et permet, au fil des stations, de tester le confort d’un siège et de s’appesantir sur la quiétude du lieu. Pour dire vrai, il faut quand même faire abstraction de l’affreuse chorale des coqs d’un élevage voisin. Seul le trombone de notre ami Laurent semble les décourager un peu de faire leurs incessantes vocalises.
Ces aménagements donnent la possibilité de conjuguer, agréablement, les divers éléments intellectuels de l’itinérance baguenaudienne. Certains visiteurs (et visiteuses) profitent de ces éléments de confort pour dessiner un peu ou tout simplement se détendre. J’aime que ce lieu que nous avons créé profite à d’autres que nous. La richesse nait aussi du partage.
Chose étonnante, surtout pour moi qui suis un adepte des voyages, le virus mal embouché m’a plutôt poussé à un repli à l’intérieur de nos frontières et, depuis mars et notre retour du Luberon, j’ai un peu du mal à inverser la tendance. Il faut dire que le monde extérieur, avec ses masques, ses distanciations sociales et toutes ses simagrées, à plutôt tendance à me repousser plutôt qu’à m’inviter à l’exploration. Mes arbres n’ont pas la majesté des sapins de Douglas géants découverts sur le plateau de Millevaches, mais ils proposent déjà un ombrage conséquent et de magnifiques jeux de lumière à travers leur feuillage. Il va bien falloir que l’on se décide à remplacer la baguenaude tranquille par quelques itinéraires de randonnées pédestres un peu plus fatigantes, certes, mais un peu plus motivantes aussi. Merci, Monsieur Covid, de nous lâcher un peu les baskets la saison prochaine ! Je n’arrive pas à me brancher sérieusement sur une escapade automnale. Comme il paraît qu’un lecteur averti en vaut deux, j’ai quand même pris la précaution de doubler ma réserve de livres à lire. Des fois que le virus s’attaquerait encore aux librairies.
Cela fait plusieurs années que je baguenaude intensivement. Mais je constate que mes promenades se rallongent et que mon indécision va croissante. Ainsi va la vie : il m’est plus facile de travailler à mi-temps et il est rare qu’une fois sieste et errance terminées, je me lance dans un projet qui n’a pas été soigneusement balisé dans la matinée. Passé 15 h, je veux bien changer le monde mais il faut qu’il coopère un peu ! Il commence à y avoir un décalage sérieux entre ma phase « projets » et ma phase « exécution ». Après le dos, mon arthrose galopante atteindrait-elle le cerveau ?
Bon, vous la trouverez peut-être un peu brouillon cette chronique… C’est logique puisqu’elle-même baguenaude ! Et pour conclure ? Eh bien de baguenauder à baguenaudier, il n’y a qu’un pas, mais ce pas je l’ai déjà franchi alors je n’y reviendrai pas…
One Comment so far...
François Says:
4 septembre 2020 at 12:48.
Salut Paul!
Ca fait bien longtemps que je n’ai pas laissé de commentaire sur ton blog. Mais là, je voulais te dire que j’ai bien apprécié tes suggestions musicales et qu’elles ont égayé ma matinée.
Je continue à suivre vos aventures à travers ton blog ou celui de Caly.
Bises