28 janvier 2009

Naïves les chansons populaires ? Allons donc !

Posté par Paul dans la catégorie : ingrédients musicaux; l'alambic culturel .

auclairdelalune « Il pleut bergère », « Nous n’irons plus au bois », « Au clair de la lune », « La mère Michel »… Bien sûr vous connaissez ! Qui n’a pas appris ces chansons aux paroles apparemment si mièvres, lorsqu’il était en crèche, en maternelle ou sur les genoux de grand-mère ? Mais savez-vous que la plupart de ces chansons ont un deuxième sens (voire un troisième si ce n’est plus), et que, à une certaine époque, les colporter était une façon de braver les interdits de l’église ou les ordonnances royales ? Bon nombre de ces chansons enfantines ou traditionnelles ont été créées ou remaniées au XVIIIème siècle, certaines par des compositeurs célèbres, d’autres par des musiciens anonymes. Quand on connaît un peu les expressions ou le vocabulaire de l’époque, la double lecture devient vite évidente. Je vais essayer, au travers de cette chronique, de vous donner quelques exemples de textes dont l’interprétation ne fait plus trop débat.

Prenons par exemple cette comptine anodine qui s’intitule « Au clair de la lune »…  » Va chez la voisine, je crois qu’elle y est, car dans sa cuisine, on bat le briquet. » Savez-vous ce que signifie l’expression « battre le briquet » ? Eh bien, au siècle des lumières, c’est une façon très imagée de traduire « faire l’amour ». L’ami Pierrot ne s’embête pas chez la voisine d’ailleurs ; il arrive en déclamant « Ouvrez votre porte pour le Dieu d’Amour », et dès qu’il a pénétré dans le logis de la belle, la porte se referme aussitôt. Vous noterez bien sûr que certains petits malins ont quand même pris la peine de modifier le « Dieu d’Amour », un peu trop explicite, pour en faire un « pour l’amour de Dieu », beaucoup plus conforme aux traditions de la charité chrétienne… Je vous laisse le soin par ailleurs de deviner quelle partie du corps masculin peut désigner la plume du gentil Pierrot. Espérons que grâce à cet outil précieux, la chandelle ne restera pas morte trop longtemps et que le feu de la voisine réchauffera les corps ! Dans le même registre, je n’insisterai pas trop sur « il court, il court, le furet ». Sachez simplement que l’art de la contrepèterie ne date pas du « Canard enchaîné »…

maintenon L’analyse de la chanson « Nous n’irons plus au bois » est un peu plus complexe. Le texte est sans doute très ancien et remonte peut-être au Moyen-Age. Dans nos campagnes, les mariages d’amour étaient fort rares. Généralement, les couples se formaient sur des « arrangements » entre les familles, en fonction des dots, des avantages acquis grâce à une alliance… Dans ce contexte, il arrivait parfois qu’une jeune fille se retrouve dans le lit d’un homme beaucoup plus âgé qu’elle et pas toujours à même de « satisfaire à ses devoirs conjugaux ». La morale populaire (non celle de l’église bien sûr) tolérait qu’en certaines périodes de l’année, ces jeunes femmes mal mariées puissent échapper au carcan des épousailles. Ces fêtes, plus ou moins paillardes selon les traditions locales, prenaient divers noms et traduisaient surtout une survivance de cérémonies païennes que la morale religieuse n’avait pas réussi à estomper totalement dans la mémoire populaire. Jeanne la bergère ira donc au bois pour cueillir les lauriers, puisque chez elle la récolte ne peut plus se faire. Mais Jeanne n’ira pas seule, puisque, comme le dit la chanson, « chacune à son tour ira les ramasser ». D’autres interprétations sont proposées pour cette chanson : elles se rapportent à des faits historiques précis et sont quasi impossibles à vérifier. « Nous n’irons plus au bois » daterait de l’époque de Saint Louis et évoquerait la fermeture prolongée des maisons de plaisir par ce bon souverain si préoccupé de justice. Ces bordels arboraient en dessus de leurs portes, une branche d’églantier que l’on retrouve dans le texte chanté. Un autre chroniqueur suggère une relation entre les lauriers et la décision prise par Mme de Maintenon, favorite de Louis XIV, d’obtenir l’éradication de certains bosquets buissonnants du parc de Versailles dans lesquels les couples illégitimes se livraient à leurs ébats amoureux. Cette requête n’était guère appréciée par les courtisans concernés… Quelle que soit l’interprétation choisie, la chanson témoigne toujours d’un refus de l’interdit et d’une volonté explicite de le transgresser. En fait, toutes les explications sont plus ou moins valables : la transmission étant essentiellement orale, le texte pouvait s’adapter à un évènement donné : en fonction des circonstances, on créait une énième version d’un chant plus ancien. Cette pratique a été et continue à être courante ; voir par exemple « la Carmagnole », devenue « la Ravachole » au début du XXème siècle sous l’impulsion des libertaires. De nos jours, les détournements de chansons sont nombreux : les évènements de Mai 68 ont donné un coup de pouce à cette pratique qui tend à être de plus en plus employée, à l’occasion des grèves ou des manifestations par exemple. La tendance se confirme depuis le début du nouveau Consulat.

la-mere-michel Les parents, lecteurs de ce blog, se consoleront peut-être en se disant qu’il ne reste plus qu’à se rabattre sur la « Mère Michel » et son petit chat perdu ; ils ne font pas spécialement un choix plus anodin. Il leur suffit de se remémorer que de tous temps « chat » puis « chatte » ont évoqué le sexe féminin. Mais le fait que la pauv’dame ait perdu sa virginité ne semble pas traumatiser le bon père Lustucru. A savoir comment celui-ci la lui rendra, ceci est une toute autre histoire ! Il ne vous reste plus que le bon vieux « savez-vous planter les choux » pour vous consoler. Ce n’est après tout qu’un gentil cours d’éducation sexuelle et d’éveil au plaisir : avec les mains, avec le doigt, avec les pieds ? Pourquoi pas ! En ce qui concerne « Jeanneton prend sa faucille », depuis que les paroles en ont été « remaniées », rares sont ceux qui souhaitent encore l’utiliser comme berceuse pour endormir les enfants ! Personnellement, ce n’est pas à l’école maternelle que je l’ai apprise ! A l’origine c’était quand même une chanson galante… Mais la version qu’en donna Aristide Bruant dans son recueil était un peu plus osée… (*)

J’ai gardé pour la fin deux chansons particulièrement intéressantes. La trajectoire géographique et historique de la célébrissime « Claire Fontaine » est complexe. Ceci, est amplement démontré par la multitude de versions connues (même le titre a changé puisque la complainte « en revenant de noces » a des paroles très voisines). La chanson aurait été composée en France au début du XVIIème siècle, et elle aurait traversé l’Atlantique avec Champlain, puis avec les soldats du Marquis de Montcalm. C’est au Canada qu’elle aurait ensuite connu son heure de gloire : chanson de marche des soldats français, elle a été adoptée par les patriotes en lutte contre les Anglais, lors de la grande révolte de 1837. Elle aurait acquis ainsi, chez nos cousins de la Belle Province, le statut d’hymne national populaire. Elle fit ensuite son retour en France et la version la plus fréquente que nous entendons aujourd’hui aurait été « fixée » à l’écrit en 1848, mais cela n’exclut pas que, pendant son exil au Québec, la chanson n’ait pas connu une évolution parallèle chez nous. Dans le cas de la « Claire Fontaine » aussi, un double sens caché peut être trouvé dans les paroles. L’eau évoque la féminité, le rossignol l’amour, les fleurs (de façon générale) la séduction, et la rose (en bouquet ou en bouton) la révélation de l’amour… Disons que là, on touche plutôt à la complainte galante et que les détails sont moins explicites que dans « au clair de la lune » ! Personnellement, je trouve certaines interprétations de cette chanson vraiment très belles…
Double histoire également pour notre bergère et ses blancs moutons. Elle fut composée par Fabre d’Eglantine en 1780 pour une opérette, puis devint une chanson de rue. En la colportant, au début de la Révolution, certains y voyaient une allusion à la reine Marie-Antoinette, « l’Autrichienne » détestée par la population, qui jouait à la bergère dans son parc. La symbolique de la chanson est alors une menace à peine voilée contre la souveraine. Dans le cadre de cette interprétation on peut considérer que « il pleut, il pleut bergère » préfigurait le « Ça ira, ça ira » que la garde nationale allait entonner quelques temps plus tard. Coïncidence amusante je trouve, c’est ce choix qui a été fait par le réalisateur du téléfilm sur l’affaire Calas, diffusé il n’y a pas très longtemps sur Arte. L’enchainement des deux chansons pour le générique de fin est absolument magnifique. Mais, encore une fois, il existe une interprétation libertine des paroles et les deux couplets de fin appuient cette façon de voir les choses… Après avoir tué son petit chaton, notre gentille bergère s’en va à confesse et le curé la condamne à une cruelle sanction : « Ma fille pour pénitence, Nous nous embrasserons ! Ron, ron – La pénitence est douce, Nous recommencerons ! Ron, ron » Sympa comme conclusion non ? En tout cas, ce genre de « dérapage » est courant dans nombre de chansons traditionnelles, notamment dans l’anciennement très catholique province du Québec…

vielleux Je n’ai sélectionné là qu’un tout petit échantillon et ce travail mériterait d’être approfondi. Je sais que Claude Duneton s’est amusé à le faire. Je n’ai pas eu l’occasion de lire son ouvrage. C’est là sans doute une lacune qu’il faudra que je comble. Lorsque l’on s’intéresse de très près à la musique et au chant traditionnel, on a parfois tendance à déplorer le côté simplet des paroles. Mieux vaut réfléchir à deux fois avant de porter un jugement trop rapide. Il n’était pas toujours possible, sans risquer sa peau, d’écrire des paroles de chansons appelant ouvertement à déserter par exemple. L’Eglise n’appréciait guère non plus que l’on vante les mérites de plaisirs charnels qu’elle vouait aux flammes de l’enfer. « Jouer avec les mots » a toujours été une caractéristique de l’expression populaire. Certaines complaintes ont des paroles particulièrement ambigües : cela s’explique parfois par des erreurs de transcription, mais aussi par le fait que nous avons perdu l’usage et le sens de beaucoup d’expressions de l’ancien Français. Pour ceux qui s’intéressent à cette « archéologie des mots », je ne saurais trop vous recommander la lecture d’un livre passionnant de Georges Gougenheim qui vient d’être réédité chez Omnibus : « les mots français dans l’histoire et dans la vie ». Le conseil de saison de « la feuille charbinoise » : pour lutter contre la « froidure » des temps, n’oubliez pas de « battre le briquet » de temps en temps !

Notes : (*) Voici deux versions parmi d’autres de « Jeanneton ». La première date de 1703, la seconde est remaniée par le bon vieil Aristide.

jeanneton-1 jeanneton-2

15 Comments so far...

Pourquoi pas ? Says:

28 janvier 2009 at 17:45.

Concernant « la Claire Fontaine », c’est en effet un chant patriotique très lourd de sens au Québec, et il n’est pas surprenant de l’entendre chanté par certains artistes. Je pense par exemple à Fred Pellerin qui en livre une très belle interprétation sur l’un de ses livres-CD. La Claire Fontaine a été pendant un moment l’hymne national de la Nouvelle-France (puis hymne national non officiel du Québec), et j’ai lu a plusieurs reprises que l’un des origines possibles du « je me souviens » (la devise du Québec) serait directement issu de « jamais je ne t’oublierais ».

leirn Says:

28 janvier 2009 at 21:17.

très sympa cette Kro. Au clair de la lune me devient soudain plus sympa…

leirn Says:

29 janvier 2009 at 09:37.

J’ai un doute, néanmoins.
Comment on fait la rime : « l’amour de Dieu » rime avec « je n’ai plus de feu ». Si on met « Dieu de l’amour »… ça colle pas.

François Says:

29 janvier 2009 at 16:16.

@leirn: « je n’ai plus de four »? 🙂

Sinon, effectivement, une chronique très sympa. Pas de doute, « Au clair de la lune » prend une autre dimension. Ce qui est frappant, c’est que cela paraît presque évident une fois qu’on le sait. Et pourant, avant, on ne s’en doute pas (bon, je n’y avais pas vraiment réfléchi non plus, hein).

Paul Says:

29 janvier 2009 at 16:47.

Pas de problème pour la rime ; voici le couplet « d’origine ? » où se trouve le Dieu d’Amour…

Au clair de la lune, l’aimable lubin
Frappe chez la brune, elle répond soudain
_ « Qui frappe de la sorte ? », il dit à son tour
_ « Ouvrez votre porte pour le Dieu d’Amour »

Petite précision linguistique (au sens d’étude de la langue…) complémentaire : un lubin est un moine aux mœurs légères.

LePtitLu Says:

29 janvier 2009 at 20:29.

Ça faisait un petit moment que je n’avais pas consulté le site et je tombe sur une chronique vraiment fort intéressante. Il existe pas mal de recueils de chansons traditionnelles où l’on peut découvrir la richesse du domaine. Pas mal d’info et de références sur le site d’Evelyne Girardon aussi http://www.ciebeline.com/
Bizzzz

PS : une ch’tite question : pendant que vous serez à Québec, les chroniques se suspendent ?

leirn Says:

2 février 2009 at 17:54.

Je n’ai plus de four… Quel mauvais esprit !!! 🙂
Effectivement, ce couplet est bien plus explicite…
C’qu’on apprend aux enfants, quand même.
Faudrait en parler à Darcos, il n’a pas encore réorganiser les crèches (mais les écoles pré-élémentaires, ça le tente…)

heure-bleue Says:

10 janvier 2010 at 21:44.

Et les contes de fées, tentants aussi, non ?…

Prosodie Says:

16 janvier 2010 at 17:22.

Il en va de même pour le conte du « Petit Chaperon rouge » qui est la forme la plus explicitement déguisée de la vie du « clitoris  » dit Chaperon rouge… qui va cheminant à travers bois (les poils, nouveaux, naissants), avec le petit pot de beurre pour sa Grand’Ma (se souvenir du dernier Tango à Paris et l’utilité du beurre) et qui donc, à un moment donné, après avoir frappé, la chevillette (autrement dit l’hymen) la fera choir (cherra). Ce loup à longue langue, rouge qui flaire, court et souffle…. etc etc ??? Cela date du XIV eme de mémoire.

Annick Says:

3 avril 2013 at 19:16.

J’ai appris en chorale « la claire fontaine » version Canadienne.
Quelqu’un peut-il me donner la signification du refrain:
« Fendez le bois, chauffez le four,
Dormez la belle, il n’est point jour! »

Paul Says:

4 avril 2013 at 11:04.

@ Annick – Je ne suis pas certain que la version québecoise, considérée comme un véritable hymne par les francophones, contienne autant de sous-entendu que la version originale en France. Je n’ai pas de réponse à vous donner, mais peut-être qu’une autre lectrice ou un autre lecteur pourra proposer un élément d’interprétation. Merci pour votre visite !

Annick Says:

4 avril 2013 at 16:27.

Merci Paul pour la réponse!

Maia Says:

4 juillet 2013 at 12:12.

Recherchant désespérément la suite des paroles de « Je suis le roi d’Espagne, j’aime les filles aux yeux noirs… » (chanson apprise en colo dans les années 60), je suis tombée sur un site de chants scouts où il est indiqué que « Je suis le roi d’Espagne… » fait partie de « La claire fontaine 2ème version ». Quelqu’un en saurait-il davantage? Merci par avance.

Bernard Says:

19 janvier 2014 at 10:48.

Une proposition de réponse à Annick. Le bois se fend en deux comme s’écartent les jambes d’une belle. Quant au four, l’allusion est évidente. Le « dormez la belle il n’est point jour n’est qu’une invitation à c que la belle reste au lit : le galant saura la réveiller !

Jeff Says:

2 août 2014 at 06:41.

Page très intéressante.

Par contre, la comptine « Il pleut, il pleut bergère » ne contient pas « Ma fille pour pénitence, Nous nous embrasserons » (http://fr.wikisource.org/wiki/Il_pleut,_il_pleut,_berg%C3%A8re): en effet, c’est « Il était une bergère » qui le contient, et elle est extrêmement grivoise en effet.

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