24 juin 2022
Causons livres avant que vous partiez bronzer…
Posté par Paul dans la catégorie : l'alambic culturel; mes lectures .
Eh oui on cause encore « bouquins » ; et bouquins intelligents en plus… Si le sujet vous chagrine, patientez : je prépare une chronique sur la méditation transcendantale, et l’art de patienter jusqu’aux prochaines élections en essayant de capter les ondes qui émanent de votre nombril. J’envisage aussi d’autres ouvertures sur des sujets de société vraiment préoccupants pendant la période estivale. D’ici là, il va falloir vous contenter de ces quelques propos plus ou moins littéraires. L’âge avançant, une certaine tendance au rabâchage et à la paresse me vient. Je ne vais pas m’amuser à relire toutes les inepties que je débite depuis 15 ans déjà alors il y aura peut-être des redites. Si vous êtes vraiment « accros », vous pouvez vous amuser à vérifier si je dis toujours pareil ou si je me contredis joyeusement d’une année à l’autre. Comme pour la « devinette » de Karambolage sur ARTE, si vous trouvez un exemple dans les résumés de lecture, signalez-le je vous enverrai une courgette ou un porte-clé ! Je laisse le soin aux « grosses maisons » de faire leur promotion et, sauf coup de cœur notable, je ne m’intéresse, en priorité, qu’aux besogneux de l’édition qui font souvent le meilleur boulot, en tout cas le plus courageux.
« Un jardin en Australie » roman de Sylvie Tanette
La première histoire que je vous propose se déroule en Australie, en plein cœur de l’Australie, à Salinasburg, au centre des Territoires du Nord, une plaine aride où le soleil, le sable, la poussière rouge règnent en maîtres absolus. Ce gros bourg est une cité minière prospère dans les années 1930 ; elle sert de refuge à des aventuriers venus de toutes les parties du monde. L’extraction de la bauxite est source de richesse pour les uns, de misère et de maladie pour les autres. Une jeune femme, Ann, issue de la bonne société de Sidney, s’installe dans cet endroit désolé avec son mari, Justin, jeune cadre de la mine, en conflit avec son père, irlandais irascible, plus éleveur qu’industriel, et plus soucieux de tradition que d’innovation.
Soixante dix années passent. Le déclin industriel a frappé. Les mines sont fermées. Un jeune couple rachète une ferme abandonnée, celle dans laquelle ont vécu Ann et Justin. Lui, Frédéric, est médecin à l’hôpital, elle, Valérie, a accepté le poste de directrice du centre d’Art moderne de la bourgade. Tous deux sont français d’origine et d’immigration récente en Australie. Ce n’est pas le hasard qui leur a fait choisir d’occuper la maison, mais un jardin qui, grâce à une alchimie singulière habilement élaborée par l’autrice, va servir de trait d’union entre les deux femmes, héroïnes de cette histoire. Ann est décédée depuis longtemps, mais son fantôme hante les lieux et elle se prend de sympathie pour la nouvelle occupante, d’autant que celle-ci est fascinée par le jardin singulier qui entoure la vieille masure. Les deux nouveaux occupants vont faire rénover rapidement l’habitat ; Valérie, elle, s’intéresse au jardin et aux plantes originales dont elle retrouve la trace au milieu des broussailles. Pendant que Justin consacrait son temps et son énergie à tenter de sauver la mine paternelle, Ann s’était prise d’une étrange lubie pour l’agronomie. Elle avait décidé d’implanter, dans ce lieu particulièrement inhospitalier, à la limite du désert et de ses nuées de poussière, un jardin luxuriant et d’y acclimater certains fruits inconnus en Australie comme le citron ou l’avocat.
« Un jardin en Australie » se présente comme un roman à deux voix, Valérie et le fantôme d’Ann, présent sur les lieux, contant chacune leur aventure. L’une dans les années 30, se terminant tragiquement, l’autre à notre époque, affrontant elle aussi une vie quotidienne pas facile entre son métier qui la passionne, son jardin qui l’intrigue de plus en plus, et sa petite fille, étrangement muette qui la préoccupe. En toile de fond, les préoccupations de ces messieurs, et leur vie professionnelle. Je ne vous en dirai pas plus, si ce n’est que c’est une très belle histoire, bien racontée, et que c’est un roman que j’ai déjà lu deux fois. Pour moi, l’étape suivante, ce sont les autres livres de Sylvie Tanette que je suis impatient de découvrir (*). Quand je visite le mien, de jardin, je me sens obligé parfois de me retourner pour voir si je n’aperçois pas une silhouette étrange blottie derrière un buisson…
« La main de Dieu » roman policier de Valerio Varesi.
Un bon polar, dans une pile de livres à lire, ça ne gâche rien. Et, pour ce qui est d’écrire de bons polars, Valerio Varesi, écrivain italien que l’on compare parfois à Simenon (dans l’Hexagone ce n’est pas étonnant puisqu’il faut qu’on ramène toujours tout à notre nombril national). Perso, Simenon je ne suis pas particulièrement fan, alors je me garderai bien d’une liaison quelconque, même si j’aime parfois celles qui sont dangereuses. »La main de Dieu » c’est le sixième volume traduit d’une série policière ayant pour héros (ou plutôt anti-héros) le commissaire Soneri et pour cadre la ville de Parme, et son proche décor géographique (les Apennins et le cours du Pô). Amateurs de « thrillers » comme disent les franglophones, de romans d’action, passez votre chemin. Depuis « les brumes du Pô », Valerio Varesi promène ses lecteurs parmi les méandres de l’âme humaine et préfère explorer longuement les turpitudes de la bourgeoisie italienne, et notamment celle de sa bonne ville de Parme, plutôt que décrire à longueur de pages les plaies sanguinolentes de ses victimes et les perversions en série de ses criminels. Autant le dire tout de suite, les récits de cet auteur talentueux sont lents, et l’on a tout à fait le temps de suivre les méandres de l’enquête de son commissaire fétiche. Les histoires auxquelles on est confronté sont souvent proches de celles que l’on découvre dans la page « faits divers » de nos journaux locaux : trafic de drogue, règlement de compte politique, haine ancestrale entre deux clans plus ou moins mafieux, exploitation des sans papiers, des prostituées, des jeunes réfugiés sans repères.
« La main de Dieu » ne déroge pas à la règle. Un cadavre sous un pont en plein cœur de la ville, de quoi alimenter la rumeur et déplaire à une bourgeoisie locale qui veut sauver les apparences à tout prix. Une camionnette volée (ou pas) abandonnée sur les berges de La Parma, le torrent local devenu rivière… Une piste qui conduit notre bon commissaire Soneri dans un petit bourg de montagne, apparemment sans histoires mais traversé par un clivage social infranchissable entre anciens et nouveaux habitants. Les uns essaient de sauver les traditions locales et de maintenir quelques emplois ; beaucoup se comportent comme des mercenaires au service d’un patron peu scrupuleux. Les nouveaux, eux, tentent de retrouver un mode de vie sauvage, libre et le plus possible à l’écart des règles d’une société dont ils ne veulent plus subir les lois… Soneri se débat avec ses propres contradictions, une hiérarchie qu’il méprise profondément, une société dont les règles morales sont de plus en plus souples pour les possédants, et une compagne qui fait ce qu’elle peut pour le maintenir à flot. Les personnages secondaires sont longuement détaillés, leur philosophie passée au crible des interrogations de Soneri, et ce volume a une profondeur particulièrement intéressante.
« Jura » recueil de textes de Michel Bühler
J’espère que vous faites partie des « chanceux » qui connaissent Michel Bühler, le chanteur helvète. Si ce n’est pas le cas vous avez encore le temps de faire un rattrapage mais ce n’est pas une mince affaire car il a écrit plus de 200 textes de chansons. Comme il œuvre dans le domaine de la « chanson à paroles », il n’est guère présent sur les médias zofficiels. Michel Bühler ne ne contente pas de la chanson pour diffuser ses idées… Il écrit aussi des romans et des textes courts avec un style ma foi fort agréable à lire. Après avoir lu « La parole volée », je viens de découvrir « Jura » un recueil de textes consacré à la montagne qui a donné son nom au livre. Il s’agit souvent de textes inspirés des tableaux de son ami Pierre Bichet, artiste peintre. La couverture du livre, fort belle, est d’ailleurs illustrée par un fragment de tableau de cet artiste. Alors on se promène d’un lieu à un autre, on découvre tel ou tel personnage pittoresque de son entourage ou on se penche sur une de ces multiples traditions festives coutumières des villages isolés pendant le long hiver montagnard. C’est poétique à souhait, souvent émouvant, et reposant comme la vision d’un champ enneigé ou d’une étendue d’eau calme troublée seulement par les facéties des libellules.
De certaines pages se dégage une nostalgie à laquelle je ne souscris pas tout le temps. Je ne suis pas sûr d’avoir envie de retrouver certaines conditions de vie d’il y a un siècle, mais il y a par contre un sens de la sobriété, de la sagesse, de l’autonomie que beaucoup cherchent à retrouver aujourd’hui, maintenant que l’on voit à quelles catastrophes nous conduit l’inconscience actuelle. Derrière le poète se cache un philosophe, mais aussi un militant exigeant mais jamais ennuyeux. J’aime beaucoup ce format de textes souvent très courts, un peu comme chez Joël Cornuault dont je parlais dans d’autres chroniques. Cela permet une pause enrichissante, un souffle entre deux activités qui se bousculent parfois dans nos programmes de journée.
Ce livre est édité chez « Bernard Campiche » à Genève et vous pouvez le commander chez votre libraire ou directement chez l’éditeur.
« Chanter le crime » essai documentaire de Jean-François Heintzen
Sous-titre évocateur qu’il ne faut pas oublier de mentionner : « Canards sanglants et complaintes tragiques ». Un camelot arrive dans le village, s’installe sur la place du marché, sur le rebord d’une fontaine. Il déploie un vaste calicot sur lequel figure un texte assez long manuscrit sur une affiche grand format. Parfois ce n’est qu’une planche de dessins, genre page de bande dessinée. Le graphisme est simple mais efficace : couteaux sanguinolents, visages torturés, corps démembrés, flaques d’hémoglobine impressionnantes. Normal… Ce vendeur ambulant singulier est là pour vous conter (vous chanter plutôt) un crime atroce (ou une série d’assassinats – plus il y en a plus c’est vendeur) ainsi que son dénouement judiciaire s’il y en a un. Certains font ça a cappella, d’autres font sonner un vieil accordéon, qu’importe pourvu que ça attire le chaland à qui l’on espère bien vendre les paroles imprimées de la complainte pour quelques sous bienvenus.
C’est un gros pavé – un véritable recensement en l’occurrence – et c’est bourré de documents écrits qui allègent agréablement les passages les plus nourrissants. C’est parti pour un voyage dans le monde du crime « à la française ». Au fil des pages, vous croiserez quelques célébrités comme Violette Nozière, ou d’autres besogneux à l’envie comme ce sacré Dumollard, l’assassin des servantes, tombés dans l’oubli. Les auteurs et autrices de ces « canards » ne se limitent pas aux tueurs en série. D’autres faits divers font aussi leurs choux gras, de l’anarchiste Caserio tirant sur le président Carnot aux soubresauts de l’affaire Dreyfus. Tout cela est classé, méticuleusement, par période historique, par type de victime, ou selon les supports choisis pour la diffusion. Ce n’est pas un ouvrage à lire d’un bout à l’autre, d’une traite… On risque un peu l’indigestion. Mais quel plaisir de le feuilleter et de passer un moment à s’informer sur certaines histoires abracadabrantes. Non loin de chez nous, on fait souvent une belle promenade dans le Bugey, pour découvrir après une bonne heure de marche le site enchanteur de la cascade du Luiset. Sur le bord du chemin, une croix discrète informe du lieu où fut assassiné un jeune berger, victime d’un tueur en série arrêté quelques temps après ce crime. Rien de tel que de consulter « chanter le crime » pour en savoir un peu plus long sur cette sinistre histoire. Il suffit de lire « l’affaire Joseph Vacher », « le tueur de bergers » : l’assassin est identifié à la suite d’une longue enquête conduite par un juge de Belley. Il laisse derrière lui les traces sanglantes de onze crimes commis sans aucun remord. L’homme, à la personnalité complexe, attribue la responsabilité de ses crises de rage à la morsure d’un chien quand il était lui-même enfant. Cette thèse ne suffit pas à lui épargner la guillotine. Il est exécuté le 31 décembre 1898 à Bourg. Petits bergers, dormez en paix.
Les chroniques, c’est comme les chansons, quand elles sont trop longues on n’écoute pas ou on ne les lit plus. Alors j’arrête là, bien que l’envie me démange de vous parler d’une dizaine d’autres bouquins dénichés ces derniers mois. Je reviendrai à la tache un de ces quatre, mais vous avez là de quoi aborder le mois de Juillet sans trop de soucis.
Notes : (*) Au moment de publier ce billet, je viens de terminer « Maritimes » de Sylvie Tanette, c’est également un bijou à conserver et à relire.
6 Comments so far...
Anne-Marie Says:
24 juin 2022 at 18:47.
Michel Buhler je connais et j’aime ses chansons, je ne savais pas qu’il écrivait.
« La Main de Dieu » est sur la liste des livres à emprunter à la bibliothèque itinérante.
Bonnes vacances
Bernadette Suchod Says:
25 juin 2022 at 11:00.
Pour le premier encart on pourrait trouver un titre à la Jane Austen : « Hypocrisie, Mensonge et Trahison ». Ça sonne bien non ?
Paul Says:
26 juin 2022 at 07:53.
@ Anne-Marie – Il écrit comme il chante ; c’est poétique, simple et percutant, souvent touchant. Valerio Varesi, je recommande vraiment toute la série.
Paul Says:
26 juin 2022 at 07:54.
@ Bernadette – C’est vrai que ça aurait pu servir de chapeau à une chronique bien cinglante (et sanglante) sur l’hypocrisie d’une certaine presse !
Zoë Lucider Says:
27 juin 2022 at 20:56.
Merci pour ces conseils et ces découvertes car je dois l’avouer, je ne connais aucun des auteurs cités. L’occasion de combler ce déficit.
Paul Says:
11 juillet 2022 at 11:04.
@ZOË – Merci pour cette petite visite… J’en remets une couche dans quelques jours avec une autre fournée sympathique !