19 janvier 2023

Escapade sur les traces des musiciens de Brême

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .

 Lorsque notre rame ICE s’arrête en grinçant sur les quais de la gare centrale de Brême, cela fait déjà quatre heures que nous naviguons dans l’obscurité. Nous n’avons aucune idée du paysage dans lequel se situe la grosse boule de lumière qui va nous servir de refuge pendant une petite semaine. On a un peu la sensation de descendre d’avion dans un aéroport lointain. Avant d’atterrir, de jour, à Montréal, nous avions une idée globale du décor dans lequel nous allions évoluer. La nuit noire, ainsi que les vitres assez boueuses de notre wagon, ne nous ont permis aucune observation. Les images que nous avions en tête nous permettaient certes de prévoir que nous n’étions ni au pied des Pyrénées, ni ceinturés par le désert de Gobi… A cinquante kilomètres des côtes de la Mer du Nord, on ne s’attend pas à un décor très montagneux non plus.

 La fatigue s’est accumulée et le premier regard que nous jetons sur la ville est plutôt distrait. De larges avenues, d’innombrables voies réservées aux vélos, aux piétons, aux trams. La vie nocturne semble très limitée et on ne sait trop ce que cherchent les rares piétons déambulant sur les trottoirs. L’accès à la chambre que nous avons réservée se fait grâce à une serrure électronique, et notre esprit est largement occupé par la résolution de ce problème angoissant auquel nous ne sommes guère accoutumés. Notre dernier séjour de vacances, c’était un gîte des plus conviviaux où nous étions accueillis, selon les convenances, par une créature aussi souriante que dévouée. Je réalise que la ville, ainsi qu’une certaine forme de modernité technicisée, ne semble plus faite pour nous. Mais il faut parfois se confronter à une problématique inhabituelle, histoire de stimuler les neurones, si l’on veut que les voyages forment aussi la vieillesse. Quelques menues énigmes résolues, nous nous vautrons sur un couchage confortable, décidant de remettre à demain la recherche d’une réponse aux questions qui n’en ont encore point.

 J’ai la tentation de penser qu’il aurait mieux valu que les quatre animaux musiciens du conte des frères Grimm choisissent la montagne de Lure comme terrain d’aventure et deviennent emblématiques de Manosque ou de Forcalquier. Mais il faut se rendre à l’évidence : Giono n’avait pas de frère et, s’il s’est intéressé au folklore de Provence, il n’a point rédigé de contes pour les enfants. De surcroit, dans mon sac de motivations, il n’y avait pas que ce conte classique de la littérature enfantine ; il y avait aussi l’envie de découvrir une ville allemande moyenne et les singularités du mode de vie de ses habitants. La faute à une exposition prolongée à l’émission franco-allemande Karambolage sur ARTE. A quoi ressemble la vie d’un citoyen du Land de Brême (l’un des plus petits d’Allemagne) à l’orée de ce siècle.

 Le lit était confortable, effectivement ; le quartier calme… Nous n’étions ni à Marseille, ni à Palerme. Le lendemain matin nous nous sommes levés, reposés, bon pied, bon œil. L’âne, le chien, le chat et le coq avaient bien fait leur travail et les brigands, enfuis dans une lointaine campagne, ne s’étaient pas manifestés. Une remarque au passage : si vous ne vous souvenez plus de ce conte, c’est l’occasion de le relire. Pour une fois que la morale d’une histoire n’est pas trop conventionnelle et que l’on met en exergue les problèmes de la migration et les vertus de l’entraide, cela vaut le détour.
Après avoir bu un café et mangé une délicieuse viennoiserie, nous étions en pleine forme pour aborder notre dure existence de touristes investigateurs, et pour nous lancer à la découverte de la vieille ville. Je ne vous conterai pas le détail de nos aventures. Vous trouverez un témoignage beaucoup plus complet de notre séjour sur le blog de ma compagne. Ne manquez pas d’aller y faire un tour : un simple clic suffit et le voyage se fait en quelques minutes.

 Non, moi, ce que je veux partager avec vous ce sont quelques menues observations sur la vie en ville, au XXIème siècle, pour des ruraux endurcis, ainsi que quelques moments singuliers que nous avons vécus. A travers notre voyage ferroviaire, mais aussi de quelques incidents s’étant produits pendant nos errances, l’une des conclusions que j’ai tirées c’est que la véritable aventure de ce siècle, ce n’est point de partir en pirogue ou d’aller dans une île peuplée d’anthropophages. Non. Le comportement à risque maximum, c’est de vouloir voyager sans disposer de cet objet biblique incontournable qu’est le smartphone. J’aurais dû me rendre à cette évidence depuis longtemps. Ce n’est pas sans raison, et ce aussi bien en Allemagne, en France ou en Italie, que le principal accessoire que transportent les autochtones, aussi bien dans la rue que dans le train ou encore sur la confortable banquette où ils déclarent leur passion à leur dernière rencontre, ne peuvent plus se passer de cet accessoire. A quoi ressemble une large proportion des créatures que vous avez croisées ? Un masque pour le Covid, un jean déchiré pour la ventilation, mais surtout un petit boitier magique que l’on accroche à son manteau, ou que l’on pose à côté de la fourchette et du couteau sur la table de restaurant. Lorsque le totem est dissimulé, son existence est trahie par la présence d’un macaroni blanc sortant de l’oreille de son porteur… Il y a belle lurette que je ne m’étonne plus des propos délirants que peuvent tenir mes contemporains marchant seuls dans la rue.

 Je pourrais écrire des lignes et des lignes de propos moqueurs à ce sujet. Je ne le ferai pas parce que ce dernier voyage m’a appris l’humilité et que d’autres paroles ironiques pourraient répondre aux miennes au sujet du temps perdu en raison de notre sous équipement volontaire. Certains nous ont observés, nus, sans connexion 24 h sur 24 à la toile mondiale, et en rient encore. Les plus gentils d’entre-eux nous ont simplement pris en pitié. Je pense, entre autres, en disant cela, à cette charmante contrôleuse de la SNCF qui est restée béate d’admiration en découvrant que nous partions dans un pays étranger dont nous ne parlions pas la langue et sans smartphone, à nos âges canoniques. Son aide a été précieuse pour se démêler de l’imbroglio de correspondances ratées et d’itinéraires improvisés auquel nous avons été confrontés, en raison du manque de fiabilité des compagnies ferroviaires.

 Pour en revenir à Brême, je pense que la vie dans la région était plus simple au temps des frères Grimm et que les animaux ont pu se sortir de l’impasse dans laquelle ils étaient enfermés, sans faire appel à Google et à Facebook. Notez bien que nous aussi, puisque nous sommes rentrés vivants et dans les délais prévus ! Je trouve finalement que nous nous sommes débrouillés comme des chefs et que nous avons pu profiter largement de cette ville sympathique, de ses nombreux musées et de ses parcs de promenade.
En ce qui concerne les espaces verts je dois reconnaître honnêtement que le fond de l’air était frais et humide et que nous n’en avons pas bénéficié autant que mérité. Des quatre grands musées que nous avons arpentés, j’ai eu un coup de cœur pour le « Focke Museum», musée dédié à la ville de Brême examinée sous toutes les coutures (histoire, art, industrie, vie quotidienne…). Deux choses m’ont particulièrement séduit : des collections très variées, avec parfois un côté foire à la brocante bien rangée, d’une part ; la gentillesse du guide, d’origine grecque, qui nous a accompagnés pendant une heure et demie, de sa propre initiative. Il nous a fait découvrir quelques merveilles cachées dans les recoins. Je me contenterai de vous en signaler une : il y a au moins deux tableaux, exposés dans une salle, présentant un défilé de personnages en costumes médiévaux, à l’occasion d’une cérémonie sur la place du marché de Brême. Sur ces deux tableaux, peints au moins deux siècles avant la naissance des frères Grimm, on observe, en tête de cortège, quatre musiciens portant des masques d’animaux et jouant d’un instrument de musique…

 Cette découverte m’a permis de rentrer l’âme sereine. Notre voyage étant lié, au départ, à cette histoire d’animaux musiciens, nous avons peut-être bien résolu une énigme essentielle pour les aventuriers singuliers que nous sommes et ce, grâce à la bienveillance de notre hôte. Les écrivains, même talentueux, ne font jamais que réécrire une fois de plus des histoires que d’autres ont déjà contées avant eux. Le lien entre les contes de Grimm et ceux de Charles Perrault en témoigne. Les gribouillis de l’auteur de ces chroniques également !

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