1 février 2023

Avez-vous déjà dîné dans une librairie ?

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .

Cela ne m’était jamais arrivé à ce jour. C’est maintenant chose faite. Quand je parle de repas dans une librairie, je ne parle pas de pause thé ou café, ni de tartelette dégustée sur un comptoir, comme l’ont fait (ou le font encore ?) certaines librairies de notre région. Il existe aussi des établissements qui portent d’origine une double casquette, notamment en Bretagne. Quelques exemples me reviennent en mémoire. Nous avons fait un tour, il y a quelques années à « La déferlante » à Morlaix, librairie-café où l’on peut déguster de succulents petits plats… « Raconte moi la Terre » à Lyon propose plats du jour et jus de fruits divers. Je sais aussi qu’il y a une librairie tartinerie à Sarrant dans le Gers. Mais ces établissements affichent leur particularité dès le départ. Ce n’est pas le cas pour la librairie lyonnaise où nous nous sommes rendus, « La Virevolte ». Sa vocation première est de vendre des livres. La transformation occasionnelle en salle de restaurant nécessite donc de bouleverser quelque peu le décor habituel !

Les deux animateurs du lieu, Sophie et Martin (leur troisième complice, Olivier, était absent), ont décidé d’expérimenter le concept de « dîner débat » dans un espace improvisé. Les derniers clients partis, il faut déménager une partie des livres exposés et dresser la table au sens médiéval du terme. Le local n’est pas bien vaste et une quinzaine de participants sont attendus ; il faut donc faire de la place et ce n’est pas chose facile bien que ce soit fait de façon rapide et efficace par les deux complices à l’origine de cette idée.

Je vous rassure tout de suite. Il ne s’agit pas d’un banquet gargantuesque où les convives abondamment abreuvés risquent de rouler sous la table. La tenue de la clientèle et des maîtres des lieux est exemplaire, et il y a peu de chance que les verres volent dans toutes les directions ou que la sauce des rôtis n’éclabousse les gloires littéraires de la rentrée de Janvier. Comme il s’agit de discuter en mangeant, le repas ressemble plutôt à un pique-nique avec une abondante assiette de mets variés genre « tapas » ou buffet végétarien.

Mais, me direz-vous, on nous appâte avec la littérature et on ne parle que de nourriture ! Il serait peut-être temps de dévoiler qui étaient le ou les invités de cet événement et de quel sujet nous avons débattu ? C’est vrai que ma présentation manque un peu de sérieux et qu’il eut été plus opportun de parler belles lettres d’abord puis arts de la table dans un second temps. De même que j’ai tenu à faire la surprise de ma présence à la personne que j’allais rencontrer, me gardant bien de dévoiler dans nos échanges de courriels mon intention de monter à Lyon avec ma compagne pour cette occasion. Même traitement pour mon lectorat : j’ai préféré vous laisser mariner un peu avant de vous révéler l’identité des invités. Mais si je veux conserver votre attention, il faut bien que je lève le rideau…

J’ai eu le plaisir de rencontrer pour la première fois, en présenciel (comme on dit maintenant dans les lieux branchés), Joël Cornuault et sa compagne. Quant à l’appât utilisé en complément pour me ferrer et m’obliger à me rendre à cette soirée, eh bien il s’agissait d’un échange sur les écrits de David Henri Thoreau et d’un certain nombre d’écrivains étatsuniens de cette époque sur lesquels Joël a travaillé. Il a notamment traduit des œuvres de Rexroth ou de Burrough.  Son étude sur Thoreau, intitulée « Thoreau, dandy crotté » se démarque de nombre d’études publiées sur le même sujet.

 Joël Cornuault a décidé de prendre le contrepied de tous ceux qui veulent transformer le philosophe américain en « père de l’écologie, théoricien de l’anarchisme, ou précurseur de ceci ou de cela ». Il a choisi de nous présenter sa propre vision d’un écrivain naturaliste qu’il connait plutôt bien. L’exposé sur la vision que l’on peut avoir de Thoreau fournissait donc la matière pour introduire le débat. Une discussion intéressante et un point de vue original ne suscitant que peu d’opposition.  Rappel intéressant sur le fait qu’au XIXème siècle, période à laquelle a écrit Thoreau, le terme d’écologie n’existait pas ; complément intéressant aussi sur les lacunes que cette volonté de classification a entrainées dans la manière d’apprécier l’apport de cet auteur dans divers domaines tels que l’humanisme ou la poésie. Joël a rappelé la poésie qu’expriment les premières pages de Walden, et déploré qu’une lecture trop analytique a conduit certains chantres de Thoreau à des approximations dans l’interprétation de ses propos. Un discours quelque peu iconoclaste. Comme Joël me l’a dit lui même : « Je signerais plutôt  » un prolétaire » ou « un simple passant », par provoc et toujours aussi agacé par la confusion faite entre monde intellectuel (et la bohème, alors ?) et université ; entre penseurs indépendants et « experts » à longueur d’émissions de radio et de TV.»
« Thoreau, dandy crotté » n’a pas eu le succès qu’il méritait à mon avis.

Parmi les personnalités évoquées, bien entendu, figurait aussi Elisée Reclus. Je vous rappelle que Joël Cornuault a écrit trois ouvrages sur mon géographe anarchiste préféré et qu’il a aussi rédigé plusieurs préfaces à des livres sur Reclus proposés par d’autres écrivains (l’introduction à « Histoire d’un ruisseau » publié chez Actes Sud notamment). Pendant de nombreuses années il a été aussi responsable des « cahiers Elisée Reclus » dont la publication est interrompue. Ces fascicules sont malheureusement difficiles à trouver, mais fort intéressants à lire.

Cette rencontre a été l’occasion pour moi de replonger le nez dans ma bibliothèque. J’en ai profité pour relire «Thoreau, dandy crotté » et pour en apprécier la lucidité. La discussion était fort bien menée par le maître de cérémonie, Martin ; les digressions ont été nombreuses et enrichissantes.  L’œuvre d’auteurs comme Morris ou Rexroth a été brièvement évoquée. Joël Cornuault a pu aussi parler, avec beaucoup de modestie, de sa propre carrière et de son parcours varié dans le milieu de la librairie et de l’édition. Je n’ai regretté qu’une chose, c’est de ne pas prendre quelques notes, mais lorsque je suis pris dans une discussion, j’ai bien du mal à faire un pas de côté. Je savais aussi que dans nos futurs échanges, je pourrai compléter mes lacunes nombreuses dans ce domaine littéraire qui m’intéresse de plus en plus. J’aurais aimé aussi parler, avec l’auteur, de ses propres créations dont j’apprécie la diversité. C’est le problème quand il faut satisfaire ses papilles en plus de faire « ronronner ses neurones » !

Alors, au final, satisfait ? Oui, tout à fait… Mon seul regret c’est la brièveté de nos échanges… Mais j’ai le ferme espoir que d’autres occasions de « papoter » ensemble se présenteront. Nous avons dû abandonner le champ de bataille assez tôt. Je ne suis plus guère enthousiaste pour les soirées à rallonge et l’idée de me coucher des heures après les poules m’inquiète toujours… Un grand merci en tout cas pour les joyeux lurons de « la Virevolte » d’avoir su créer les conditions idéales pour une si belle première rencontre.

3 Comments so far...

Cluytens Lucienne Says:

7 février 2023 at 13:12.

Ravie de partager avec toi un grand respect pour Thoreau. Et Ravie de voir la feuille charbinoise de retour
Lulu

Bernadette Suchod Says:

8 février 2023 at 23:36.

Idée vraiment intéressante que ce type de repas-débat.

Paul Says:

13 février 2023 at 16:58.

@ Lucienne – bises virtuelles ! Oui j’aime bien Thoreau, du moins une certaine vision de son œuvre. Quant à la Feuille Charbinoise, elle reva elle revient, elle rêve de revenir…

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