10 janvier 2008
Labels « bio » : des exigences nécessaires mais pas suffisantes
Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; le monde bouge .
Les produits « bios » sont à la mode. Plus la qualité des aliments standards baisse, plus les problèmes sanitaires se font nombreux, plus les consommateurs réclament, parfois à n’importe quel prix, des produits « naturels », « bios », « fermiers », « régionaux »…, pour se rassurer. Pour moi, lecteur de la « Gueule Ouverte » dans les années 70, heureux possesseur d’un jardin qui ne connaît plus l’usage des pesticides et des engrais chimiques depuis plus d’une trentaine d’années, cela devrait être une nouvelle particulièrement réjouissante. Et pourtant, de plus en plus d’éléments m’interpellent dans ce dossier « agriculture biologique » et je commence à me demander s’il ne faudrait pas trouver une nouvelle appellation, de nouveaux modes de certification, travaillant sur un champ beaucoup plus large et plus rigoureux que les normes actuelles. Je vais essayer d’aller un peu plus loin dans ma réflexion.
Lors d’une récente visite à la micro brasserie des Ursulines (voir chronique à ce sujet le 8 décembre), j’ai discuté un moment avec le brasseur et abordé notamment le problème du logo « AB » ne figurant pas sur ses étiquettes, alors qu’il venait de m’expliquer que la bière était brassée avec du malt d’orge et du houblon issus de l’agriculture bio. La transformation étant particulièrement respectueuse des produits de base – aucun ajout de produit chimique n’étant réalisé pendant le brassage – je ne comprenais pas pourquoi les « Ursulines » ne demandaient pas la certification. Il y a deux problèmes m’a répondu mon interlocuteur : le premier c’est que le logo « AB » tel qu’il est actuellement, ne me plaît pas, parce qu’il n’intègre aucune donnée sociale dans le mode de production (j’y reviendrai) et que ces dernières années, ce ne sont plus des militants mais des financiers qui se jettent sur le label. Le second c’est que pour déposer un dossier de demande de certification, il faut, dans un premier temps, lui adjoindre un chèque rondelet pour couvrir les frais d’expertise… Un viticulteur m’avait fait la même remarque, il y a quelques années : il faut payer quand on ne pollue pas ; si on fait n’importe quoi, c’est gratuit.
Les grandes surfaces, parfaitement conscientes de l’augmentation de la demande des consommateurs, cherchent à proposer un éventail de produits, le plus large possible, avec un prix pas trop dissuasif, mais avec une marge des plus confortables quand même. Hiver ou pas hiver, dans les rayons de mon hypermarché favori, on trouve donc des carottes (ce qui pourrait aller à la rigueur si elles ne venaient pas d’Espagne), des tomates (produites sous serre en Hollande) et bien entendu des haricots verts (légume typique de saison !). Lorsque je défends les prix souvent élevés des produits bios en discutant avec mes amis, je choisis souvent l’exemple des carottes, car c’est un légume que mon dos n’apprécie pas beaucoup. Le travail demandé par un désherbage chimique sur un champ de carottes et celui demandé par un désherbage manuel ne sont en rien comparables en matière de temps passé et de pénibilité. Une main d’œuvre plus importante justifie obligatoirement un prix plus élevé, si l’on veut que le travail soit rémunéré correctement. Or il faut savoir que les carottes (et autres légumes produits dans les serres du sud de l’Espagne) sont cultivées par une main d’œuvre immigrée (d’Afrique du Nord ou d’Amérique du Sud), payée au lance pierre et dont les conditions de vie sont proches de celles de l’esclavage. Ce n’est donc pas le coût du travail qui entraine la hausse du prix de ces carottes là, mais le coût, écologiquement aberrant, du transport, et la marge plus qu’avantageuse du distributeur. Je comprends que, dans ces conditions, on considère le label « AB » comme insuffisant.
A partir du moment où elle fonctionne sur les mêmes bases que l’agriculture chimique conventionnelle, l’agriculture bio ne présente plus qu’un intérêt limité : son impact moins négatif, mais négatif quand même, pour l’environnement. Les agriculteurs bios américains, assez nombreux en Californie par exemple, importent sur leurs exploitations une bonne partie des fertilisants organiques qu’ils utilisent : compost livré par camions entiers, guano « pillé » sur les côtes du Pérou… Ils importent aussi la main d’œuvre du Mexique, plus ou moins légalement, et l’exploitent outrageusement. L’un des principes de base de l’agriculture biologique, du moins à ses origines, est d’arriver à établir un bilan d’exploitation équilibré sur le plan des matières organiques : engrais verts insérés dans la rotation des cultures, polyculture-élevage associés, compostage des déchets de récolte… Ces pratiques doivent permettre le maintien en état et surtout l’amélioration des sols, pratiquement sans apports extérieurs. Elles permettent par ailleurs de renforcer facilement les contrôles, et évitent par exemple l’épandage, volontaire ou non, de fumiers plus ou moins pollués provenant d’élevages intensifs, extérieurs à l’exploitation, ou de composts urbains à la composition parfois douteuse.
Les logos « AB » sérieux, comme la certification accordée par l’association « Nature & Progrès » par exemple, imposent aux éleveurs de bovins ou de volailles, la production d’un pourcentage important des fourrages et des céréales donnés en nourriture aux animaux, sur l’exploitation agricole elle-même. Le nouveau label « bio » mis en place par l’Union Européenne est beaucoup plus laxiste à ce sujet. De même qu’il présente de moins en moins de garanties par rapport à la contamination par les OGM. Sans vouloir en arriver à l’autarcie (irréalisable et sans grand intérêt pour personne), il est absolument incontournable d’intégrer dans les coûts et dans les labels de qualité, les distances parcourues et les moyens de transports utilisés, en amont et en aval des différentes productions. Un véritable logo « produit de l’agriculture biologique » devrait intégrer aussi les aspects sociaux et humains évoqués ci-dessus. Nous devons raisonner en terme d’agriculture « durable », c’est à dire mettre en place une politique agricole qui veille au maintien en bonne santé des sols, aux bonnes conditions de vie de ceux qui les travaillent, à la qualité des produits proposés sur le marché (qualité au sens médical de « facteur de bonne santé » et au sens gustatif de « agréable à consommer). Ceux qui se lancent dans la monoculture des oliviers, du blé, ou du riz Basmati, même s’ils n’utilisent, dans un premier temps, aucun produit chimique de synthèse et répondent parfaitement aux actuels cahiers de charge, ne s’intégrent que très imparfaitement à cette notion d’agriculture durable. Par souci d’équité, pour rendre hommage à tous ceux qui s’appliquent à proposer de « vrais » produits bios, peut-être faudrait-il créer un nouveau label « agriculture écologique » qui intégre tous les paramètres évoqués ci-dessus. Le débat est ouvert. Ce qui est certain c’est que le plus important pour commencer c’est de redonner toute son importance au « rouage » essentiel de tout ce processus, à savoir le producteur. Le meilleur de tous les labels possibles est sans doute la confiance qui s’instaure lorsque l’on peut avoir un contact privilégié avec lui. Les réseaux AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture de Proximité) ou « Voisins de Panier », proposent des systèmes d’achats directs et des rencontres régulières producteurs, « consommacteurs ». Ils commencent à être suffisamment nombreux pour que vous puissiez en contacter un, pas trop loin de chez vous…
3 Comments so far...
François Says:
10 janvier 2008 at 10:17.
Je suis on ne peut plus d’accord avec toi. Cela fait un moment que les labels bio ou commerce équitable commencent à m’énerver. Un exemple: les tisanes bio. Elles sont généralement présentées comme des produits haut de gamme, voire luxe. A ce titre, il leur faut évidemment un emballage digne de ce nom. Ainsi, en plus de la boîte, chaque sachet de tisane est enveloppé dans un sachet en plastique, pas biodégradable pour deux ronds. Je suis en train de me chercher activement une tisanière (ce n’est pas si simple!) pour passer aux tisanes en feuilles.
Autre exemple, le label de commerce équitable Max Havelaar. C’est très bien, le commerce équitable sur le fond, mais quand on importe des roses du Kenya, par avion, on flingue allègrement le côté écologique du développement durable. Qui plus est, les cultivateurs de roses kenyans gagnent peut-être un peu plus, mais diminuent la capacité du Kenya à produire sa propre nourriture et pousse ainsi à l’importation, notamment de céréales de pays exportateurs, comme les Etats-Unis. Une situation totalement aberrante!
Depuis le mois d’août de l’année dernier, nous recevons chaque semaine un panier de légumes cultivés dans un village de handicapés à quelques kilomètres de chez nous. Ils n’ont pas le label bio, mais leur bilan écologique global est indéniablement excellent! Nous nous fournissons aussi en céréales auprès d’une coopérative agricole de la région, et nous trouvons que notre qualité d’alimentation a très largement augmenté depuis lors, sans parler de la satisfaction morale.
Lavande Says:
15 janvier 2008 at 16:26.
Entendu ce matin au supermarché du coin:
« moi, les produits bio je m’en méfie! »
« Vous avez raison, moi aussi; je ne n’achète que des choses naturelles »
Daniel D Says:
19 janvier 2008 at 14:46.
Bonjour!
Effectivement, les organismes certificateurs, demandent TOUS un chèque d’abord! Le label AB est le roi en ce domaine! Pour cette raison, je ne suis pas certifié…
Dans les carottes, vous oubliez les Landes! La société agroalimentaire POMONA est un des plus gros faiseurs de cette région, strictement chimique! Viennent d’espagne et du Maroc, plutôt des fruits frais: la framboise en particulier! J’ai perdu la majorité de ma clientèle de producteurs français! Mais je sens un inversement de tendance actuellement: beaucoup de jeunes agriculteurs cherchent à développer de petites productions de proximité.