14 mars 2009

Lectures d’enfance

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour...; Des livres et moi .

Le lecteur que j’étais ; le lecteur que je suis (1)

J’ai toujours aimé lire et mes goûts ont toujours été relativement éclectiques mais complexes à définir. Quand je raconte l’histoire de mes lectures, j’ai tendance à employer un raccourci et à dire à ceux qui ont la bonté d’âme de m’écouter que je suis passé directement d’Enid Blyton à Bakounine et à Boris Vian. Du coup, certains dressent une oreille inquiète et un peu plus attentive. C’est un peu caricatural mais ce n’est pourtant pas totalement faux. Il me semble avoir zappé, dans mon évolution, toute la phase « littérature pour adolescents ». Il faut dire qu’à l’époque mérovingienne « dont à propos de laquelle je vous cause », l’offre en matière de littérature enfantine, par rapport à maintenant, était comparable au choix de produits que l’on peut trouver dans une épicerie de quartier, par rapport à la diversité de produits disponibles dans un hypermarché. Quant à la littérature spécifique pour adolescents et jeunes adultes, a posteriori, je me demande si elle dépassait la taille de l’assortiment de denrées culturelles disponibles dans un salon de coiffure. Les jeunes lecteurs actuels ne savent pas la chance qu’ils ont et je ne pense pas qu’en matière de lecture l’existence d’un vaste éventail de choix soit un mal.

remi_et_colette J’ai, paraît-il, appris à lire dans le « Dauphiné Libéré » et en particulier dans la rubrique nécrologique de ce quotidien passionnant. Vu le niveau des méthodes de lecture proposées à l’époque, « Rémi et Colette » et autres anthologies du genre que notre ministre œuvre à remettre au goût du jour, ce n’était « pas pire » comme disent nos amis québecois. Je n’ai donc pas trop honte de ce début de confrontation au « monde de la création littéraire ». Il faut croire que la méthode n’était pas trop mauvaise (toute globale qu’elle ait sans doute été) et je me suis vite passionné pour la lecture. J’ai quand même eu droit, rassurez-vous, à « Rémi et Colette » lorsque je suis passé au CP. Ma sœur aînée avait la gentillesse de m’offrir un album illustré toutes les semaines, quand je n’avais pas été trop casse-pieds (je dois prendre des précautions scripturales car je sais qu’elle surveille mes propos). Je suis donc peu à peu sorti de la « nécrologie dauphinoise » pour m’intéresser au vaste monde. L’un de mes albums préférés, dont j’ai oublié le titre, avait pour héros un petit camion drôlement intelligent, une dépanneuse en fait, avec des yeux à la place des phares et une bouche à la place du radiateur, auquel il arrivait plein d’aventures passionnantes. Il y en a eu sans doute bien d’autres, mais je me rappelle plus particulièrement de celui là ; il me semble d’ailleurs qu’il y a maintenant une série télévisée du même style pour les enfants sur la « cinq », sauf que le héros est un tracteur et le décor plus rural qu’urbain. Des albums illustrés, je suis très vite passé aux petits livres de la bibliothèque rose et c’est à cette époque que j’ai sans doute pris la manie, lorsque j’aimais une série, de vouloir la lire complète, et j’ai manifesté un goût marqué, dans les romans, pour les personnages récurrents.

club-des-cinq En discutant avec les amis de ma génération (ou presque) – ceux qui ont approximativement mon âge canonique – je me suis aperçu qu’il y avait, à l’époque, trois grands cheminements littéraires : ceux qui avaient été formatés par Enid Blyton, ceux qui ne juraient que par Paul Jacques Bonzon et ceux qui ne lisaient que des illustrés à un sou (et hop un raccourci de plus !). Je fais partie de la première fournée, n’ayant découvert l’auteur des « six compagnons » que beaucoup plus tard et sans vraiment « accrocher ». En fait, je partageais mes lectures entre la série des « club des cinq » et le journal de Spirou. Les « club des cinq » c’étaient vraiment mes titres préférés dans la bibliothèque rose (si vous avez du temps à perdre, vous pouvez vous amuser à relire l’hommage parodique que j’ai rendu il y a pas mal de temps, à cette série). Un peu plus âgé, j’ai découvert les « mystères » du même auteur qui avaient le mérite d’être un peu plus étoffés. J’appréciais beaucoup moins le « clan des sept » ; quant à « Oui-oui », ce héros particulièrement mièvre, il n’existait pas encore quand j’avais l’âge de le lire. Je suis incapable de dire ce que j’aimais dans les romans d’Enid Blyton. Le style n’avait rien d’extraordinaire, mais il y avait un certain suspens, et les gentils gagnaient toujours à la fin. Je n’aime pas les histoires qui se terminent mal et encore moins les auteurs qui massacrent leur héros. Difficile aussi de préciser si l’un des personnages du « club » avait plus la cote que les autres… Peut-être Claude, le « garçon manqué », parce que c’était elle qui avait le plus de personnalité… En fait, ce qui me fascinait sans doute, c’était la relative liberté dont jouissaient les personnages et dont je ne bénéficiais pas. Il faut dire que ce n’était pas dans l’air du temps. Il a fallu qu’un nombre important d’années s’écoule avant que je puisse jouer au « club des cinq » grandeur nature ! Mes parents ne possédaient pas de villa sur la côte et encore moins d’îlot privée que les contrebandiers auraient pu coloniser.

spirou Côté « bandes dessinées » il y avait les journaux « sérieux » comme « Spirou » ou « Tintin », et les illustrés à un sou, imprimés en noir et blanc sur du papier de basse qualité. Moi je lisais régulièrement Spirou (je n’aimais pas trop Tintin, ni le journal, ni le héros). Je dévorais certaines séries : Johan et Pirlouit, Spirou et Fantasio, Gaston, Tif et Tondu, ainsi, bien entendu, que les « histoires de l’Oncle Paul ». Les illustrés, même s’il en existait pléthore, n’avaient pas la cote à la maison ; mes parents en avaient une piètre opinion, considérant qu’ils étaient de « mauvais genre » : mal écrits, violents, d’une moralité douteuse… Ils avaient raison au moins sur un point : les thèmes traités étaient plutôt bellicistes et le racisme s’étalait à pleine page y compris dans les dessins. La deuxième guerre mondiale se vendait bien et les auteurs de ce genre de brochures vouaient une admiration sans limite aux super héros américains massacrant les sous-hommes japonais dans la jungle profonde de Bornéo peuplée de cannibales. Bien évidemment, je regrettais cet « interdit » familial et je lorgnais avec envie sur ces petits journaux que mes copains de classe sortaient de leur cartable à la récréation. En fait, la dernière guerre n’était pas le seul thème abordé, même si c’était le principal. Il y avait aussi les « super héros » des Comics américains, et quelques aventures médiévales ou policières. Cette diversité m’avait quand même permis de trouver un biais pour avoir droit, « moi aussi », à ces horribles illustrés : j’avais la permission d’acheter, tous les mois, la série « Lancelot du lac » (l’illustration présente une version plus récente que celle que j’avais en mains en ce temps là). Cela permettait à mon marchand de journaux de répéter tous les mois la même blague vaseuse : « Lancelot ? mais il ne pleut pas aujourd’hui ! » ou bien, variante adaptée à un ciel pluvieux, « je n’en ai plus, ils sont dans la rue ! » Y’a pas à dire c’était un gars qui avait de l’humour…

lancelot Ce « Lancelot » romancé a peut-être participé à l’intérêt de plus en plus grand que j’ai commencé à éprouver, depuis cette époque lointaine, pour certaines périodes historiques ; ce qui est amusant cependant, c’est que ce n’est pas au Moyen-Age que j’ai commencé à m’intéresser en premier. Arrivé à l’âge de onze, douze ans, les premières années de collège, mes goûts ont commencé à se « militariser » sérieusement (à cet âge là, ce n’est pas trop grave, c’est plus tard que c’est inquiétant). Je me suis trouvé deux dadas : Napoléon et la deuxième guerre mondiale. Le premier centre d’intérêt a été fugitif, lié semble-t-il au fait qu’on m’avait offert un grand livre, un très grand livre illustré même, à l’image de l’opinion que la France avait de son Empereur. Pendant un temps j’ai été « incollable » sur la biographie de ce tyran : je connaissais la liste complète des batailles, victoires et défaites comprises, et je lisais, fort ému, le récit de ses derniers jours à Sainte Hélène. En ce qui concerne la deuxième guerre mondiale, la passion a duré beaucoup plus longtemps et j’ai commencé à accumuler pas mal de livres sur le sujet. C’était l’époque où, dans les librairies, on trouvait une avalanche de titres sur ce thème, en particulier les fameux « J’ai lu » à couverture bleue. Je trouvais Bader, l’aviateur anglais, Clostermann, le héros des Forces Aériennes Françaises Libres ou Rommel, le « stratège allemand », nettement plus intéressants que Napoléon, Spirou ou la gentille petite famille de Madame Blyton.

biggles L’histoire de l’aviation me fascinait, et, grâce à un beau frère, j’ai découvert une nouvelle série à rallonges et un nouveau héros : « Biggles » le courageux détective de l’air, du Captain Johns, écrivain particulièrement prolifique. Les livres étaient difficiles à trouver car ils étaient déjà un peu passés de mode, mais heureusement, l’inspirateur de mes lectures en possédait une solide collection. Je construisais des maquettes d’avion de la deuxième guerre et j’installais, dans les recoins de mes armoires, des aérodromes clandestins dignes des bases secrètes de l’illustrissime pilote anglais. Comme beaucoup de super héros de la même époque, le personnage était intemporel, pour ne pas dire immortel. C’était un avantage énorme pour l’auteur : son aviateur pouvait participer à des missions toutes plus invraisemblables les unes que les autres, de la guerre de 14 à la guerre de Corée, sans prendre une ride. Les « forces du mal » étaient dignement représentées par  l’infâme Von Stallein qui n’arrêtait pas de mettre des batons dans les roues au valeureux chef de la police de l’air britannique… Ce personnage cynique servait tour à tour les Nazis, les Soviets et les pires bandes de trafiquants. Je dois dire très honnêtement qu’avec quelques années de recul,  ces bouquins me font maintenant plutôt rigoler, mais, que voulez-vous, la nostalgie ! J’ai conservé et complété ma collection depuis… Le jour où j’aurai droit à une perquisition pour « mauvaises opinions », les inspecteurs de la DCRI seront sans doute fort perplexes en farfouillant dans ma bibliothèque ! En tout cas, « Biggles »a fait disparaître, à cette époque là, mes « club des cinq » dans une armoire.  Quelques années plus tard j’en ai prêté pas mal à mes élèves, vu l’indigence de mes bibliothèques de classe et beaucoup ont subi « les derniers outrages ». Je lisais encore quelques « Mystères », mais, peu à peu, les romans cédaient la place aux « documentaires » divers, nettement plus à mon goût.
A côté de cela, il y avait bien entendu le collège, les profs de français et leur sélection de livres « incontournables ». Le programme en imposait la lecture et eux-mêmes les trouvaient incontournables… Ronsard, Rabelais, Corneille, Molière, Hugo, Balzac, Zola…. se sont succédé dans mon cartable. Mais « ça », ce n’était pas de la lecture, c’était « l’école » et c’est une tout autre histoire, dans laquelle « le capital » de Marx et « la liberté » de Bakounine vont bientôt débarquer ! (A suivre)

5 Comments so far...

Lavande Says:

14 mars 2009 at 10:53.

Grande soeur, oui, ainée, non, tu vas vexer la vraie ainée!
Particulièrement flattée et contente d’avoir participé à la formation de ta grande culture qui s’épanouit ici! Je me souviens de ces petits albums à couverture en carton épais qu’on allait acheter chez le buraliste du coin.
Moi j’ai plutôt eu droit aux spécimens de livres de lecture que papa recevait. Et quand j’avais un « vrai » livre je le relisais tellement que je le connaissais par coeur: je peux encore réciter Cigalou un de mes préférés: « Quand Cigalou s’en va dans la montagne, les chiens de la plaine avertissent ceux des troupeaux… » …déjà écolo en somme!

Phiphi Says:

16 mars 2009 at 12:57.

Mince! Je lisais Tintin et les Six Compagnons 😉

Paul Says:

16 mars 2009 at 13:02.

Pardonné… Mais quand même, Tintin au Congo… c’est presque aussi réac que Biggles !

fred Says:

17 mars 2009 at 09:44.

ô grand ZIHOU, si la seconde guerre Mondiale t’intéresse toujours, je pourrai te prêter deux magnifiques volumes édités juste après et qui résume dans le ton de l’époque tout ce qui s’est passé ! … Et dire que moi aussi je lisais du Enid Blyton ! (il doit d’ailleurs m’en rester quelques uns). Mais mes principales lectures c’étaient quand même PIF Gadget et Strange !!!!

Paul Says:

17 mars 2009 at 13:15.

Tout m’intéresse ! Enfin heureusement pas tout à fait tout ! A l’occasion pourquoi pas ? Pif gadget, c’est tombé trop tard pour moi et je n’ai pas eu l’occasion de le lire… Les super héros n’étaient pas trop en vogue à la maison… J’ai évoqué leur cas dans la chronique…

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