25 mars 2009
Sur les traces singulières d’un écrivain auréolé de mystères…
Posté par Paul dans la catégorie : mes lectures .
De la République des Conseils de Bavière à la détresse des Indiens du Chiapas…
Allez, question bleu blanc rouge pour le « jeu des mille lentilles »… Essayez de deviner de qui je vais vous parler… En plus du sous-titre de la chronique, voici quelques indices : Mexique, aventure, roman social, Indiens, identités multiples… Une petite aide encore ? Une question alors : « avez-vous déjà lu des ouvrages rédigés par un auteur nommé Ret Marut ? » Il est fort probable que vous allez me répondre par la négative… Vous donnez votre langue au chat ? Alors avançons d’un grand pas vers la solution du mystère : B. Traven cela vous dit quelque chose ? Là je pense que votre lanterne doit commencer à s’éclairer. A ce stade-là, certains d’entre vous vont s’exclamer « bien sûr ! » Il est des chances même que le nombre de réponses positives augmente, si je vous cite quelques titres d’ouvrages tels « Le trésor de la Sierre Madre », « La charrette » ou « La révolte des pendus »… Les deux noms que je viens de citer, Ret Marut et B. Traven désignent un seul et même écrivain dont le parcours est suffisamment original pour que l’on s’y intéresse un peu. D’autant que cet écrivain singulier est décédé un 26 mars, en 1969 à Mexico et que demain c’est le quarantième anniversaire de sa disparition. Comme pour beaucoup d’autres personnages dont je parle dans mes chroniques, je doute que cet anniversaire donne lieu à des festivités particulièrement médiatiques. Revenons donc à notre héros du jour… Si l’on est à peu près assuré de son identité réelle, sa parenté, ses lieu et date de naissance, son enfance, relèvent encore du domaine des hypothèses et font l’objet de pas mal de polémiques. Selon les sources auxquelles on se réfère, on apprend qu’il est né à San Francisco, à Chicago ou dans une ville située à l’Est de la Prusse. Le fait qu’il ait vécu en Allemagne les premières années de sa vie fait à peu près consensus : en tout cas, ses romans sont écrits en langue allemande, et le personnage de Ret Marut, auquel sa veuve l’a identifié, est assez connu des services de police allemands dans les années d’après-guerre. Il exerce des professions très diverses, acteur, journaliste, écrivain… et possède, semble-t-il, un passeport de citoyen américain. Pendant cette période, il vit à Munich et fréquente activement les cercles anarchistes de la ville. Il prend une part active à la mise en place de la République des Conseils de Bavière en 1919, au côté d’autres militants libertaires comme Landauer et Eric Mühsam. Pendant le soulèvement, il aurait occupé la place de « responsable de presse » des conseils ouvriers et aurait sans doute édité le journal « Der Ziegelbrenner » (le briquetier), à moins qu’il n’en ait été qu’un simple collaborateur…
L’échec de la tentative révolutionnaire l’oblige à quitter précipitamment le pays, pour échapper à la répression. Il se réfugie d’abord à Londres, puis, après un périple assez long et mal connu au cours duquel il changera plusieurs fois d’identité, on le retrouve au Mexique. C’est dans ce pays qu’il va passer le restant de ses jours. En 1926, il y publie son premier roman « Le vaisseau des morts » sous le pseudonyme de « B. Traven » (B. pour Bruno pensent certains et je vais leur emboîter le pas, mais rien ne prouve que ce ne soit pas Benoît, Ben ou Bertrand…). Les choses ne sont pas si simples car, les premières années, Traven ne va être qu’un nom de plume ; notre fugueur se fait appeler Torsvan dans la vie courante. Par souci du détail, signalons aussi que, selon certains biographes, si la filiation Ret Marut – Bruno Traven paraît évidente, le premier patronyme n’aurait déjà été que la fausse identité d’un certain Otto Max Feige ou bien encore Otto Wienecke. Ce qui est certain c’est que le bonhomme a le goût du mystère. Compte-tenu de cet imbroglio, les hypothèses les plus farfelues courent quant au nom de ses parents. Certains sont même allés jusqu’à en faire un fils illégitime de Guillaume II, de Jack London ou d’Ambrose Bierce ! D’autres évènements survenus au cours de sa vie sont également sujets à débat, notamment parce qu’il aurait eu à nouveau recours à divers pseudonymes. En 1947, le cinéaste John Houston décide de porter à l’écran « le trésor de la Sierra Madre ». Pendant le tournage, l’un des techniciens qui côtoie le réalisateur se nomme Hal Croves… S’agit-il de notre Wienecke-Feige-Marut-Torsvan-Traven ? Encore une fois, la veuve de l’écrivain l’affirme – mais celle de John Houston prétend le contraire.
Il ne faut pas compter sur le romancier pour éclairer la lanterne du public. Le bonhomme est peu loquace et prend un malin plaisir à brouiller les pistes autour de lui. il n’aime pas les photographies et refuse pratiquement toutes les interviews, estimant que la véritable biographie d’un auteur se dévoile au travers de ses écrits et non de ce qu’il en raconte (certains auteurs « people » français pourraient en prendre de la graine !). « Si l’auteur ne peut être identifié par son œuvre, c’est que celle-ci, comme lui-même, ne vaut rien. Un créateur ne saurait avoir d’autre biographie que son œuvre« . Il est clair que si l’on partage ce point de vue, ce qui est mon cas, il n’en reste pas moins évident que la biographie singulière de B. Traven apporte un éclairage intéressant sur le contenu de ses romans. Pour ne pas étirer à l’infini une notice sur laquelle nous ne possédons en réalité que peu d’éléments certains, je conclurai en disant qu’à sa mort, le gouvernement mexicain lui a offert des funérailles nationales, et que les Indiens du Chiapas, avec lesquels il a longuement vécu en communion, se sont chargés de la dispersion de ses cendres dans la nature… Tout au long de ses écrits, notre écrivain germano-anglo-mexicain a en tout cas témoigné de son profond humanisme et n’a pas hésité à dénoncer l’exploitation sociale des plus démunis ainsi que le rôle négatif de l’institution étatique. Identités multiples mais respect indubitable d’une éthique libertaire.
Que les Indiens aient tenu à lui rendre hommage eux aussi est largement compréhensible car une part essentielle de son œuvre est consacrée à une dénonciation des conditions de vie ignobles qui sont les leurs dans le Mexique du début du XXème siècle. Traven n’a de cesse de dénoncer le comportement des blancs à leur égard, la façon méprisante dont ils sont traités et la grande misère dans laquelle ils vivent. Autant le dire tout de suite, les romans de Traven ne sont pas gais, même s’ils comportent une part « récit d’aventures » et se situent, au moins partiellement, dans la lignée des écrits de Stevenson ou de Jack London. Sans sombrer dans le misérabilisme, l’écrivain n’est pas tendre dans le portrait qu’il dresse de la société mexicaine. Le pivot de son œuvre est un cycle intitulé « Caoba », comportant cinq volumes, dont trois seulement sont disponibles en Français, à ma connaissance : dans l’ordre chronologique, « La Charrette » (1931), « Indios » (1931) et « La révolte des pendus » (1936). Son roman le plus connu en France est « Le trésor de la Sierra Madre » : je ne m’apesantirai pas dessus, ce qui ne veut pas dire que je ne l’ai pas apprécié, mais il faut bien faire des choix. Je voudrais en priorité vous parler un peu plus en détail de deux de ces ouvrages que je trouve particulièrement intéressants et qui sont assez représentatifs du travail de B. Traven : « La révolte des pendus » et « La charrette ».
Dans la « révolte des pendus », Traven raconte la révolte contre les Espagnols, « les ladinos », d’un groupe d’indiens Tsotsils, dont fait partie le héros, Candido Castro. Les Indiens sont contraints à travailler à l’exploitation du bois dans les forêts, par de riches propriétaires qui rivalisent d’ingéniosité en matière d’exploitation et de perversion en matière de répression. Chaque « ouvrier » de l’exploitation se doit de « traiter » quotidiennement trois ou quatre tonnes de bois, faute de quoi il s’expose à un châtiment cruel : être pendu une nuit entière par les quatre membres. Les morts sont nombreux parmi ces esclaves anonymes et le souci des grands propriétaires, les « finqueros », est qu’il faut sans cesse renouveler la main d’œuvre, en puisant dans l’immense réserve des paysans pauvres (mais libres) pour en faire des « peones », assujettis à un patron qui possède droit de vie et de mort sur eux comme sur leur famille. Pour ce travail, les finqueros disposent du soutien diligent des fonctionnaires de l’Etat, qui se chargent de voler les miséreux, de saisir leur modeste propriété, et de leur asséner des amendes impossibles à payer. Une fois surendettés, les Indiens deviennent alors une proie facile pour les rapaces qui les convoitent. Le fatalisme des populations locales facilite, comme au moment de la conquête, leur mise en coupe réglée. Le traquenard dans lequel va tomber Candido Castro, c’est la maladie de sa femme, les exigences exorbitantes du docteur pour l’opérer, le décès de celle-ci et les frais d’obsèques. Le voilà piégé, obligé de se soumettre aux conditions posées par son usurier, mais il n’acceptera pas son sort aussi facilement que les autres… « Ce ne sont point les rebelles qui portent la faute de la rébellion ni des conséquences de la rébellion, généralement désagréables et pénibles pour celui qui ne manque de rien. Les responsables d’une rébellion, des actes des rebelles, ce sont ceux qui croient qu’on peut impunément et éternellement maltraiter des êtres humains, sans qu’ils se soulèvent. » Des propos qui conservent toute leur valeur à l’heure actuelle…
« La charrette » fait partie du même cycle, mais les personnages changent. Ce livre-là raconte la destinée d’un autre péon, Andrès, âgé de douze ans, dont la vie va basculer le jour où son premier maître, Don Leonardo, va le « perdre » à la suite d’une malchance au dé. Andrès devient la propriété de Don Laureano, un gros entrepreneur de transport, et, du coup, se retrouve charretier. A travers la description qu’il va donner de la vie quotidienne du jeune indien, B. Traven va en profiter pour présenter, de façon très réaliste, la façon dont les Tsotsils perçoivent la « civilisation » apportée par les Ladinos. Andrès devient très vite un excellent charretier, capable d’effectuer ses trajets aussi bien de jour que de nuit. Ce n’est pas pour cela qu’il en est mieux traité : « il n’était pas payé régulièrement, tous les mois, ainsi qu’il aurait dû l’être. Don Laureano lui versait son salaire quand bon lui semblait et lorsqu’il estimait que ce prélèvement sur son capital ne porterait pas atteinte à son négoce… » Une fois remboursée la dette contractée par son ancien patron, il est contraint d’acheter une partie de son équipement auprès du nouveau et sa dette se prolonge ainsi à l’infini. A la foire de Balun Canan, Andrés fait connaissance d’une toute jeune fille, Estrellita, dont il devient amoureux : « chère petite épouse, tu ressembles à une petite étoile, une de ces étoiles qui brillent au firmament. […] C’est toi qui es la petite étoile de mon ciel. La plus belle et la plus chérie. Si j’étais roi et si le destin m’avait désigné pour aller à la conquête d’un nouveau soleil destiné aux hommes, tu serais la première étoile scintillante que je voudrais fixer à mon bouclier… » (un très beau passage, un peu long malheureusement, et que je ne peux citer en entier.) Pendant quelques temps, l’idylle d’Andrés et d’Estrellita va se dérouler sous les meilleurs auspices, jusqu’au jour où le jeune charretier va apprendre une bien terrible nouvelle…
Les livres de Bruno Traven ont été traduits dans plus de trente langues différentes et vendus à plus de vingt-cinq millions d’exemplaires. Son œuvre est pourtant relativement peu connue en France ; les raisons de ce désintérêt relatif ne sont pas tellement claires. L’écrivain ne manque pas d’admirateurs, y compris parmi les « célébrités » : Albert Einstein à qui l’on demandait un jour quel roman il emporterait sur une île déserte répondit : « n’importe lequel, pourvu qu’il soit de Traven ». Quant au Sub Commandante Marcos, l’homme au passe-montagne, je ne doute pas qu’il ait été inspiré par Traven. les deux hommes auraient forcément sympathisé !
NDLR : les sources ayant permis la rédaction de cette chronique sont nombreuses et je ne peux les citer toutes. Pour ceux qui voudraient aller un peu plus loin je propose ce lien sur la toile vers le site « A contretemps » comportant une chronologie assez détaillée. Par ailleurs, un livre intitulé « Insaisissable – Les aventures de B. Traven » vient de paraître aux éditions « L’insomniaque ». Il s’agit d’une traduction des travaux de Rolf Recknagel. Je ne peux vous en dire plus car je ne connais pas l’ouvrage.
One Comment so far...
julio Says:
25 mars 2009 at 18:31.
Vous traité des sujets intéressent et bien expliqué !
Merci de vos explication, sa donne envie de lire est moi qui aime sa !