15 avril 2009
L’empreinte de mes sabots sur l’herbe humide…
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour...; Feuilles vertes .
« L’empreinte, pas l’emprunte », me fera sûrement remarquer Pascaline quand je lui dirai le titre de ma chronique, juste au moment où elle va s’installer devant mon écran, histoire de me donner un coup de pouce, de lustrer un peu l’éclat de mes phrases… Les Ardéchois (et surtout les Ardéchoises) sont impitoyables avec les Magnauds… Fichu accent dauphinois faut dire aussi… Empreinte, emprunte, c’est vrai que c’est un peu ridicule cette ressemblance. Parler de l’argent que l’on a empreinté, ça fait plutôt sourire : empreinte de lièvre qui s’enfuit en courant avec la carotte, ou empreinte de renard qui veut le pactole pour lui tout seul ? Quant aux empruntes que l’on a laissé derrière soi… Le banquier n’aime ni l’un ni l’autre c’est certain… Drôle d’accent où les « un » et les « ein » voisinent dangereusement. Après tout, les méridionaux font bien, eux aussi, une belle salade avec le « o », mais, à cause de Pagnol, on leur pardonne beaucoup de choses sans doute. Il n’en reste pas moins que, moi je n’habite ni au Paul Nord ni au Paul Sud…
En tout cas, l’empreinte de mes pas, ce matin, dans la rosée, pendant que je faisais le tour du propriétaire, je ne la dois à personne et je n’aurai pas à la rembourser. Je ne marche pas à crédit ; je suis certes un peu crédule, sans doute plus cigale que fourmi, mais la vie vaut bien parfois que l’on croque dedans à pleines dents. Il est certains plaisirs que l’on peut s’offrir même lorsque l’on est fauché. Je m’arrête ; je me retourne ; tout mon trajet depuis la maison est encore visible, vert foncé sur vert clair… Mes sabots de jardin ont laissé une longue trace dans l’herbe mouillée par la rosée. C’est un phénomène surtout visible au printemps, quand les températures sont suffisamment clémentes pour que les gouttelettes d’eau que la brume a déposées sur les brins ne soient pas aspirées de suite par la chaleur. Un petit chemin se dirige vers le pêcher ; j’y suis allé pour vérifier l’état des fleurs… Un cheminement un peu incertain, à petits pas hésitants. Quelque chose devait attirer mon attention : les premières trilles d’un rossignol ? Non, c’est trop tôt dans la saison… Je pense que c’était simplement le son des cloches, apporté par le vent jusqu’à mes oreilles. J’ai dû compter, un, deux, six, sept, comme ma petite fille ; une numération encore bien incertaine. Du coup, je ne sais pas s’il est vraiment sept heures, ou si le clocher a égrené ses notes jusqu’à huit. Quelle importance puisque ma journée de travail commencera à l’heure qui me conviendra et se terminera de même.
Le temps est encore indécis : une course est engagée entre la grisaille brumeuse et les timides rayons du soleil. Je ne fais pas de pari ; c’est un tort car je suis à peu près convaincu que c’est le soleil qui va triompher. Vers onze heures, midi, l’issue de la lutte est encore incertaine : lançant ses dernières forces dans la mêlée, il se peut très bien que le soleil n’arrive pas à dissiper le malentendu qui entoure son rayonnement, mais, vers huit heures, si la boule jaune apparaît en transparence derrière le brouillard, c’est plutôt bon signe. Il fera beau, très beau même. Il est rare que je prenne le temps de rêvasser avant de m’activer. Au saut du lit, une ardeur presque intacte m’habite et, après une pause tout aussi rêveuse que philosophique devant ma tasse de thé, j’attaque à bras le corps l’ambitieux programme de journée que je me suis fixé. Je me dis que j’aurai bien le temps de visiter « après », une fois le travail accompli… C’est une promesse que je me tiens rarement : pendant que je m’active, je suis incapable de prendre suffisamment de recul pour juger de mon ouvrage ; quand j’ai terminé, je n’ai pas toujours le courage de contempler. D’autant que pour bien voir ce que l’on a fait, il faut quitter, puis revenir. Deux regards différents, deux attitudes, deux personnages : le manœuvre, puis le touriste. Chaque chose en son temps ! Il me faut revoir, un temps après, un massif de fleurs fraîchement recomposé pour l’apprécier, de même qu’il me faut relire quelques jours, quelques semaines ou quelques mois plus tard, un texte écrit, pour lui trouver un intérêt quelconque. Ecriveur, puis lecteur, deux métiers différents, et non écriveur-lecteur en simultané.
Bien entendu, quand je suis arrivé au fond de ce terrain que j’appelle fièrement « mon parc », la trajectoire que j’ai parcourue fait plus penser au cheminement d’un ivrogne qu’à celui d’un homme d’affaires pressé d’arriver au Palais Brognard avant l’ouverture des marchés. J’ai fait très attention de ne pas piétiner la touffe de marguerites en boutons, je me suis tordu le pied à cause d’un trou de lapin (heureusement que la nature indulgente n’a pas conservé l’empreinte du juron que j’ai prononcé à ce moment-là, car je reconnais l’avoir emprunté à un registre de langage guère civilisé)… La floraison hallucinante du pommetier m’a contraint à en faire au moins trois fois le tour… Je suis revenu sur mes pas car j’avais oublié de comparer la taille de l’araucaria avec la mienne… Une odeur de feu, pas très agréable aux narines, m’a chassé au moment où je m’approchais de la haie séparant mon domaine de celui de mon voisin, le monomaniaque de l’élevage du pigeon. Il a dû encore faire brûler de la paille, pour ne pas dire du fumier. Soit il n’a pas d’odorat, soit l’odeur des pots d’échappement lui manque. Certains campagnards seraient mieux à leur place dans la banlieue de Tokyo ou de Los Angelès. Quand j’ai atteint le point le plus éloigné de la maison, j’ai fait une large boucle qui m’a ramené jusqu’au potager. Il n’y a plus assez d’herbes pour que ma progression soit visible. A ce moment de l’année, les allées sont à peu près propres et le terrain est sec. Aucun indice visible de mon parcours : nul ne saura, à part moi, si j’ai consacré plus de temps aux petits pois qu’aux carottes. Il y a heureusement des endroits qui échappent encore au délire sécuritaire de la vidéo surveillance. L’avion qui a laissé une traînée blanche dans le ciel, il était bien trop pressé pour s’intéresser à mes oignons. Les passagers étaient des hommes d’affaires très occupés : la crise financière est plus importante que la levée de mes graines de poireaux. ils s’occupent de leurs oignons et moi des miens. La seule chose que je leur demanderais volontiers c’est de faire un peu moins de bruit : pour un peu, on dirait que le ciel leur appartient. La buse qui tournait en rond au dessus du grand peuplier d’Italie en a été toute bouleversée. Elle a pris ombrage de cette agression sonore et il me semble maintenant que c’est elle qui vole le plus haut.
C’est trop tôt pour travailler. A cette heure-là, les odeurs de la nuit ne se sont pas toutes endormies et je ne suis pas certain que tous les petits habitants du monde souterrain aient eu le temps de se mettre à l’abri. Le trou sous la vieille souche d’aubépine n’est pas bien grand. Si les fées sont en retard, il doit y avoir bousculade au portillon. Je suis revenu à la maison ; j’ai laissé les sabots ; j’ai repris mes charentaises et je me suis installé devant ma tasse de thé du matin. Je suis monté dans mon bureau ; grâce à un petit geste magique, le ronron de mon ordinateur s’est fait entendre. Je crois que j’ai trouvé comment je vais tourner le début de cette chronique dont j’ai l’idée depuis hier soir. Ça va s’appeler « Belles étoiles dans le ciel cévenol »… C’est l’histoire d’un gars, un écrivain, qui, un jour, a décidé de poser ses pas dans les empreintes laissées par Stevenson non loin du Mont Lozère. Les premiers mots apparaissent sur mon écran. En écrivant cette future chronique, je n’arrête pas de penser à « chemin faisant » de Lacarrière… Je suis content de moi : le voyage n’est pas terminé ; il continuera demain ou après-demain et vous aurez la permission de m’accompagner… A condition, bien sûr, que vous supportiez ma démarche hésitante.
3 Comments so far...
fred Says:
22 avril 2009 at 09:28.
je me permets de laisser un commentaire car ce post n’en possédait pas encore et que je trouvais cela particulièrement injuste ! Et puis c’est également un hommage à la plus belle trace de pied jamais laissé dans ton jardin par un voyageur égaré en pleine nuit à la recherche de sa tente !
Cathy Says:
26 avril 2009 at 10:20.
Je la trouve émouvante, cette photo d’empreintes éphémères sur l’herbe…
Comme des pattes d’oiseaux sur la neige. Nous savons, nous les humains, parfois nous faire légers sur cette terre ! Merci pour ton blog, c’est toujours un plaisir de venir faire un petit voyage chez toi, et de pouvoir ainsi partager colères et beautés.
Et aussi d’avoir parlé d’Abel Paz, ce vieil irréductible que j’ai eu le plaisir d’écouter « en vrai », une petite fois.
Eric Poindron Says:
29 avril 2009 at 09:06.
Que de points communs, nous avons, cher Oncle. l’hermite de Harmas, avec saint François d’Assise et Buffon (et beaucoup d’autres je dois l’avouer) fait partie de ma sainte Trinité.
Votre bel endroit est toujours aussi bien tenu !
Avec mes amitiés voyageuses
Eric Poindron