10 mai 2009

Un éminent naturaliste français : le père David

Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; Sciences et techniques dans les temps anciens .

portrait-armand_david Les arbres que nous avons plantés dans notre parc sont pour nous l’occasion de voyages virtuels relativement peu onéreux : du Parrotie de Perse au chêne du Liban en passant par l’Araucaria du Chili, ce singulier conifère auquel je ferai bientôt l’honneur d’une chronique complète ; je crois bien qu’au moins trois de nos continents sont représentés, si ce n’est quatre. Il reste l’Afrique pour laquelle j’ai un doute. Il faut dire que mes tentatives pour maintenir en vie un baobab dans un pot n’ont pas été couronnées de succès à ce jour. Certains arbres ont même la particularité non seulement de nous faire découvrir un pays mais de nous faire rencontrer de singuliers personnages : en général, les botanistes qui les ont découverts et dont ils portent le nom. Nous avons ainsi un « érable de David » que le Révérend Père avait identifié en Chine à l’origine. Ne connaissant ce religieux que de nom, j’ai décidé de faire quelques recherches à son sujet dans les bouquins de botanique ainsi que sur les sites dédiés rencontrés au hasard de mes déambulations sur la toile. Je me suis aperçu que les découvertes de cet explorateur n’étaient pas minimes et que nous lui devions d’autres végétaux ornant maintenant les parcs. J’avoue sans grand peine n’avoir que peu de sympathie pour les missionnaires partis dans les pays lointains convertir de pauvres innocents, mais lorsque ces mêmes personnes laissent en paix les autochtones pour se livrer à des travaux de cartographie, de botanique ou de zoologie, elles attirent un peu plus ma sympathie. Je dois dire aussi que la photo la plus célèbre dont on dispose du Père David, les cheveux noués en une longue tresse dans le dos à la façon des coolies, m’a plutôt amusé et a excité ma curiosité. Je vais donc vous faire part de mes quelques trouvailles. Cela sera l’occasion aussi de montrer qu’en matière d’histoire des sciences, je ne m’intéresse pas qu’aux savants arabes d’Al Andalous ou aux savants marginalisés à cause de leurs opinions politiques « mal orientées » !

pere_david_01 Le Père Armand David est d’origine basque ; il est né à Espelette (le pays du piment), le 27 septembre 1826. Je ne m’attarderai que peu sur son engagement religieux qui n’est pas mon centre d’intérêt principal. Il est assez courant, au XIXème siècle, que les enfants les plus jeunes des familles bourgeoises soit orientés dans cette direction. A l’âge de 22 ans, il rentre à la congrégation de la Mission (Lazariste) et il est ordonné prêtre en 1862. Parallèlement à ses études religieuses, il acquiert une solide formation naturaliste, à la fois dans le domaine de la botanique et de la zoologie. Bien que contemporain de Jean-Henri Fabre, leurs vies sont fort dissemblables même si l’on peut établir quelques points de comparaison dans leurs travaux. L’un est enseignant laïc pendant une partie de sa vie, l’autre missionnaire de l’église catholique… Dans un premier temps, Jean-Pierre Armand David est nommé professeur au collège de Savone en Italie. Il est très apprécié comme enseignant, notamment parce qu’il sait communiquer à ses élèves son enthousiasme pour les « choses de la nature ». Ses talents d’observateur et de chercheur dépassent largement les murs du collège et, lorsque son retour en France est connu, plusieurs de ses collègues scientifiques insistent auprès de sa hiérarchie pour que lui soit confiée une mission de collecteur de « trésors » pour le compte du Muséum d’Histoire Naturelle. En 1872, Armand David est envoyé en Chine, plus précisément à Pékin, par sa congrégation. Il est nommé directeur d’une école religieuse mais il est aussi autorisé à poursuivre ses expéditions dans la nature en vue de rassembler un maximum d’objets curieux : fossiles, roches, plantes, animaux empaillés… N’oublions pas que nous sommes en pleine période d’expansion des « cabinets de curiosité » dont la mode a démarré au siècle précédent. Il est de bon ton dans la « haute société », au siècle des « Lumières » de s’intéresser aux étrangetés du monde. Au XIXème siècle, ce sont surtout les bibliothèques, les établissements d’enseignement et les musées qui tiennent à accumuler des collections de « curiosités » les plus diverses. Les pièces les plus précieuses de sa collection sont rapatriées en France et les vœux de ses collègues sont exaucés : tous ces trésors viennent enrichir notamment les vitrines du Museum d’Histoire Naturelle de Paris. Ce que ses mandataires apprécient particulièrement c’est la qualité des notices descriptives qui accompagnent chaque spécimen, qu’il s’agisse de fossiles, de plantes ou de squelettes.

grand-panda Le père David consacre de plus en plus de temps à ses travaux d’exploration. Au début, ses sorties se limitent aux environs de Pékin. Bientôt les professeurs-administrateurs du Muséum réussissent à convaincre le Supérieur-général des Lazaristes qu’il soit dispensé de tout ministère apostolique – sans avoir pour autant à négliger ses devoirs religieux – afin de consacrer la totalité de son temps à des explorations et à des recherches scientifiques. Les frais de ces travaux seront pris en charge par le Ministère de l’Instruction Publique. En 1866, pour sa première longue expédition, il se rend dans le Sud de la Mongolie. On trouve les notes suivantes dans son journal de voyage en date du 13 mars 1866 : « Il fera froid encore deux mois en Mongolie,  des vêtements chauds convenant à un hiver rigoureux sont donc indispensables de même qu’une tenue d’été pour la belle saison qui est ici très chaude. Il est impératif également de prévoir du matériel de couchage. Ajouter tout ce qui est indispensable pour la chasse ainsi que pour la préservation des trouvailles d’histoire naturelle collectées, le matériel pour la taxidermie et la conservation des plantes, des boites de toute taille ainsi que des bouteilles vides… Cela va sans dire que je n’oublie pas non plus mon origine religieuse… ». Ce voyage en Mongolie sera surtout riche en découvertes botaniques. Pendant l’hiver 1868-1869, il repart pour une nouvelle expédition à Moupin, à la frontière du Tibet. C’est lors de ce voyage qu’il va découvrir notamment le grand panda, pendant qu’il séjourne au poste missionnaire de Tchentou dans la province occidentale du Setchouan. Les gens du village racontent que dans les montagnes avoisinantes on peut observer un ours blanc un peu particulier. Voici l’un des récits qui est fait de sa découverte : « Après un pénible voyage à travers les montagnes, le Père David arriva le 1er mars 1869 à Moupin et se mit aussitôt à explorer les environs à la recherche de ces trésors du monde végétal et animal. Le 11 mars, comme il rentrait au soir d’une journée passée dans les montagnes, il fut invité chez un fermier du nom de Li; là, dans la chambre où il fut logé, il remarque aussitôt une peau de ce fameux ours blanc qui, à la vérité, n’était pas totalement blanc, mais blanc et noir. La joie du Père David ne connut plus de bornes quand les chasseurs promirent de lui ramener un spécimen. Ils partirent sur le champ et, le 23, revinrent avec un jeune panda géant qu’ils avaient capturé vivant, mais qu’ensuite, ils avaient dû tuer pour faciliter son transport. » Ce n’est cependant pas Armand David qui publiera la description de l’animal, mais le professeur Alphonse Milne-Edwards, à Paris. De cette seconde expédition, sans doute la plus importante sur le plan scientifique, le révérend père rapportera par exemple plus de 1500 specimens de plantes séchées différentes inconnues ou méconnues en Europe.

fleurs-arbre-a-mouchoirs Il revient en France en 1870 puis retourne en Chine deux années plus tard pour une dernière expédition. Grand admirateur des beautés et des richesses de la nature, le Père David déplore les dommages qui lui sont (déjà !) causés. Voici ce qu’il écrit dans le compte-rendu de son troisième voyage : « On se sent malheureux de la rapidité avec laquelle progresse la destruction de ces forêts primitives, dont il ne reste plus que des lambeaux dans toute la Chine, et qui ne seront jamais plus remplacées. Avec les grands arbres disparaissent une multitude d’arbustes et d’autres plantes qui ne peuvent se propager qu’à leur ombre, ainsi que tous les animaux petits et grands, qui auraient besoin de forêts pour vivre et perpétuer leur espèce… Et, malheureusement, ce que les Chinois font chez eux, d’autres le font ailleurs ! » Un peu plus loin dans le même texte, on trouve les propos suivants : « Une préoccupation égoïste et aveugle des intérêts matériels nous porte à réduire en une prosaïque ferme ce Cosmos si merveilleux pour qui sait le contempler ! Bientôt le cheval et le porc d’un côté, et de l’autre le blé et la pomme de terre vont remplacer partout ces centaines, ces milliers de créatures animales et végétales que Dieu avait fait sortir du néant pour vivre avec nous; elles ont droit à la vie, et nous allons les anéantir sans retour, en leur rendant l’existence impossible. » Un écologiste avant l’heure ? Peut-être bien… Un sage, contemplateur de la nature certainement… Parmi les découvertes que nous lui devons et que je n’ai pas encore mentionnées, signalons, en ce qui concerne les végétaux, le buddléia qui fleurit dans nombre de nos haies, le singulier « arbre aux mouchoirs » (davidia involucrata), ainsi que plusieurs sortes de viornes ; dans le monde animal, à part le panda, il a répertorié une espèce particulière de cervidés, le cerf de David, un animal majestueux.  Les noms latins des plantes conservent souvent le nom de leur découvreur : tous les noms contenant « davidii » désignent des espèces végétales découvertes par Armand David. Le viburnum davidii est ainsi une plante de la famille des viornes découvertes en Chine par cet explorateur. D’autres collecteurs de merveilles naturelles vont arpenter la Chine à la même époque que lui. Citons notamment le britannique Augustine Henry, médecin officier dans les services de douanes maritimes chinoises, qui va enrichir les collections de l’herbarium du jardin botanique Royal de Kew (Londres).

armanddavid Armand David rentre définitivement en France en 1874. Sa santé lui cause quelques soucis sérieux. mais sa nature robuste et une vie un peu plus calme vont lui permettre de reprendre le dessus. Il consacre l’essentiel de son temps au classement de ses notes ainsi qu’à la publication de plusieurs brochures. Il est cependant assez avare de révélations sur lui-même et les détails de sa vie personnelle sont sans doute moins connus que la biographie de Jean-Henri Fabre, auteur d’une multitude d’ouvrages. Le Père David ne possède pas les mêmes talents littéraires. Il meurt le 10 novembre 1900 à Paris.

Notes : non, vous n’avez pas la berlue, c’est bien le même « Père David » qui figure sur les illustrations 1, 2 et 5… Comme quoi, l’habit peut changer le moine ! Les fleurs étranges de l’illustration n°4 sont celles du davidia involucrata, à savoir le très singulier « arbre à mouchoirs », qui pousse sous nos latitudes mais dans des conditions climatiques relativement privilégiées…

8 Comments so far...

Lucienne Cluytens Says:

11 mai 2009 at 18:21.

Oncle Paul, tu es le champion des redécouvreurs d’inconnus illustres. Continue sur ta lancée, je m’instruis.
Suite à une conversation au sujet du philosophe Michel Onfray que tu boudes, je te signale que lui aussi remet en lumières des philosophes qui ont été délibérément écartés de l’enseignement officiel (pour raisons de philosophes politiquement incorrects) Et pourtant, ils faisaient autorité à leur époque.
Lulu

zoë lucider Says:

13 mai 2009 at 16:02.

Paul, j’ai chez moi un arbre dont j’ai totalement oublié le nom et qui est actuellement dans toute sa splendeur. Est-ce que si je l’inclus sur mon site vous me feriez l’amabilité de me dire si vous le connaissez et dans ce cas son nom.
J’aime beaucoup l’arbre à mouchoirs, le panda est un animal qui m’émeut et vos chroniques toujours d’une grande richesse.

Paul Says:

13 mai 2009 at 16:28.

Pour l’identifier, il faudrait une vue d’ensemble (silhouette) et une vue de détail (feuille ou extrémité de branche). En cette saison c’est plus facile qu’en hiver ! Pas de problème pour que les photos apparaissent sur l’arbre à palabres : j’y passe tous les jours ou presque faire mon petit tour. D’autant que les photos illustrant les billets sont splendides et dénotent un talent certain pour la photographie !
Merci pour cette gentillesse qui me va droit au cœur ! Certaines chroniques me demandent un sacré travail au préalable pour rassembler la doc nécessaire. L’internet magique ne fait pas tout loin de là !

Darraidou André Says:

23 mai 2009 at 08:38.

J’ai bien aimé votre jolie présentation du Père David. Je suis d’Espelette, et jeune retraité, je m’intéresse de plus en plus au Père David. Nous sommes en train dans le village d’Espelette d’aménager un arboretum qui sera planté de « davidii » répertorié par le Père David en Chine. A ce jour nous avons une douzaine de variété, et nous en cherchons d’autres qui ont nom :
« actinidia davidii » « castanea davidii » « keteleria davidiana » lathyrus davidii » « lilium davidii » « persica davidiana »  » prunus davidii » ulmus davidiana ». Les amoureux de plantes qui connaissent les filons pour trouver ces plantes seront bien accueillis. Merci

Paul Says:

23 mai 2009 at 09:38.

J’espère que quelqu’un sera en mesure de répondre à votre demande. Personnellement, je ne possède pas ces plantes, maisil y a énormément de botanistes collectionneurs… Bravo en tout cas à l’équipe de bénévoles qui s’est investie sur ce projet d’arboretum. Il faudra qu’on aille faire un tour à Espelette un de ces jours !

COLOMBEL Says:

29 janvier 2010 at 16:21.

Bonjour,
dans le cadre d’une Conférence sur le rhododendron et les missionnaires français je recherche des photos du Père David dont la taille permettrait une projection.

Merci pour votre collaboration,
Marc Colombel

Paul Says:

29 janvier 2010 at 17:31.

Je ne suis pas en mesure de vous renseigner. Je sais que les photos du Père David sont peu courantes et rarement d’une qualité permettant l’agrandissement. Dans les commentaires précédents, un habitant d’Espelette parlait de la volonté qu’avait une association de mettre en place un arboretum dédié aux découvertes botaniques de ce personnage singulier. Peut-être trouverez-vous des pistes du côté de la mairie ou de l’office du tourisme d’Espelette ? C’est la seule idée qui me vienne à l’esprit pour l’instant.

COLOMBEL Says:

20 février 2010 at 12:22.

Merci,

J’ai reçu une photo de la plaque commémorative apposée sur la maison natale du Père David de la part de l’Office du tourisme d’Espelette.
J’ai bien deux photos qui sont « archi-connues » mais je sais qu’il en existe d’autres et ce sont celles que je recherche.

Merci pour votre aide.

Marc Colombel

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