18 mai 2009

L’araucaria, l’arbre des Pehuenches

Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres .

De la vie d’un arbre à celle d’un peuple

araucaria-araucana Cela fait un certain temps que je vous ai annoncé mon intention d’écrire une chronique sur l’araucaria du Chili, un arbre que je trouve à la fois très singulier et très attirant. Son nom botanique est araucaria araucana. Dans son pays d’origine (basse Cordillère à la limite du centre Sud du Chili et de l’Argentine), il s’appelle pehuén et il a donné son nom à une tribu Mapuche (l’occasion d’aller relire le bref article que j’ai consacré l’an dernier aux misères de ce peuple), les Pehuenches. Pendant l’hiver, les graines de l’araucaria constituaient la réserve alimentaire de base de ces Amérindiens, ce qui explique le fait que la tribu soit dénommée « gens de l’araucaria ». Les Pehuenches parlent la même langue que leurs voisins Mapuche, le Mapudungun. Avec les graines de l’araucaria, semblables à celles du pin pignon, les indigènes fabriquaient la farine qui servait à faire du pain, ainsi qu’une boisson fermentée. Ces usages ont été perdus, le blé et le vin remplaçant cet ingrédient rustique. Les  graines de l’arbre auraient été rapportées une première fois en  Angleterre, en 1795, par le botaniste Menzies. Celui-ci les aurait plantées dans son jardin. Une trentaine d’années plus tard, l’un de ses visiteurs, botaniste émérite également, aurait prononcé cette phrase : « grimper sur cet arbre a de quoi rendre un singe perplexe ! » C’est de cet incident que l’araucaria araucana aurait tiré son surnom original de « désespoir des singes ». Notre homme aurait dû savoir que sa remarque était peu adaptée car il n’y a pas de singes au Chili. Comme quoi, on peut avoir des connaissances en botanique mais ne pas être un zoologiste compétent ! De nombreuses versions de cette histoire circulent quant à l’origine de l’appellation européenne de l’arbre ou à la manière dont Menzies s’est procuré les graines. Ce qui est certain c’est que l’araucaria a attiré les convoitises de nombreux collectionneurs et, dès le milieu du XIXème siècle, il a été planté un peu partout en Angleterre et sur le continent. L’une des plantations les plus spectaculaires est « l’avenue Monkey Puzzle » dans une grande propriété non loin de la ville d’Exeter, abritant un collège agricole. Une large allée, bordée d’araucarias majestueux, conduit le visiteur du portail d’entrée jusqu’aux bâtiments. Les arbres ont plus d’un siècle et demi d’âge. Ils ont été plantés par le botaniste William Lobb en 1844. Les troncs sont énormes et ressemblent à des pattes d’éléphant. Un très beau reportage sur le sujet, accompagné de photos magnifiques, figure dans le livre de Rudolf Wittmann « Terre des arbres ». En tout cas, le surnom donné à l’araucaria par les Européens était amusant et il a été conservé, à la grande surprise des Chiliens qui n’en connaissent pas toujours l’origine ! En tout cas, un tel arbre ne pouvait manquer d’aiguillonner ma curiosité. Nous en avons planté un il y a quelques années, et le climat du Bas-Dauphiné semble lui convenir parfaitement. Depuis que j’en ai un spécimen sous les yeux, je me suis amusé à observer ses particularités et divers ouvrages de botanique m’ont permis de compléter ce que j’ai découvert à son sujet.

araucaria-araucana-cime L’araucaria pousse principalement dans la province de l’Arauca au Chili, ainsi qu’en Argentine et dans le Sud du Brésil. L’espèce est très ancienne et, à défaut de les protéger des singes, il est fort probable que les feuilles agressives ont permis à l’arbre de se protéger de la voracité des dinosaures. Comme le Ginkgo Biloba (l’arbre aux mille écus) et diverses autres créatures végétales, cette plante est donc un anachronisme dans notre monde contemporain puisqu’elle n’a pas connu l’évolution qui a marqué la plupart des autres végétaux de la préhistoire. Les araucariacées sont une famille primitive comportant deux genres et une trentaine d’espèces, toutes originaires de l’hémisphère Sud. Parmi les proches cousins du « désespoir des singes », il y a le Pin kauri de Nouvelle-Zélande, le Pin de Paraña du Brésil ou le Bunya-bunya du Queensland (et non de l’Auvergne !). L’araucaria du Chili est le seul qui s’adapte sans trop de peine aux hivers de l’Europe de l’Ouest. S’il peut vivre plusieurs centaines d’années, et devenir sans doute millénaire, son développement initial est lent et plutôt surprenant car très géométrique. Le bourgeon terminal donne cinq terminaisons chaque année : la tige principale et quatre branches latérales. Chacune de ces branches se divise à son tour en trois dans un premier temps, puis en deux, en ce qui concerne les rameaux latéraux. Pendant sa jeunesse et au début de son âge adulte, l’arbre a une forme pyramidale puis son tronc perd progressivement les branches basses et, lorsqu’il atteint une hauteur conséquente, sa forme évolue progressivement vers celles d’un parasol, comme pour les pins méridionaux. L’araucaria pousse assez facilement sous nos latitudes. Il résiste à des températures négatives relativement basses (aux alentours de – 20°) sous réserve que le sol lui convienne. Il est habitué aux rigueurs climatiques de la Cordillère andine et les périodes de sécheresse estivale ne le perturbent pas non plus. Mais attention, malgré son apparence, il ne s’agit nullement d’une plante adaptée au désert ! Sous nos latitudes, l’araucaria atteint une hauteur de 25 à 30 m. Dans son territoire d’origine, il est beaucoup plus impressionnant et peut mesurer jusqu’à 50 m.

graines-daraucaria L’écorce, de couleur gris-brun, est épaisse et semble formée d’écailles superposées comme sur le dos d’un reptile. Les feuilles sont disposées de façon hélicoïdale, occupant toute la longueur de la branche. Elles sont épaisses également, coriaces, ont la forme d’un triangle, une couleur vert foncé brillante et une durée de vie d’une douzaine d’années. Inutile de préciser qu’elles ne sont comestibles pour aucun animal ! Le piquant dont elles sont munies découragerait par ailleurs le prédateur le plus vindicatif.  Les fleurs mâles ont la forme d’un cylindre d’une dizaine de centimètres de longueur et les fleurs femelles, de la taille d’une noix, se forment à l’extrémité des rameaux. Fleurs mâles et femelles ne poussent pas sur le même arbre. Comme je l’ai indiqué plus haut, seuls les fruits présentent un intérêt sur le plan alimentaire. Ce sont des cônes dressés, bruns, mesurant 12 à 18 cm de diamètre. Lorsqu’ils sont mûrs, ces cônes se désarticulent et tombent en libérant les graines. Seul l’axe du cône reste un temps accroché à la branche. Les graines ont la saveur des pignons du pin. ils peuvent se consommer frais ou grillés. Leur forte teneur en amidon permet d’en tirer une farine parfaitement utilisable pour faire du pain en galettes. Les Pehuenches ont longtemps utilisé ces graines pour leur alimentation.

manifestation-peuple-pehuen Le lien entre l’araucaria et les Pehuenches est si fort que je ne peux terminer cet article sans parler plus longuement de ce peuple. Il y a belle lurette que, dans mon esprit au moins, les frontières entre botanique, histoire,  et ethnologie se sont estompées. J’ai une grande admiration pour ces savants des temps anciens qui étaient, en même temps, mathématiciens, physiciens, médecins, historiens et… philosophes… Comme pour beaucoup de peuples autochtones, la confrontation entre les Pehuenches et le monde dit « moderne et civilisé » a été brutale. S’ils ont été le seul peuple (avec leurs voisins mapuches) à résister pendant trois siècles aux conquérants espagnols, leur survie et leur culture sont de nos jours largement menacées. Ils ont, au fil du temps, abandonné les terres les plus basses pour se réfugier sur les pentes boisées et peu hospitalières de la Cordillère. Ce milieu de vie, particulièrement difficile, a échappé pendant des siècles à la convoitise et au besoin d’expansion incessant de leurs voisins blancs. Depuis quelques années, mêmes ces zones inhospitalières dans lesquelles ils ont établi leur habitat peuvent devenir source de profit. On n’hésite plus à utiliser tout l’arsenal juridique et policier disponible dans les « démocraties » pour déposséder les peuples de leurs derniers biens : leurs terres et leur culture. La population des Pehuenches est réduite à quelques milliers d’individus. Ils sont regroupés dans quatre grandes communautés le long du rio Queuco : Piltril, Cauñicu, Maya-maya et Trapa-trapa. Cette peuplade amérindienne, comme d’autres, vit et pense à contre-courant. Sa culture est communautaire et son mode de vie construit sur l’harmonie avec la nature. Les villages installés au plus bas de la vallée du Queuco sont menacés par la réalisation d’un énorme projet hydroélectrique, incluant la construction de sept barrages dans les vallées. Depuis quelques années la compagnie électrique Endesa, dont les Espagnols sont les principaux actionnaires, exerce de multiples pressions pour que son projet « hautement profitable à l’ensemble de la communauté » se réalise dans la zone de l’Alto Bio bio. Les agissements des dirigeants de cette compagnie sont loin de respecter une quelconque règle démocratique : corruption, menaces, assassinats, pressions en tous genres contre les opposants sont monnaie courante dans la région. Toutes les propositions de relogement qui ont été faites jusqu’à présent, repoussent sans cesse les populations plus haut vers les sommets, sur des terres encore moins fertiles, dans des zones encore plus difficiles à habiter. Il s’agit encore une fois d’un échange à sens unique : un peu plus de profits pour les industriels, une plus grande misère pour les autochtones. Les luttes de ces derniers (et en particulier la résistance exceptionnelle qu’ont opposée les femmes indiennes) ont permis de freiner un peu les ambitions du groupe industriel, mais, d’ores et déjà deux barrages sur les sept prévus ont été construits, transformant le paysage de façon irréversible. Il semble que, pour l’instant, la poursuite des travaux soit interrompue, mais la vigilance s’impose…

femmes-pehuenches Ce drame se joue à l’ombre des grandes forêts d’araucaria, l’arbre sacré. Viendra le jour où les grandes zones boisées qui ne seront pas inondées seront à leur tour livrées aux coupes réglées pour le bois d’œuvre ou la papeterie. Par chance, le bois d’araucaria ne possède pas de qualités exceptionnelles et les conditions de travail difficiles dans la Cordillère rendent son exploitation peu rentable. Il ne connaîtra sans doute pas l’exploitation intensive qui a frappé les forêts où poussent ses cousins le Pin de Paraña ou le Pin de Norfolk. Le bois de l’araucaria est un bois blanc jaune, plutôt médiocre et assez difficile à faire sécher. Il n’est utilisé semble-t-il que sur le plan local. Ce que je vous ai raconté aujourd’hui vous intéresse, et vous décidez d’aller un peu plus loin ? Voici un certain nombre de sources documentaires intéressantes. Il y a d’abord un livre pour enfants intitulé « Pehuen (Araucaria araucana), l’arbre d’un peuple » aux éditions « les deux Océans ». L’auteure se nomme Danièle Ball-Simon et elle a été attirée au Chili par l’araucaria, puis fascinée par le mode de vie des Pehuenches. Un extrait de l’introduction donne une idée du style, très poétique, dans lequel l’ouvrage est rédigé :

« Je suis un arbre millénaire,
témoin de ce monde éphémère
en perpétuelle mutation,
rescapé des cataclysmes,
enfant-roi des volcans
et des cimes enneigées,
mère nourricière d’un peuple humain,
pont vertical entre le visible et l’invisible,
trait d’union entre l’immanent
et le transcendant.

Je m’appelle Pehuen,
ou encore Araucaria araucana.
Et voici mon histoire… »

Pour adultes maintenant, bon nombre d’informations concernant les Pehuenches et leurs démêlés avec le monde moderne peuvent se trouver sur le site de soutien au peuple mapuche (mapuche.org). A lire en particulier, le texte d’Alain Devalpo : Por la razon o la fuerza. Les photos 1 et 3 proviennent du site Taringa.net (auteur inconnu). A cette adresse (Taringa.net), à condition de lire l’espagnol, vous pourrez découvrir des informations intéressantes sur l’araucaria et lire, à son sujet, une légende des Pehuenches. Il faut signaler que les informations en français sur cet arbre ne sont pas abondantes. Les photos 4 et 5 sont empruntées à mapuche.org quant à la deuxième illustration, c’est un cliché maison.

Maintenant qu’on est en Amérique du Sud, je crois bien que l’on va y rester pour la prochaine chronique !

3 Comments so far...

zoë lucider Says:

18 mai 2009 at 09:43.

Bonjour Paul. Intéressante chronique un arbre / un peuple. Avez vous vu le très beau film La terre des hommes rouges de Marco Bechis. Il a eu une sortie plutôt confidentielle (Utopia). Hélas le géncide pour les Indiens se sera étiré dans le temps mais il perdure, sous d’autres formes certes mais tout aussi pernicieuses. Je vous ai dédié avec quelques autres la chronique de VDB de ce dimanche. Bonne journée

Paul Says:

18 mai 2009 at 11:58.

Merci Zoë. Je sais qu’il existe un film documentaire sur la lutte des Pehuenches mais je ne connais pas le film « la terre des hommes » dont vous parlez. Quand est-il sorti ? Est-il disponible en DVD ? Toutes précisions seraient les bienvenues. Chez nous les films qui ne sont pas des « blockbusters » font une brève apparition, un petit tour et puis s’en vont. Il faut avoir le réflexe rapide et l’envie de faire 20 km pour les voir. Encore l’offre est-elle restreinte, la catégorie art et essais ou documentaires se limitant à des films dont on parle dans la presse et dont la diffusion n’est pas trop confidentielle ; l’un des revers de la médaille « vie rurale » mais il y a tellement d’avers !

Vinosse Says:

18 mai 2009 at 19:25.

Il existe de très beaux spécimens dans le Sud-Ouest, en Béarn, au Pays Basque…

Je l’adore quand son tronc est dénudé, que ses rameaux font le parasol…

Le mien pousse vertement, sur un talus argileux et pour l’instant ça va…

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