25 janvier 2008
« Votre argent nous intéresse… »
Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour .
« Votre argent nous intéresse » proclamait il y a quelques années de cela une campagne publicitaire de la Société Générale. On comprend pourquoi ! Cette banque a annoncé hier matin avoir perdu, en 2007, sept milliards d’euro : deux milliards d’euro (comme beaucoup de ses consœurs) dans l’affaire des « subprime » (crédits immobiliers vérolés aux US) et cinq milliards suite aux manipulations, un peu frauduleuses et surtout très maladroites, d’un « trader » (un gugusse chargé de placer et surtout de déplacer des fonds sur les marchés boursiers internationaux). Cinq milliards d’euro, il a fait fort le pingouin ! Comme ce n’est pas une somme que nous avons l’habitude de manipuler tous les jours, ce n’est pas très parlant, voici quelques comparaisons que nous autres, communs des mortels, arrivons mieux à percevoir. Sachant qu’un instit coûte 50 000 euro en moyenne à l’Etat chaque année (salaire et charges), 5 milliards d’euro ça représente le salaire annuel de 100 000 fonctionnaires inutiles supplémentaires au Ministère de l’Education. Ça représente aussi un douzième du PIB d’un pays comme le Pérou. Je vous ferai grâce du nombre de repas que l’on pourrait servir avec cette somme et je tempèrerai mon propos en disant que, comparé à ce que coûte la guerre en Irak, c’est de la pacotille !
Notre ministre de l’Economie, l’inénarrable Christine Lagarde, a déclaré (comme d’habitude) que ce n’était pas grave et que cela n’aurait aucune incidence sur rien du tout. J’imagine un peu la tête des actionnaires si l’on avait exigé de la Société Générale le paiement d’un impôt exceptionnel de solidarité de 7 milliards d’euro, pour revaloriser les salaires de la Fonction Publique ! Les susdits actionnaires vont d’ailleurs être appelés à mettre la main à la poche car il va bien falloir boucher le trou. Ils répondront favorablement c’est certain, même si c’est en tordant le nez, car la Société Générale est une banque qui rapporte (comme toutes les banques, sauf celles qui ont fait vraiment n’importe quoi en 2007). Malgré ces pertes spectaculaires découvertes dans la comptabilité, le résultat financier 2007 reste encore positif. On calmera les actionnaires en faisant quelques saignées dans les charges de personnel : on trouvera bien quelques volontaires pour un reclassement à l’ANPE ou un départ en retraite anticipée aux frais de la princesse… Les clients aussi seront invités à faire « un petit geste », mais à eux non plus, on ne demandera sans doute pas leur avis. On leur vendra pour quelques euro de plus tous les mois une quelconque « convention de compte », permettant quelques centaines d’euro de découvert avec des agios entre 15 et 20%, une assurance clés-papiers égarés et caniche écrasé. L’Etat aussi est actionnaire de la Société Générale, à hauteur de 2% environ, par le biais de la Caisse des dépôts et consignation. Peut-être pourrait-il augmenter sa participation, permettant ainsi aux contribuables que nous sommes de laisser quelques plumes dans cette opération ? Depuis notamment le scandale du Crédit Lyonnais en 1992 – son ampleur exacte n’a jamais été vraiment communiquée à l’opinion publique – nous avons l’habitude de mettre la main au porte-monnaie pour les grandes causes nationales.
Notons quand même la grandeur d’âme (à défaut de compétence) des dirigeants. Monsieur Daniel Bouton, bien qu’il assure n’avoir eu aucune connaissance des malversations, a proposé sa démission (qui n’a pas été acceptée) puis a annoncé que, pour aider la banque, les dirigeants ne toucheraient plus de salaire jusqu’au mois de juin (de cette année). Je ne connais pas le salaire des dirigeants de cette banque mais si leur « acte de générosité » bouche une partie du trou c’est qu’il doit être conséquent ! Les représentants syndicaux l’ont un peu en travers du gosier et on les comprend. Lors d’une affaire similaire de détournement d’argent par un trader qui avait eu lieu dans une banque à Taïwan, Monsieur Bouton avait tenu à les rassurer en leur affirmant qu’un tel processus était impossible à réaliser à la Société Générale, compte-tenu des différents systèmes de sécurité mis en place. Là aussi, depuis le nuage de Tchernobyl, on est habitués aux catastrophes qui ne peuvent arriver que chez les autres… La naïveté de certains me laisse pantois.
Notre habile manipulateur (il paraît qu’il se nomme Jérôme Kerviel – même pas un nom de métèque, désolé Mr Hortefeux) a battu le record de son prédécesseur taïwanais, Nick Leeson, qui n’avait escroqué la banque Barings que de 1,2 milliards d’euro. Il a donc fait quatre fois mieux. Autre différence notable, il semblerait que notre recordman n’ait pas agi dans son intérêt personnel contrairement à Nick Leeson. Mais là il est un peu tôt pour s’engager. Les avis divergent quant à savoir si notre challenger a pu agir vraiment seul, sans qu’aucun de ses supérieurs ne soit au courant. La direction générale de la banque explique que Jérôme Kerviel possédait « une connaissance approfondie des procédures de contrôle », ce qui « lui a permis de dissimuler ses positions grâce à un montage élaboré de transactions fictives ». Mais peut-être n’est-il après tout que le fusible bien commode que l’on va faire sauter pour excuser les dysfonctionnements d’un secteur complet de la société bancaire. En attendant, un certain nombre de ses chefs ont été mis à pied. Une enquête (sérieuse) va être menée mais ses résultats ne nous seront sans doute pas tous communiqués, au nom du secret bancaire et de l’intérêt général…
On baigne en pleine réalité virtuelle… Ces gens qui, à partir d’un clavier d’ordinateur, manipulent des milliards d’euro ou de dollars, font et défont les économies de certaines entreprises ou de certains pays, jouent avec la vie de milliers d’employés… me laissent rêveur. Ils me font penser à ces pilotes de bombardier qui, grâce à leurs jeux vidéos embarqués, raient de la carte usines, immeubles et hôpitaux. De leurs cockpits, à dix mille pieds de haut, ils ne voient que des traits lumineux et de beaux feux d’artifice. Sur un écran d’ordinateur, le monde n’est pas grand chose et l’être humain n’est qu’un pantin ridicule…
Une anecdote pour finir… Dans les années 80, la Caisse d’Epargne avait fait une grande campagne publicitaire sur les murs de Grenoble. Le slogan était « Ceux qui connaissent bien la Caisse d’Epargne en profitent bien ». Quelques temps après l’apparition des panneaux, une bande de petits malins avait remplacé très habilement les mots « la Caisse d’Epargne » par « la connerie humaine ». Le résultat était très seyant, mais les agences de pub ou les banquiers (?) n’ayant pas le sens de l’humour, les affiches avaient disparu en quelques heures. Aucun rapport avec les faits relatés précédemment, bien sûr !
7 Comments so far...
fred Says:
25 janvier 2008 at 10:01.
Avec un peu de bol, on aura droit à l’adaptation cinématographique du cas « Jérôme Kerviel ». Pour celui de « Nick Leeson » c’est l’acteur Ewan Mc Gregor qui tenait le rôle. Je proposerais bien Samuel Le BIHAN pour le rôle du gars Jérôme …
Le plus dingue quand même dans cette histoire, c’est que la Société Générale reste bénéficiaire sur l’année ! ça en dit long non ? Et dire qu’on nous martyrise pour des découverts de 200 € …
A ce propos, je vous conseille de regarder l’excellente série « SCALP » qui passe sur Canal +, qui parle du monde la Bourse dans les années 90 … C’est édifiant !
Lavande Says:
25 janvier 2008 at 17:40.
Ce monsieur a fait un master en finances de marchés à l’université de Lyon-II !!!!!
Qui a dit que les universités étaient à la traîne question efficacité?
Si les inscriptions ne triplent pas l’an prochain!
François Says:
26 janvier 2008 at 10:59.
En Suisse, la culture de la démission pour incompétence est assez peu développée. L’UBS, première banque de Suisse et une des plus grandes au monde, a annoncé récemment des pertes d’environ 6 milliards d’euros à cause de la crise des « subprimes » aux US. Le PDG n’a pas cru bon de reconnaître ses torts en s’arrachant avec son parachute doré.
A part ça, je viens de lire un article sur les produits dérivés, ces instruments financiers complexes qui ont permis, entre autres, la crise des subprimes. Figurez-vous que le montant total des produits dérivés cotés en bourse équivaut à 8 fois le PIB mondial! Et la valeur totale des transactions annuelles sur ce marché équivaut à 30 fois le PIB mondial. C’est complètement démesuré et ça montre bien à quel point l’économie boursière est déconnectée de l’économie réelle.
Dire que ça fait froid dans le dos est un doux euphémisme…
Paul Says:
28 janvier 2008 at 15:34.
Il n’ya sans doute pas de fumée sans feu.
« Selon l’Autorité des marchés financiers (AMF), un paquet d’actions Société Générale a été vendu le 9 janvier pour 85,7 millions d’euros par un de ces administrateurs, au prix de 95,27 euros par action. Cet après-midi, le titre cote 69,95 euros. Cette information fait écho à une plainte contre X déposée par l’avocat d’une centaine d’actionnaires du groupe bancaire, portant sur une « manipulation de cours » et un « délit d’initiés ». Cependant, rien ne permet de dire pour l’instant si l’administrateur était au courant de la « fraude » dont a fait état Société Générale en fin de semaine dernière. »
Paul Says:
2 février 2008 at 08:14.
Cette affaire continue à occuper le devant de la scène et ce n’est, à mon avis, pas terminé. A lire, cet excellent article sur le site « Le grand soir infos » : http://www.legrandsoir.info/spip.php?article5996
jack Says:
27 février 2008 at 00:53.
La compagne publicitaire « votre argent nous intéresse » n’émanait pas de la Société Générale mais de la BNP ! (http://www.bnpparibas.com/fr/histoire/histoire.asp?cat=E&code=9)
Un peu d’exactitude ne nuirait pas sur le net. N’importe qui écrit n’importe quoi !
Paul Says:
27 février 2008 at 06:59.
Dont acte et merci. Je suis d’accord après vérification : j’ai été induit en erreur par une autre source, beaucoup plus « officielle » et « sérieuse » que la mienne ! Un peu moins d’agressivité dans les commentaires ne nuirait pas non plus sur le net… En tout cas la SG s’est toujours intéressée à notre argent et continue (voir dernière campagne publicitaire pour augmentation de capital… celle-là, aperçue sur « Boursorama », je ne l’ai pas rêvée !