29 janvier 2008
Petite chronique agricole (1)
Posté par Paul dans la catégorie : le monde bouge .
Elle pourrait aussi s’intituler « chronique de la prochaine faim du monde ». Encore une occasion, involontaire (hum ! hum !) de dire du mal des 4×4 et des grosses cylindrées ! Comme je ne suis expert en rien du tout, je ne devrais pas trop raconter d’imbécilités, mais n’hésitez pas à corriger mes chiffres si vous en avez de plus précis !
Ces derniers mois, l’agriculture revient sur le devant de la scène, à travers le problème des OGM, celui des émissions de CO2 dans l’atmosphère, celui de la pénurie d’eau potable mais aussi à cause du renchérissement conséquent des denrées alimentaires. La chronique d’aujourd’hui va traiter principalement de ce dernier problème.
De nombreuses causes sont invoquées pour expliquer l’envol du prix des denrées alimentaires en 2007, mais les raisons fondamentales ne sont pas toujours exposées. Comme dans ce blog on se préoccupe beaucoup de votre assiette, d’un peu d’économie et parfois même de politique, je vais essayer de débroussailler un peu la situation… Une documentation importante peut être trouvée sur ce sujet, mais elle est parfois difficile d’approche. Ceux qui souhaitent approfondir peuvent se rendre sur le site de la FAO.
L’une des céréales de base de l’alimentation, le blé, a vu son prix augmenter pratiquement de 100% en 2007. Les autres productions agricoles de base comme le maïs ou le riz ont également flambé. Pour le blé, l’une des causes invoquées ce sont des récoltes moins bonnes que prévu à cause de mauvaises conditions météorologiques (précipitations insuffisantes en Europe de l’Est, gelées tardives en Amérique du Nord…). La manière dont les cours varient en fonction d’événements climatiques qui n’ont pas non plus été catastrophiques, montre à quel point les stocks mondiaux évoluent à « flux tendu » (offre plus ou moins inférieure à la demande) et à quel point ce mécanisme fait la part belle aux spéculateurs, toujours à l’affut dans des cas pareils. Selon la FAO, la cause essentielle de la hausse serait la demande accrue en céréales pour fabriquer les « agro-carburants » (appelés à tort « bio-carburants »). L’une des céréales de base pour cette production c’est le maïs dont les cours deviennent très attractifs et une part non négligeable des céréaliers auraient abandonné la culture du blé pour celle du maïs, beaucoup plus rentable. Actuellement la répartition des surfaces cultivées serait de 70% pour le maïs et 30% pour les autres céréales, ce qui est énorme.
Il faut savoir que le cours des céréales utilisées pour fabriquer les agro-carburants est directement lié au prix du baril de pétrole, ce qui n’est pas le cas pour celles utilisées dans l’alimentation. Toujours selon la FAO, la situation est devenue préoccupante pour les Pays à faibles revenus, en déficit vivrier, dont la facture d’importation de céréales devrait croître de façon vertigineuse. La situation n’est guère meilleure pour les Pays en Voie de Développement producteurs céréaliers, car, au lieu de couvrir les besoins alimentaires du marché intérieur, une partie de plus en plus importante de leur production part à l’exportation. C’est le cas du Mexique par exemple, dont la principale production céréalière traditionnelle, le maïs, est de plus en plus absorbée par le voisin du Nord, pour alimenter les raffineries d’éthanol. Le prix des « tortillas », nourriture de base des Mexicains, a ainsi augmenté de 70% en 2007. Le rapport de la FAO cite l’exemple du Nicaragua : une hausse du prix à l’importation des céréales de 40%, pourrait faire basculer 2% supplémentaires de la population dans l’extrême pauvreté. Tout cela pour permettre à certains de continuer à rouler dans des véhicules 4×4 ou des grosses cylindrées dont les moteurs sont « voraces » en agro-carburants : le plein d’un 4×4 standard, une cinquantaine de litres de carburant, « absorbe » la consommation en céréales annuelle d’un habitant du Mexique, par exemple. Un document intéressant, relatif à l’Afrique, peut être trouvé à cette adresse là. L’original du document figurant en illustration de ce paragraphe peut être obtenu sur le site de societal.org.
Les agro-carburants vont aggraver très vite le déséquilibre de la balance production/consommation alimentaire mondiale, alors que celui-ci était loin d’être atteint. A l’heure actuelle, près d’un milliard des habitants de notre grosse boule bleue ne sont pas nourris correctement, malgré les multiples promesses des gourous de la « révolution verte » des années soixante-dix. Et ce ne sont pas les effets d’annonce de « recettes miracles » des multinationales agroalimentaires promettant « monts et merveilles » avec les OGM (nous en reparlerons) qui vont régler le problème, bien au contraire. Le problème alimentaire est de taille et quelques chiffres simples permettent de le cerner :
- depuis une trentaine d’années (1975-2005, pour être précis), la population de notre bonne vieille planète a doublé ;
- pendant la même période, la surface des terres agricoles exploitées n’a augmenté que de 9 % ;
- après une croissance rapide, due notamment à l’utilisation massive des engrais chimiques et des pesticides dans les Pays en Voie de Développement (comme l’Inde par exemple), les rendements agricoles, selon les cas, n’évoluent pratiquement plus, stagnent, voire même s’effondrent, pour les mêmes causes ;
- la demande mondiale en viande et en produits laitiers (denrées demandant des surfaces de production beaucoup plus importantes que les céréales pour couvrir les besoins alimentaires) a explosé. Dans l’émission « le dessous des cartes », Jean Christophe Victor cite l’exemple de la population chinoise : de 1960 à 2000, la consommation moyenne annuelle en viande d’un habitant de la Chine est passée de 4 à 40 kilos, soit un facteur x10 d’augmentation (chiffres arrondis). Si l’on prend comme référence pour chaque habitant de la planète la consommation moyenne aux USA (120 kg par habitant et par an), on imagine assez facilement le problème qui va se poser au 6,5 milliards de citoyens de la planète terre…
Comme on le voit dans cette brève présentation, les ramifications du problème sont nombreuses, et les causes du déséquilibre croissant de la balance alimentaire ne se résument pas simplement à des facteurs climatiques ou spéculatifs. Des choix urgents s’imposent pour les années à venir et ces choix, ce ne sont certainement pas nos gouvernants actuels, « drivés » par des économistes férus de « croissance économique tous azimuths » qui les feront, même si certains d’entre eux se drapent vertueusement derrière le fourre-tout qu’est devenu le « développement durable ». Notre planète peut nourrir tous ses habitants, sous réserve que la croissance démographique ne continue pas de façon démesurée, bien sûr, mais sous réserve, surtout, que les choix des habitants les plus riches, des zones dites les plus « développées », soient un peu plus guidés par la raison. Ce ne sont pas les « apprentis sorciers » qui empêcheront notre planète de continuer à foncer droit dans le mur. L’avenir n’appartient pas aux « autres » mais à « nous-mêmes ». Nous devons être les acteurs vigilants des changements nécessaires à venir. En 1788 aussi, les récoltes furent mauvaises et les spéculateurs « jouèrent » avec le prix du blé dans notre beau pays. Une famine terrible frappa la France pendant l’hiver. Aujourd’hui, les problèmes ont changé d’échelle, mais ils n’ont pas changé de nature…
3 Comments so far...
fred Says:
29 janvier 2008 at 10:38.
Et si tu rajoutes à ton tableau, déjà bien noir, la disparition progressive des abeilles, il y a de quoi vraiment s’inquiéter quand à l’avenir de nos assiettes …
Quoique d’après certains « spécialistes », le clonage des animaux d’élevage devrait nous permettre déviter le pire … Ah bon !?!
Lavande Says:
30 janvier 2008 at 08:41.
François et moi sommes très étonnés que tu ne fasse pas référence à Fabrice Nicolino qui a fait un bouquin remarquable « la faim, la bagnole, le blé et nous » une dénonciation des biocarburants.
Il tient un blog du même nom. Très, très intéressant!
Paul Says:
6 février 2008 at 12:38.
en complément à ma chronique, les infos relevées ce jour :
« L’Afghanistan fait face à tant de difficultés – et maintenant, avec l’augmentation du prix du blé, des millions d’Afghans n’auront plus accès au pain, l’aliment de base de la population », explique Rick Corsino, le directeur du PAM en Afghanistan.
« Nous devons agir maintenant pour s’assurer que les Afghans puissent se procurer du blé et du pain à des prix raisonnables, qu’ils vivent en ville ou dans les zones rurales, où la production domestique n’est pas suffisante pour subvenir à leurs besoins », ajoute Corsino.
Au cours des 12 derniers mois, les prix des aliments, et plus particulièrement du blé, ont atteint des sommets sans précédents, et ont détérioré les conditions de vie de millions d’Afghans, pour qui la farine de blé est l’aliment principal dans la fabrication du pain.
Une analyse récente du gouvernement afghan et du PAM sur les conséquences de l’augmentation des prix sur l’accès à la nourriture a montré que les prix de la farine de blé ont augmenté drastiquement l’année dernière – de plus de 60% à l’échelle nationale, et jusqu’à 80% dans certaines zones.