21 août 2009

Le silence et l’obscurité

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour...; Feuilles vertes .

coquelicots Arrosage massif des tomates, des concombres, des melons… Corvée presque obligatoire chaque matin en plein cœur d’un été où la chaleur est raisonnable mais où l’absence de précipitations conséquentes pose de sérieux problèmes. J’aime effectuer ce travail tôt dans la matinée, à l’heure où les coquelicots sont encore embués de rosée et où les gazanias, estimant la lumière insuffisante, ont une apparence de fleurs fanées. Je suis un « homme du matin » et après une journée bien remplie, je n’ai plus guère le courage de m’adonner à des activités trop contraignantes ou trop pénibles. Et puis, lorsque le soleil se dégage à peine de la ligne bleue des grandes Alpes, la lumière a un charme bien particulier ; la vie s’éveille et la journée paraît encore pleine de potentiel. C’est l’heure où mon esprit, encore ensommeillé, vagabonde ; c’est le moment où le calme me permet de voguer tranquille sur un océan de projets.

Un énorme avion amorce sa descente vers l’aéroport St Exupéry, à cinquante kilomètres de là. Il a perdu déjà bien de l’altitude et amorce le vaste mouvement tournant qui va lui permettre de se placer dans l’axe des pistes à une hauteur adaptée. Nous avons de la chance car nous sommes sur une voie d’approche des avions en phase d’atterrissage ; les réacteurs sont relativement discrets et la gêne occasionnée minime. Je l’aperçois assez bas à l’horizon et pourtant je n’entends déjà plus rien. Un autre avion est entré dans la danse : un petit monomoteur celui-là, qui décolle de l’aérodrome voisin, à moins que ce ne soit l’une de ces étranges machines volantes équipées d’un moteur de mobylette tournant à plein régime. Les grands arbres de la haie me le cachent et je n’aurai pas de réponse à ma question. Ce qui est certain c’est qu’il me casse les oreilles. Heureusement, il est un peu moins bruyant que les engins qui décollent la fin de semaine pour tracter les planeurs des amateurs de vol à voile. Il y en a moins d’ailleurs cette année. Tant mieux, bien que je ne doute pas que le plaisir éprouvé par le pilote du planeur soit grand. Le problème c’est que les avions qui les tirent font une noria continuelle certains dimanches. Un accord a été passé avec les municipalités voisines de l’aérodrome pour qu’ils ne choisissent pas tout le temps la même direction d’envol. Je ne sais pas si ce sont les courants aériens qui ne conviennent pas ou les pilotes de planeurs qui sont incompétents, mais les engins sans moteur sont généralement posés peu de temps après leurs tracteurs… ce qui explique le ronronnement incessant.

chantier-charpente Cinq chantiers de construction sont en cours dans le hameau. Il y aura bientôt une vingtaine de familles résidentes dans ce groupe de maisons que nous avons connu désert. Dans les années soixante-dix, quatre-vingt, nous étions, ma compagne et moi, les seuls habitants permanents. Il est neuf heures et beaucoup sont partis au travail. Les voitures (une quarantaine sans doute bientôt) sont déjà sur les routes ou sur le parking lointain d’un bâtiment de bureaux ou d’une usine. Les maçons sont arrivés sur les chantiers et le klaxon de sécurité, particulièrement strident, d’une pelleteuse ou d’un bulldozer, rythme l’arrosage de mes pieds de tomate avec son bruit lancinant. Avec la chaleur, l’herbe pousse moins vite et, ce matin, j’échapperai un temps au bruit des rotofils et autres tondeuses. Des sons nouveaux, difficiles à identifier, proviennent du chantier et couvrent par moment le ronronnement incessant des voitures sur la grande route. Celle-ci se trouve pourtant à plus de cinq cent mètres de mon jardin. Autrefois on ne l’entendait que lorsque le trafic était vraiment important ou lorsque des adeptes de James Bond en moto se livraient à une petite pointe à deux cent kilomètres heure en profitant de la ligne droite et de ses faux plats meurtriers. Les paysans ont fait couper les haies qui prenaient une place bien utile à leur maïs. La longue rangée de peupliers d’Italie qui cassait un peu le vent du Nord a été abattue. Le bruit n’a plus de filets pour l’arrêter et il en profite largement. Le premier quad de la journée a réveillé les chiens ; il est probable qu’il y en aura d’autres pendant l’après-midi. L’activité est calme sur l’aérodrome. Normal, on est en semaine ; mais comme ce sont les vacances, un amateur d’aéromodélisme en profite pour faire voler un modèle réduit à réaction qui, à lui tout seul, fait autant de bruit que le Boeing de tout à l’heure.

nenuphar Je n’ai signé aucune trêve, mais elle s’instaure d’elle-même… Rien, je n’entends plus rien que le bruit de l’eau ruisselant de mon tuyau et le chant d’un rouge-queue qui rêve sans doute d’un succulent petit déjeuner. Plouf ! Une grenouille dérangée par le chat vient de se réfugier au fond de l’eau de la mare… Une, deux, trois minutes sans avion, sans marteau piqueur, sans quatre roues, sans diésel mal réglé… Je savoure… J’essaie de me concentrer un peu sur les couleurs, les odeurs, les détails lointains. J’ai besoin de ce silence pour me ressourcer ; je ne réussis jamais à me servir de mes cinq sens à la fois. Le bruit gêne mon odorat, perturbe ma vision… Je n’ai jamais supporté les bruits de fond, radios en sourdine ou télés allumées que l’on ne regarde pas. Il suffit qu’il y ait des paroles sur la musique que j’écoute pour que mon attention dérive et que je lève le nez du livre dans lequel je suis plongé. Les étudiants qui révisent leur cours avec un baladeur sur les oreilles m’ont toujours impressionné… Je ne supporte même plus le bruit du ventilateur de mon vieil ordinateur qui zonzonne à mes oreilles pendant que j’écris cette chronique. Je suis pressé de finir pour pouvoir l’éteindre et essayer de grappiller quelques minutes supplémentaires de calme. J’ai choisi de vivre à la campagne, dans un coin plutôt isolé… Cette campagne s’urbanise à la vitesse d’une charge de cavalerie et la cohorte des nouveaux arrivants s’installe avec son lot de nuisances, le sourire aux lèvres, sans intentions mauvaises. Rien n’échappe à l’empire des bruits. L’homme craint le silence et le meuble comme il peut. Je comprends cette sensation car, jusqu’à ces derniers temps, j’ai éprouvé le même sentiment d’inquiétude à l’égard de l’absence de lumière. Je m’aperçois maintenant que l’obscurité, comme le silence, disparaît peu à peu de nos vies. Je n’ai pas fait vœu de silence comme les Chartreux et je n’ai jamais souhaité suivre une quelconque règle monastique. J’aime entendre rire, chanter, crier. Je ne suis pas allergique aux bruits générés par le travail, sinon je n’utiliserais pas une dégauchisseuse ou un motoculteur. Ce qui me perturbe simplement c’est l’impossibilité de trouver le silence, lorsque j’en éprouve le besoin, et ce quel que soit l’endroit où je me réfugie.

pollution-lumineuse La nuit n’échappe plus aux bruits, même si leur palette est restreinte et que les instants calmes sont plus fréquents. Les nuits du mois d’août sont belles et l’on peut admirer des nuées d’étoiles, de petits feux clignotants et parfois même la voie lactée qui a le mérite de ramener toutes choses à leur dimension véritable. Pour jouir pleinement de cette observation, il faut le silence ET l’obscurité. La conjonction des deux est de plus en plus difficile à obtenir. La lumière ronge l’obscurité, l’activité humaine dévore le silence… Les hautes falaises s’effondrent peu à peu sous les coups de butoir des vagues. Une quantité de lumière artificielle phénoménale se perd dans le ciel, portant préjudice au travail des astronomes et représentant un gaspillage énergétique sans précédent.  En ville, on ne perçoit plus que 5% des étoiles visibles à l’œil nu dans un ciel dégagé. A la campagne, le pourcentage est supérieur, mais rares sont les endroits où la perception est vraiment totale. J’ai déjà évoqué ce problème en vous présentant la réserve québecoise du Mont Mégantic, première réserve mondiale de ciel étoilé. Au début, cette image m’avait fait sourire, puis on m’a expliqué, j’ai compris et j’ai réalisé que le problème était vraiment sérieux et préoccupant. Notre société de nantis a déjà tendance à gaspiller des quantités phénoménales d’énergie et de matières premières pour des activités d’un intérêt douteux… Lorsqu’il s’agit d’une perte pure et simple ne présentant aucun intérêt pour l’activité humaine et ne procurant pas l’ombre d’un plaisir particulier, on atteint vraiment le summum.  En s’attaquant sérieusement au problème du gaspillage « pour rien », puis à celui du gaspillage « pour pas grand chose », on devrait déjà réduire la facture énergétique sans avoir besoin d’inventer des taxes nouvelles qui ne frapperont bien entendu que ceux qui se débattent dans la cale du navire pour ne pas être emportés par une voie d’eau…

pollution-lumineuse2 Vous direz que nous sommes bien chanceux de vivre à la campagne et qu’en ville les problèmes se posent à une échelle tout autre. Entièrement d’accord ; simplement cette envie de silence, d’obscurité, de parfums subtils, de fraicheur arborée, c’est ce qui nous a poussés à faire le « choix » du mode de vie rural il y a un peu plus de trente ans. Cela signifiait aussi renoncer à un certain nombre d’attraits, futiles sans doute (mais ils ne l’étaient pas forcément pour nous à l’époque), que présente la vie citadine. Cela veut dire aussi que, compte-tenu de la moindre densité de population, il nous a fallu galérer pas mal de temps avant de trouver des gens avec qui nous étions sur la même longueur d’ondes concernant le travail, l’éducation de nos enfants ou la gestion quotidienne de notre vie. Maintenant, la ville nous rattrape à la campagne et pas forcément sous l’angle le plus attrayant ! Même les hirondelles ont pris peur dans un premier temps et on en trouvait plus dans les cités que dans notre cambrousse. Elles semblaient préférer l’odeur des pots d’échappement à celle du désherbant à maïs. La situation se rétablit peu à peu et ces oiseaux charmants reviennent nicher lorsqu’ils trouvent un site favorable. Peut être pourrait-on suggérer aux citadins qui viennent s’installer dans la verdure, de laisser au garage leurs quads, leurs modèles réduits à réaction et leur sonodisco pourrie, pour profiter un peu des derniers instants de silence. On n’est pas si mal que ça, allongé dans l’herbe, une nuit, au mois d’août… L’une des étoiles de passage m’a fait un clin d’œil en survolant la vieille aubépine… Je me demande ce que les fées pensent de tout cela lorsqu’elles sortent de leur royaume souterrain…

7 Comments so far...

fred Says:

21 août 2009 at 13:30.

alors c’est pour ça que j’ai le droit de dormir dans ton jardin, c’est parceque je ne suis pas une lumière ! ah d’accord !

Paul Says:

21 août 2009 at 19:32.

Fred tu sais bien que quand tu honores mon jardin de ta visite, ta lumineuse présence captive tous les regards et que nul ne songe plus à regarder le ciel !

Pourquoi pas ? Says:

23 août 2009 at 00:44.

Ce que je trouve amusant, tout de même, dans cette histore, c’est que pour moi, arrivé au Charbinat pas mal plus tard (à la naissance pourraît on même dire), le bruit des avions qui tournent (qu’ils soient modèles réduits, tireur de planeur, plein de parachutistes ou autre) a toujours été là, et fait parti de l’ambiance sonore du lieu. Tout ces bruits de moteur, quand je regarde la marre se remplir, ou quand je vais signaler mon réveil en allant manger quelques fraises sur l’arbre en guise de petit déjeuner, ne me dérangent absolument pas. Alors même que je les reconnais volontiers agressants dans d’autres contextes, je les trouve étrangement normal et à leur place au Charbinat.

De même que ce dernier lampadaire, juste avant le portail de la cour, qui nous a si souvent éclairé, pendant que nous passions nos soirées d’été sur des hamacs, au milieu de la route. Pourtant, je sais que l’apparition d’un nouveau lampadaire, plus loin, viendrait me perturber au plus haut point. Car je connais parfaitement la limite d’ombre : juste après le terrain des poules et avant le petit chemin qui monte vers le terrain du voisin.

Comme quoi !

Pascaline Says:

23 août 2009 at 21:07.

Tu sais, fiston, nous n’avons habité là que sept ans avant ta naissance. Mais pour toi, ce n’est pas une question de durée, c’est d’avoir été dans ces bruits-là depuis ton toujours à toi ?

Le lampadaire est toujours là, mais plus les poules, et tu le sais ; quant au petit chemin, nous nous gardons bien de le nettoyer, ce que nous n’avons pas à faire, c’est pas chez nous, mais aussi pour ne pas encourager un hypothétique voisin à aller construire en-dessus où ce serait totalement aberrant qu’il le fasse, vu comme c’est mal exposé, sans la vue, et humide…

C’est pas un nouveau lampadaire qui va te perturber, je n’en vois pas de prévu. Il pousse des maisons comme des champignons, et le pouête pouête Jean-Marie a totalement défiguré la vieille ferme, la grange dont le toit continue de se gauchir, en cassant le mur côté route pour délimiter trois parcelles… De l’autre côté de la route, déjà deux maisons en construction.

Ça va te changer quand tu vas traverser la grande flaque pour faire un petit tour par icitte !

Pas de nouveau lampadaire et pas de nouvelle poubelle municipale près du vieux lavoir, dont le toit d’éverite (amiante) a été récemment démonté. Juste la couverture, les vieilles poutres envahies de lierre sont toujours là…

Oui, tu trouveras le coin bien changé quand même !

Lavande Says:

24 août 2009 at 10:38.

Le paradoxe c’est que nous qui habitons en bordure de la Villeneuve de Grenoble et de son parc, nous profitons la plupart du temps d’un calme et d’un silence remarquable qui surprennent toujours les visiteurs « venus d’ailleurs ». A part quelques petites séances de tondeuse mais brèves car les jardins sont minuscules.
Il y a bien un jeune crétin qui de temps en temps tourne en rond comme un abruti dans le parc avec sa petite moto alors que c’est évidemment interdit. Je rêve d’un pistolet à eau très puissant pour le pulvériser mais mon homme m’a dit que ça s’appelait un « Karcher » et que quelqu’un d’autre avait préconisé cette méthode avant moi…

la Mère Castor Says:

25 août 2009 at 18:32.

Pas folles, les fées bientôt ne sortiront plus de leur domaine souterrain, et plus personne ne s’en apercevra.

Paul Says:

25 août 2009 at 20:33.

C’est pour cela, mère Castor, que nous œuvrons à construire, ma compagne et moi, depuis plusieurs années, un havre de paix pour ces malheureuses fées. Il est malheureusement moins grand que la forêt de la Lorien, chère à Tolkien, et il est difficile de le protéger des agressions sonores !!! Nous espérons que les arbres, en grandissant, atténueront un peu cette pollution parfois difficilement supportable. On doit se faire vieux, à préférer la marche au vrombissement du quad ou de la moto de cross et apprécier parfois plus la musique de l’eau que celle des hommes !

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