28 août 2009
Nom botanique : Zelkova ; nom usuel : Orme du Caucase
Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres .
Bonjour… Vous ne me connaissez sans doute pas ; pourtant je suis un arbre qui mérite quelque considération tant ma silhouette est gracieuse et tant ma présence constitue un ornement de choix dans les parcs et jardins arborés. Originaire des régions transcaucasiennes, vers la mer Caspienne, loin là-bas dans l’Est, je peux vous dire que je suis habitué aux climats rigoureux, et que la vie sous vos climats tempérés est vraiment sans problème pour moi. Un petit -20° n’a rien pour m’impressionner et je n’ai besoin ni de gants ni de cagoule pour résister ! Plusieurs membres de ma famille trônent au Kew Gardens (jardin botanique royal) en Angleterre. Il devrait fêter ses deux siècles et demi l’année prochaine… Pas mal non ? Un autre spécimen vénérable se dresse au jardin du Roy à Paris où il a été planté en 1782 : il est plus que bicentenaire lui aussi, ce qui démontre parfaitement que je résiste à bien des tourmentes ! Celui qui m’a planté pour la première fois en France est un botaniste célèbre se nommant André Michaux. Ce brave homme pensait que mon bois présentait un grand intérêt pour la menuiserie car j’ai la particularité de pousser vite, bien droit et avec les premières branches élevées, une caractéristique que les bûcherons et les scieurs apprécient grandement. Monsieur Michaux n’avait pas tenu compte du fait que les humains ont une capacité mémorielle relativement limitée et qu’ils ne sont guère capables d’enregistrer plus d’une dizaine de noms d’arbres à la fois. Du coup, mon espèce est retombée un peu dans l’oubli et l’on ne m’a plus guère planté qu’à des fins décoratives. Allez demander à un ébéniste de vous tailler un buffet Louis XVI en Zelkova : il risque de vous regarder avec des yeux ronds ou de vous rétorquer qu’il faut se méfier de certains bois exotiques peu connus ! Ce qui me console un peu c’est que les humains ont le même comportement à l’égard des oiseaux, des champignons, des étoiles et de bien d’autres composants essentiels de notre Univers. Certes on ne peut tout connaître, ni tout nommer… mais « Zelkova » c’est joli comme nom ! Ça ne vous fait pas rêver ? Vous ne faites quand même pas partie de ces gens que la diversité terrorise et qui préfèrent s’égarer plutôt que de demander leur chemin à un « étranger » ? Si tel était le cas, je crois que vous vous êtes trompé d’adresse et qu’il vaut mieux que nous ne fassions plus route ensemble…
En fait, Zelkova est le nom de ma famille botanique et mon nom scientifique complet est Zelkova Carpinifolia (à feuilles de Charme) ou Zelkova Crenata (crénelé). Comme je suis rusé, j’ai essayé de dissimuler mon identité pendant un moment. Je me suis fait appeler Orme de Sibérie jusqu’à ce qu’un autre Orme revendique cette originie géographique à ma place. La dispute a duré un certain temps avant que j’accepte la délocalisation dans le Caucase. Il faut dire que mon concurrent, Ulmus Pumila (un nom à coucher dehors) était particulièrement vindicatif. Pour me consoler, quelques botanistes et certains pépiniéristes continuent à m’appeler « faux Orme de Sibérie », mais j’ai horreur de cette appellation. Vous aimeriez vous que votre nom soit précédé du terme infâmant de « faux » ; du genre « j’ai rendez-vous avec le faux docteur Faust ? » Alors va pour le Caucase, l’Iran ou la Caspienne ; et puis j’aime bien que l’on compare mes feuilles simples et de forme elliptiques à celles du Charme… car du charme, voyez-vous, je n’en manque pas ; je comprends que Mr Michaux ait eu le béguin pour moi. A l’automne, ma couleur vire progressivement au jaune puis au rouge et les artistes ne peuvent que m’admirer. De toute façon, ma silhouette très ramifiée est d’une élégance rare, et mes branches se dressant vers le ciel servent d’abri à de nombreux oiseaux, ce qui attire les naturalistes mélomanes. Du haut de mes 30 m, je n’ai aucun complexe face au frêne ou aux autres ormes. Rien à voir avec ce saule « pleureur » qui n’a même pas la force de ses ambitions. Lorsque je prends de l’âge, mon tronc rappelle un peu celui du platane car mon écorce a tendance à se détacher par larges plaques. Mon seul regret véritable concerne mes fleurs et mes fruits, relativement discrets, et qui n’attirent pas forcément l’œil au premier regard. Mais que voulez-vous, on ne peut pas être paré de toutes les vertus et j’en possède déjà tellement !
Ainsi que je vous l’ai déjà dit, je suis un petit malin : j’ai même réussi à m’introduire dans l’arboretum charbinois sous une fausse identité. Pendant quelques années, j’ai bien rigolé en entendant mon propriétaire présenter sous mon identité distinguée, l’un de mes voisins botaniquement fort éloigné et d’un port beaucoup moins éblouissant. Cette année j’ai décidé que j’en avais assez d’être baptisé n’importe comment par le botaniste d’opérette qui organisait la visite de ses plantations. Je l’ai donc poussé à acheter un très beau livre sur un marché local de bouquinistes, puis j’ai influencé son cerveau et sa main droite pour que, par hasard, ils ouvrent le traité de botanique à la bonne page, et j’ai laissé faire la nature. Le cheminement a été un peu long et chaotique, mais ça y est, les choses sont rentrées dans l’ordre et l’on ne me traite plus « d’érable » à chaque passage de bipèdes herborisants. J’aime entendre « le patron » s’extasier sur la croissance rapide de mon tronc, surtout quand il précise que cela n’enlève rien aux qualités mécaniques de mon bois. Ce n’est pas que je sois pressé de finir allongé sur le billard d’un scieur, mais, quitte à mourir un jour, j’aime autant laisser une trace bien palpable de mon existence antérieure. Il se trouve que mon bois, à la veine légèrement rosée, est à la fois dur, élastique et de bonne conservation. Puissent les héritiers de mon propriétaire actuel s’en souvenir… J’aurais horreur de terminer comme une vulgaire bûche dans une chaudière. Je me verrais bien en plateau de table ou en solide piètement de coffre ou de buffet… La classe non ?
Peu de choses à vous raconter en ce qui concerne les usages particuliers que les humains auraient pu avoir de ma présence. Il faudrait sans doute faire des recherches dans la littérature émanant de ma région d’origine. Mon implantation récente en Europe de l’Ouest, et la discrétion avec laquelle j’ai été maintenu, font que l’on ne trouve aucune coutume spécifique liée à ma grâcieuseté. Je ne figure pas dans la mythologie celtique et les adeptes d’Odin ne m’ont pas réservé un rôle particulier dans leur panthéon. Mais ne s’agit-il pas là d’une destinée commune à beaucoup de grandes personnalités ? La discrétion est parfois le témoignage de qualités intrinsèques qui n’ont pas besoin de faire-valoir médiatique. Les habitués des salons n’ont parfois que leur médiocrité à étaler au grand jour. Je n’aime pas les polémiques et je ne citerai pas de nom, vous laissant le soin de soulager vos propres pulsions vindicatives ! Il n’en est pas de même en ce qui concerne l’un de mes cousins orientaux, le Zelkova du Japon (Zelkova serrata) ; cet intriguant me fait une concurrence redoutable dans la littérature et notamment celle consacrée aux voyages. Bien que ses dimensions soient plus modestes que les miennes, cet outrecuidant personnage occupe une place à part entière dans la mythologie des pays asiatiques. On se sert par exemple de son bois pour réaliser certaines sculptures de divinités : il existe plusieurs silhouettes du dieu Ganesh réalisées en Zelkova. Les feuilles dorées de mon cousin attirent le regard et certains sadiques n’ont rien trouvé de plus intelligent que de le planter dans des pots étroits et de martyriser sa silhouette pour en faire des bonsaïs. Personnellement, je suis content d’échapper à cette tradition. Je n’ai aucune envie que l’on me donne l’apparence d’un artichaut posé au centre d’un saladier. J’aime l’air pur et les terres profondes et humides. Il me faut de l’espace et de la lumière et je ne supporte pas que l’on me taille pour un oui ou pour un nom. Alors je n’envie guère mon cousin japonais ! Pour lui rendre justice cependant, je dois reconnaître qu’il existe à Higassine, au Japon, dans la cour d’une école, un specimen impressionnant de Serrata, âgé d’au moins 1500 ans (cf photo). Chapeau bas… Je ne sais pas trop comment font ces orientaux pour supporter aussi longtemps les barbares humains…
En ce qui me concerne, mes ambitions sont plus modestes. L’un de mes vœux les plus chers est de retrouver la place que je mérite grandement dans les arboretums et les parcs d’Europe de l’Ouest. Non seulement mes usages « post mortem » sont fort intéressants, mais nul ne peut rester insensible à mes superbes couleurs automnales à moins d’être une brute à l’esprit englué par la résine des pins et des douglas de la reforestation intensive. Je ne conviens pas à ce genre de travaux car mon port, tout en finesse, en subtilité et en élégance, mérite mieux que les alignements déprimants auxquels sont condamnés ces clones standardisés. Un autre vœu que j’aimerais bien voir réalisé, c’est qu’un peintre de talent ou un poète habile dans l’art de manier la rime, se décide à dresser mon portrait, de manière à ce que je figure enfin dans la galerie des grands de ce monde : tant d’écrits ou de tableaux ont été consacrés à mon cousin le chêne… j’en mériterais bien une petite part ! Tout travail méritant récompense, je suis prêt à offrir l’ombrage rafraichissant de mes longues branches à l’humain studieux qui s’intéressera à mon cas. Inutile de déposer un dossier ou d’envoyer un quelconque CV à « la feuille charbinoise » ; tout(e) volontaire sera le (la) bienvenu(e) ! Qu’on se le dise !
Histoire que vous ne considériez pas que je veux tirer toute la couverture végétale à moi, je cèderai bientôt la parole à un autre immigré comme moi : le Sophora. Lui aussi est assez bien fait de sa personne ! Vous voyez bien que je suis également d’une modestie incomparable…
NDLR : les clichés 1 et 2 sont « maison ». La photo n°3 provient du très beau site nature portugais « Dias com árvores » (© Paulo V. Araújo) – à visiter ne serait-ce que pour admirer les illustrations. Il s’agit de l’orme planté au Kew gardens. La photo n°4 a été prise par Jérôme Hutin lors d’un voyage au Japon en 2001 ; vous pouvez visiter le site qu’il consacre aux arbres vénérables. Le dernier cliché provient du site officiel du jardin botanique royal de Kew.
8 Comments so far...
fred Says:
28 août 2009 at 15:20.
jolie déclaration des droits de l’orme !
Christine Says:
28 août 2009 at 16:42.
Aux Oules, à Sauve, pousse un noyer du Caucase, une rareté, selon un historien local. Et un bel arbre aussi.
Clopin Says:
29 août 2009 at 22:13.
Intéressant ! Quid de sa résistance à la graphiose qui a décimé ses cousins normands à la suite de la sécheresse de 1976 ?
Paul Says:
30 août 2009 at 08:03.
@ Clopin – Je n’ai pas d’éléments précis pour te répondre Clopin, mais il semble que la graphiose n’ait frappé que l’orme champêtre. Par contre c’est vrai qu’ils ont été décimés. Dans les années 75-80 j’ai acheté à plusieurs reprises de l’orme dans les scieries de la région, puis après les troncs « commercialisables » ont disparu. C’est un bois vraiment magnifique, mais difficile à travailler (fibres manquant sérieusement de finesse). Depuis, les ormes que l’on replante sont des hybrides américains qui ont bien résisté à la maladie. Sans doute les cousins du Caucase sont ils résistants aussi.
Merci à tous pour vos commentaires.
@ Christine – Le noyer du Caucase, le pterocarya je crois, est un arbre magnifique aussi. D’où l’on en déduit que les Perses ne nous ont pas envoyé que des tapis !
@ Fred – Tous les ormes naissent libres et égaux en droits ; après, visiblement, ils se débrouillent comme ils peuvent !
Agnes Cervenansky Says:
6 septembre 2010 at 16:07.
Bonjour et merci pour cette présentation émouvante du Zelkova.
Je découvre aujourd’hui ce nom. Je l’ai vu ce matin et photographié. C’est un Zelkova du Japon, il est jeune, étalant fièrement ses branches aux feuilles flamboyantes, bien en vue sur une pelouse bordant le golf de Billère, au bord du gave.
Quant au Ptérocarya, je suis sur sa piste depuis cet été. Ici à Pau, nous avons des spécimens d’arbres superbes dans les parcs. Nous sommes très chanceux d’avoir été « occupés » par les Anglais qui ont planté toutes ces splendeurs il y a un siècle. Je n’ai pas fini de les découvrir !
Hutin Jerome Says:
5 novembre 2010 at 22:04.
Bonjour
je viens de voir votre blog grâce à mes potes de Krapoarboricole.
Grossière erreur pour le crédit de la photo de l’orme Zelkova qui est au Japon. Ce n’est pas une ancienne carte postale japonaise mais ma photo réalisée en 2001. A voir sur mon site des arbres vénérables http://arbresvenerables.free.fr
Ce serait sympa de rectifier le tir !
Merci
Jérôme Hutin
PS: et ce serait sympa d’avertir les auteurs, les vrais, des photos et demander l’autorisation, merci par avance.
Jérôme Hutin
Paul Says:
6 novembre 2010 at 08:17.
@ Jérôme Hutin – Désolé pour cette boulette. Je pensais sincèrement qu’il s’agissait d’une carte postale ancienne. N’aimant guère le « pillage » de mes propres photos, et évitant (le plus possible mais pas à 100 % – votre réclamation en témoigne) de me « servir » chez d’autres photographes sans leur accord, je fais le nécessaire pour rectifier le tir. Merci de ne pas avoir demandé la suppression pure et simple, ce qui était votre droit. Je suis content de voir que vous appréciez également l’excellente qualité du travail réalisé sur le site krapoarboricole…
Adrián Rodríguez Says:
28 novembre 2017 at 12:07.
Mon commentaire vient un peu tard, mais il me semblait intéressant d’ajouter qu’avant les glaciations du Quaternaire cette espèce était présente en France et dans tout le sud de l’Europe. Cette espèce et quelques autres également réfugiées dans le Caucase et le nord de l’Iran sont en réalité ici chez elles…