20 février 2008

Les yeux dans les Yeuses

Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres .

yeuse1.jpg Le chêne « Yeuse » (nom latin Quercus Ilex) est le chêne roi des collines arides du midi de la France. Il mériterait, tout autant que l’olivier, de devenir emblématique de la flore de Provence et encore plus de celle du Languedoc. On l’appelle aussi « chêne vert » car, dans la famille des chênes, il est l’un des rares spécimens à ne pas avoir de feuilles caduques. Son vert soutenu, proche de celui de la feuille du houx, participe à la coloration des bois et des garrigues pendant la période hivernale. La forme de ses feuilles, plutôt variable, généralement épineuses, peut prêter à confusion avec celle de l’un de ses cousins méditerranéens, le chêne kermès. Un bon moyen pour l’identifier c’est d’observer attentivement sa couleur : la feuille du kermès est verte sur les deux faces, alors que celle du chêne vert est grise sur le dessous, revêtue d’un léger duvet.

L’arbre a une forme trapue caractéristique et sa végétation est particulièrement touffue ; les forêts peuplées de Yeuses ont une apparence très particulière. S’il est adapté au terroir méditerranéen, il peut très facilement être acclimaté sous d’autres cieux, pourvu que le climat soit suffisamment doux. Il pousse par exemple le long de la côte océanique, et les spécimens plantés en Bretagne se sont très bien adaptés allant parfois jusqu’à se ressemer. Il supporte assez bien l’altitude : dans les vallées de l’Agly et du Têt, au pied des Pyrénées, on en trouve jusqu’à 1000 mètres d’altitude. Son enracinement, à la fois pivotant et superficiel (les racines peuvent aller jusqu’à 18 m en surface) lui permet de s’installer même sur des sols particulièrement rocailleux.

yeuse2.jpg S’il est issu de semis et s’il ne pousse pas en cépée, le chêne vert peut atteindre une quinzaine de mètres de haut et prendre la forme d’un arbre véritable, contrairement au Kermès, plutôt buissonnant. Il peut vivre plus de mille ans. Cependant les beaux spécimens sont rares car le chêne yeuse a été victime de son aptitude à fournir un excellent bois de chauffage : nombre de zones boisées où poussaient de gros exemplaires ont été coupées « à blanc » pour alimenter les fours. Les plus belles chênaies de Yeuse ne se trouvent cependant plus dans notre pays ; pour les observer, il faut aller en Catalogne ou dans le Moyen Atlas marocain. L’arbre a en effet été victime également de l’important travail de défrichage conduit dans les vallées du midi. Les parcelles boisées ont été mises en culture ou en pâturage, puis une fois abandonnées, sont retournées au stade de garrigue. L’usage de la Yeuse ne se limite pas au bois de chauffe : ses glands constituent une nourriture de choix pour les cochons élevés en liberté et pour les sangliers ; son écorce, séchée puis réduite en poudre, était utilisée pour le tannage du cuir. Il n’est pratiquement plus utilisé comme bois d’œuvre car, d’une part les sujets de taille importante justifiant le sciage sont rares, d’autre part ses formes sont souvent tourmentées et il a tendance à fendiller au séchage. Il n’en était pas de même autrefois : nos ancêtres s’en servaient pour les charpentes ou la construction navale dans les pays méditerranéens. Le bois de chêne vert a une bonne résistance aux intempéries. C’est aussi l’un des bois les plus lourds de nos climats : sa densité peut aller jusqu’à 1,2 ce qui est énorme.

yeuse3.jpg Dans l’Antiquité, le chêne vert était un arbre sacré. Pline mentionne, dans l’un de ses textes, l’existence d’une Yeuse plantée avant la fondation de Rome, sur le tronc de laquelle figurait une inscription en caractères étrusques, indiquant qu’il s’agissait, pour ce peuple, d’un arbre vénéré. Chez les Grecs, le chêne vert était honoré par Zeus. Les idoles étaient placées dans les arbres les plus anciens et les plus grands. Le Dieu rendait des oracles dans la forêt d’Yeuses de Dodone : le prêtre les déchiffrait en écoutant le bruissement des feuilles. Zeus transforma Philémon en chêne en remerciement de sa piété. La toison d’or fut elle aussi accrochée aux branches d’une Yeuse… Quant au nom latin « Quercus » désignant l’ensemble des chênes, il viendrait de l’union de deux mots celtes : « quer », signifiant « beau » et « cuez », « arbre ».

yeuse4.jpg

Tout cela montre que Yeuse et homme ont vécu côte à côte pendant des millénaires. Espérons que les tronçonneuses lui laisseront quelque répit et que d’ici quelques dizaines d’années nos enfants et petits enfants pourront admirer à nouveau de beaux sujets ailleurs que dans les parcs !

2 Comments so far...

fred Says:

20 février 2008 at 15:16.

« L’arbre a une forme trapue caractéristique et sa végétation est particulièrement touffue  »
FARLEN ?!? c’est toi là bas dans le noir ?

Ta femme Says:

21 février 2008 at 14:26.

Jeu dans les yeuses
A l’époque où je grimpais aux arbres, ce que j’ai fait avec assiduité pendant des années, j’avais inventé un super jeu : en général on monte dans un arbre près du tronc, donc je montais à la hauteur convenable, puis je marchais sur une branche assez costaud pour mon poids, en me tenant des mains aux brindilles. Suivez mon regard : sortie du couvert de ses ramures, je descendais de l’arbre en toboggan, glissant sur le solide tapis de sa « robe ».
Exercice sans doute dangereux, compte tenu de la solidité très relative des branches…

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