21 février 2008
Chats, tendresse et Saint-Laurent
Posté par Paul dans la catégorie : l'alambic culturel .
La République charbinoise ayant le privilège d’avoir un ambassadeur permanent à Montréal depuis quelques années déjà, nous avons été amenés à nous intéresser de plus près à la vie culturelle québécoise et cela a été pour nous l’occasion de nombreuses découvertes et d’agréables surprises. L’œuvre romanesque de Jacques Poulin est l’un des premiers « fruits » de la Belle Province que je vais distiller dans notre « alambic » culturel, mais je vous parlerai aussi un de ces jours de conteurs et de cinéma !
« Le vieux chagrin » est l’une des premières œuvres que j’ai lues de cet écrivain assez peu connu chez nous. Il semble que nous soyons plus fascinés par les chanteurs et chanteuses québecois que par les romanciers ou les cinéastes. Cette préférence a eu quelques conséquences heureuses mais d’autres plutôt désastreuses (je vous laisse le plaisir de faire le tri !). Il est amusant de constater d’ailleurs que certain(e)s de ces chanteurs (ou chanteuses) ont eu, à l’inverse, plus de succès dans l’hexagone que dans leur patrie d’origine ! Pour revenir à notre sujet principal, Jacques Poulin, né en 1937, a écrit une dizaine de romans : « volkswagen blues », « la tournée d’automne », « les yeux bleus de Mistassini » sont parmi mes préférés. Il est publié en France par « Actes Sud », une maison d’édition que j’apprécie car elle fait du travail soigné, tant au niveau de la sélection des œuvres que de la qualité de leur impression (typo et papier).
Les romans de Jacques Poulin tournent autour du domaine que l’auteur connaît le mieux : celui de l’écriture, ce qui leur donne parfois un petit côté autobiographique. Les personnages centraux de chaque roman se suivent et se ressemblent : ils appartiennent tous à ce monde des lettres, écrivains ou traducteurs. Le décor lui aussi est plutôt constant : la ville de Québec et le fleuve Saint-Laurent sont presque toujours au premier plan même si certaines histoires se déroulent en partie à Paris ou aux USA. Même le principal personnage secondaire, le chat, laisse la marque de son passage dans pratiquement tous les livres que j’ai lus. Il se cache au détour d’une page ou marque au contraire le récit par sa présence constante. En fait, peut-être est-ce une erreur de le qualifier de personnage secondaire. En lisant « le vieux chagrin », on peut se poser la question… Quand je dis « le chat », il ne s’agit pas en fait d’un chat particulier, mais d’un représentant anonyme de l’espèce féline. Parfois il porte un nom (Matousalem dans « les grandes marées ») parfois non.
La trame du roman « le vieux chagrin » est simple : sur les rives du Saint-Laurent, un écrivain « en panne de mots » vit retiré pour un été dans la vieille maison familiale, avec son chat Vieux Chagrin et une jeune fille de 16 ans, « la petite », qui lui tiennent compagnie. Un jour, un voilier avec un visiteur inconnu à son bord vient mouiller non loin de son refuge. L’écrivain voudrait écrire la plus belle histoire d’amour du Québec mais il n’y arrive pas. Le marin inconnu s’avère en fait être une jeune femme, très belle, mais celle-ci ne reste qu’une silhouette insaisissable, une sorte de fantasme que l’esprit du romancier cherche à apprivoiser. Le roman se déroule tranquillement, au rythme de la vie sur le fleuve, et le style de Jacques Poulin s’adapte merveilleusement à cette tranche de vie qu’il décrit : les mots sont choisis avec soin et les phrases produisent d’agréables sonorités.
« La tournée d’automne » nous entraine dans une virée en car depuis Québec jusqu’au bout de la route qui longe la rive Nord du Saint Laurent. Le personnage central, bibliothécaire ambulant, rencontre dans les rues de Québec une femme, Marie, venue de France avec un groupe de musiciens, « la fanfare », pour faire une tournée de concerts. Plutôt dépressif, notre héros a décidé que cette tournée serait sans doute sa dernière, mais son amour pour Marie l’amène à réviser peu à peu ses intentions. Jacques Poulin ne se contente pas de décrire, avec beaucoup de tendresse, un amour naissant entre des personnages qui ont déjà tous deux une bien longue histoire. Au hasard des arrêts de son bibliobus et de ses rencontres, il dresse des portraits attachants d’autres êtres égarés, malmenés par la vie, et nous parle des livres qu’il aime.
Le plus connu des ouvrages de cet auteur, ici, en France, est peut-être « Volskwagen blues ». J’avais mentionné le titre de ce livre lorsque je vous ai parlé du film « into the wild » que nous sommes allés voir au cinéma. Je ne sais toujours pas très bien pourquoi l’association entre ce film et ce roman s’est faite dans ma tête à ce moment là, si ce n’est que tous deux rentrent sommairement dans la catégorie des « road movies ». Le personnage principal de « Volkswagen blues », Jack Waterman, est à nouveau un écrivain en crise. Il part à la recherche de son frère Théo qu’il n’a pas vu depuis 20 ans, au volant de son vieux minibus. Le seul indice qu’il possède pour sa quête est une vieille carte postale. Son périple va le conduire à traverser les Etats Unis d’Est en Ouest en empruntant la vieille route des pionniers jusqu’à San Fransisco. Au début de son voyage, à Gaspé, il prend une auto-stoppeuse, une jeune femme aux cheveux noirs de jais « la grande sauterelle », accompagnée, bien sûr d’un petit chat noir. Sa passagère, indienne métis, porte le très beau nom montagnais de Pitsémine. Elle est en quête de ses origines et peu à peu une relation assez singulière va se nouer entre les deux voyageurs. Tous les ingrédients d’un bon roman de Poulin sont rassemblés : l’écrivain, la quête de l’autre, le chat… même si pour une fois les Montagnes Rocheuses remplacent largement le Saint-Laurent dans le décor ! Certains comparent « Volkswagen blues » avec « Sur la route » de Kerouac. Il y a trop longtemps que j’ai lu ce dernier livre pour prendre un tel risque.
En tout cas, je vous recommande la lecture des œuvres de Jacques Poulin. Bien que je ne sois guère amateur de « romans classiques », ses livres m’ont séduit, plus par l’ambiance peut-être et par le style que par la trame elle-même des histoires, souvent très secondaire. J’aime beaucoup le portrait plein d’humanité qu’il dresse de ses personnages grâce à une écriture toute en nuances et en finesse. En quelques mots, il réussit à créer les zones d’ombre et de lumière qui donnent aux personnages d’un roman toute leur véracité. En quelques mots, quelques phrases, une personne, un lieu, une ambiance résonnent dans votre imaginaire et deviennent très vite familiers. Lorsque en plus on a la chance d’être allé faire un peu de route au Québec, l’évocation des lieux connus prend aussi bien sûr une saveur toute particulière.
« Dans les livres, il n’y a rien ou presque rien d’important : tout est dans la tête de la personne qui lit. » (« le vieux chagrin »)
« Il ne faut pas juger les livres un par un. Je veux dire: il ne faut pas les voir comme des choses indépendantes. Un livre n’est jamais complet en lui-même; si on veut le comprendre, il faut le mettre en rapport avec d’autres livres, non seulement avec les livres du même auteur, mais aussi avec des livres écrits par d’autres personnes. » (« Volkswagen blues »)
« Heureusement, j’avais bien travaillé. La galerie était remplie de soleil, mon âme se serrait doucement contre moi, je me sentais bien et j’avais assez de chaleur pour tenir le coup jusqu’à la nuit. » (« le vieux chagrin »)
2 Comments so far...
Ta femme Says:
21 février 2008 at 13:39.
C’est ainsi que sur les pas de Jacques Poulin, nous nous rendîmes, comme son héroïne dans « la traduction est une histoire d’amour », dans un cimetière anglican désaffecté, dans la ville de Québec, non pas pour faire crisser de nos pas les feuilles mortes, mais pour y boire de la bière québécoise. L’église, pour sa part, a été transformée en bibliothèque et j’aime tout particulièrement, près de l’entrée, la statue de la jeune fille lisant…
Ta femme Says:
21 février 2008 at 14:09.
J’ai l’habitude de prendre des notes au cours de mes lectures, même si c’est long et un peu fastidieux. Je peux ainsi proposer deux bonnes pages de lecture, du Poulin pur jus…
Je suggère la dégustation en courtes séries, en grignotage…
Jacques Poulin
Le vieux chagrin
Babel / livre de poche
p 53 – Heureusement, j’avais bien travaillé. La galerie était remplie de soleil, mon âme se serrait doucement contre moi, je me sentais bien et j’avais assez de chaleur pour tenir le coup jusqu’à la nuit.
Volkswagen blues
Babel
p 37 – La première phrase, selon lui, devait toujours être une invitation à laquelle personne ne pouvait résister – une porte ouverte sur un jardin, le sourire d’une femme dans une ville étrangère.
p 148 – Il y a des gens qui disent que l’écriture est une façon de vivre ; moi, je pense que c’est aussi une façon de ne pas vivre. Je veux dire : vous vous enfermez dans un livre, dans une histoire, et vous ne faites pas très attention à ce qui se passe autour de vous et un beau jour la personne que vous aimez le plus au monde s’en va avec quelqu’un dont vous n’avez même pas entendu parler.
p 186 – Il ne faut pas juger les livres un par un. Je veux dire : il ne faut pas les voir comme des choses indépendantes. Un livre n’est jamais complet en lui-même : si on veut le comprendre, il faut le mettre en rapport avec d’autres livres, non seulement avec les livres du même auteur, mais aussi avec des livres écrits par d’autres personnes. Ce que l’on croit être un livre n’est la plupart du temps qu’une partie d’un autre livre plus vaste auquel plusieurs auteurs ont collaboré sans le savoir.
La tournée d’automne
Babel
p 158 – Je ne suis pas malade, dit-il. Ma santé n’est ni bonne ni mauvaise, elle est acceptable. Pour ce qui est de l’âge, je ne suis plus tout jeune mais je ne suis pas encore un petit vieux. Cependant, j’ai assez vécu pour savoir que tout ce que l’on raconte sur l’âge d’or, la sagesse, la sérénité… tout ça est complètement faux. A mon âge je n’ai rien appris de ce qui est essentiel : le sens de la vie, le bien et le mal. On dirait que mon expérience se ramène à zéro. J’exagère, mais à peine, je le jure. Pire encore, j’éprouve toujours les mêmes craintes, les mêmes désirs, les mêmes besoins que lorsque j’étais petit. Quand les déficiences physiques viendront s’ajouter à tout cela – et elles sont inévitables -, ce sera le désastre, la déchéance. C’est ça que je ne veux pas vivre. Ça ne m’intéresse pas.
Chat sauvage
Babel
p 59 – Nous avions remarqué, elle et moi, que les gens parlaient sans arrêt de la sexualité ; et comme ils parlaient également sans arrêt de la météo, nous en avions conclu que le sexe et la météo avaient la même importance. À cause de certains souvenirs émerveillés qui nous étaient restés de la petite enfance, chacun de notre côté, nous avions décidé que le sexe était l’affaire des enfants. Ce soir-là, justement, j’avais envie de me comporter comme un enfant.
p 72 – Pour moi, qui en étais à mes premiers ébats depuis mes ennuis cardiaques, c’était rassurant de constater que la machine fonctionnait toujours. J’étais heureux de retrouver les sensations anciennes : désirs et craintes, sueurs et odeurs, qui venaient du milieu de mon corps et de la nuit des temps. Et lorsque cette attirance physique diminua, comme un feu qui s’assagit, les mots prirent une place plus importante et nous servirent de passerelle entre le corps et l’âme.
p 86 – Étant un fervent admirateur d’Ernest Hemingway et de ses disciples, les minimalistes, j’avais pour principe d’éviter autant que possible les adverbes.
pp 95/97 – Ce qui compte, dit-il, c’est la manière de dire les choses.
– Vous voulez dire le style ?
– Ah non ! fit-il en se retournant vers moi. Le style, c’est tout autre chose !
– Vous croyez ?
– Mais oui. Et-ce que vous connaissez cette phrase de Flaubert : « Le style est à lui tout seul une manière absolue de voir les choses » ?
(…) Il déclara qu’il avait trouvé cette phrase dans le cahier littéraire d’un quotidien et que les mots avaient crépité devant ses yeux comme les flashes d’un apparail-photo.
– Ça m’a donné un coup, dit-il. Pour Flaubert, le style n’est pas une façon de dire les choses mais plutôt une façon de voir ! Ce n’est pas un mode d’expression, mais un mode de pensée. C’est-à-dire un point de vue, une philosophie. Ça fait toute la différence du monde ! (…) Ça signifie que dans un roman, par exemple, le style est ce qui compte le plus…
Les yeux bleus de Mistassini
Leméac / Actes Sud
p 9 J’entendais un murmure, comme si plusieurs personnes conversaient à voix basse, et pourtant la librairie était déserte (…).
– Ce murmure, il venait d’où exactement ?
– Oh ! c’est un truc assez connu dans le milieu des libraires, dit-il. On place des recueils de poésie ici et là dans les rayons, parmi les autres livres. Comme tu le sais, les poètes sont les dépositaires de la tradition orale et, pour cette raison, ils sont toujours prêts à réciter leurs vers. Alors la nuit, quand on ne peut pas dormir et qu’on fait les cent pas dans la librairie silencieuse, on peut entendre le murmure de leurs voix et ça nous donne un peu de réconfort.
p 19 La caisse enregistreuse, sous son air vieillot, était pourvue d’un système informatique original. Elle dressait la liste des titres vendus et commandait elle-même de nouveaux exemplaires. À chaque vente, elle entrait en contact avec l’auteur : si celui-ci habitait dans le voisinage, il accourait pour prendre l’acheteur ou l’acheteuse en filature, noter son adresse et essayer de voir comment le livre était apprécié.
p 176 L’air était plus vif, les jours plus courts, les jupes plus longues, et comme toujours à l’automne, une lueur d’inquiétude brillait dans les yeux des vieillards et des chats.
p 178 Nous avions un souvenir en commun, dont il ne restait à présent que deux ou trois images tombées comme des feuilles d’automne au fond de notre âme.