4 février 2010

La bibliothèque Joanina à Coimbra

Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage; Des livres et moi .

Les premiers rayons de soleil du mois de février donnent envie d’évoquer les voyages passés, en attendant que le plaisir de la découverte nous pousse à sortir de notre tanière hivernale… Nous effectuons, lentement mais sûrement, ces dernières années, un tour des bibliothèques historiques d’Europe de l’Ouest. Nous n’avons pas véritablement de fil conducteur, et les découvertes se font un peu au hasard, selon nos itinéraires. Nos pas nous ont conduits en Irlande (Dublin – Long Room), en Suisse (abbaye de St Gall), en Autriche (Graz) et plus récemment au Portugal (Coimbra – bibliothèque Joanina). Je vous ai présenté toutes ces bibliothèques, parfois succinctement, mais je m’aperçois que j’ai omis la toute dernière de nos visites, celle de la Joanina. Ce site ne manquant pas d’intérêt, à mes yeux de bibliophile passionné mais peu fortuné, se contentant d’admirer les merveilles chez les autres, il est grand temps que je vous en parle un peu.

centre-ville-coimbra Coimbra est située dans la région des Beiras au Portugal. La ville a joué un rôle très important dans l’histoire du pays puisqu’elle en a été la première capitale. Coimbra est construite en étage sur les berges pentues du rio Mondego. Les différents quartiers de la ville ont beaucoup de charme, que ce soit la partie basse, sur les quais du fleuve ( A Baixa), ou la partie haute (A Alta) qui abrite l’université. Coimbra possède une solide tradition culturelle et elle a été, sans doute plus dans le passé que maintenant, une ville d’un grand rayonnement artistique et intellectuel, en concurrence avec sa rivale espagnole, Salamanque. L’université de Coimbra fait partie des plus anciennes d’Europe, même si elle a été créée plus tardivement qu’Oxford ou la Sorbonne. Les Maures s’emparent de la ville au milieu du VIIIème siècle et y resteront longtemps, laissant des traces indéniables de leur passage. Lorsque la ville est reconquise par le roi de Castille, Alfonso VI, le nouveau souverain ne chasse pas les Musulmans et ceux-ci continuent à œuvrer au développement de son rayonnement culturel. Dès le XIIème siècle, celui-ci dépasse largement les frontières du Portugal et Coimbra devient l’un des centres du savoir incontournable en Europe de l’Ouest. Au début du XIVème siècle, en 1308, le roi Dinis Ier transfère à Coimbra l’université qu’il a créée à Lisbonne. Pendant deux siècles, le va et vient du centre universitaire va être constant entre les deux villes. Ce n’est qu’en 1537 que le transfert à Coimbra sera définitif. On sait qu’à cette époque-là, l’institution dispose déjà d’une bibliothèque importante. Dans la mesure où l’activité de la ville est largement liée à la présence de ce foyer culturel, la prospérité de Coimbra subira les aléas de cette instabilité. La situation a changé depuis une cinquantaine d’année ; la capitale régionale est devenue un centre industriel important, et les étudiants, même s’ils sont encore nombreux (quinze mille environ) n’occupent plus vraiment le devant de la scène. Leur présence est cependant très sensible dans les vieux quartiers. De nombreux logements universitaires sont regroupés, constituant des « Républiques », ensembles de bâtiments plus ou moins délabrés dont les façades sont ornées de décorations pittoresques et servent de supports à de multiples inscriptions bariolées aux contenus divers, souvent politiques. On n’a aucune difficulté à repérer ces jeunes gens et ces jeunes filles qui portent souvent, avec fierté, l’uniforme traditionnel : une grande cape noire trainant jusqu’au sol.

joanina_exterieur L’histoire de la bibliothèque est directement liée à celle de l’université, puisqu’elle fait partie intégrante de ses murs. Le bâtiment de la Joanina est relativement récent : il a été construit au début du XVIIème siècle. Pour qui est fanatique d’art baroque dans sa forme la plus exubérante, ou amoureux de vieux grimoires, la visite en est quasi incontournable. Celui qui n’est pas sensible à cette surcharge de dorures, de moulures et de stuc, pourra, au moins, apprécier la prouesse technique et la richesse des matériaux employés pour réaliser le monument lui-même, ainsi que son ameublement. C’est le monarque João V qui a offert ce superbe cadeau à Coimbra en 1725. La construction de l’édifice a duré 8 ans. On ignore le nom de l’architecte, mais on connait celui du maître d’œuvre, João Carvalho Ferreira . En ce début du XVIIIème siècle, le Portugal était un pays prospère et les caisses royales étaient pleines. L’exploitation des colonies battait son plein, et la vente des diamants rapportés du Brésil, rapportait énormément d’argent. On peut donc estimer que ce monument a été construit avec le sang des indiens et la souffrance des esclaves, mais ce n’est pas la présentation qui est retenue dans les dépliants touristiques ! Le riche souverain ne lésina donc pas sur la dépense. La porte d’entrée monumentale est en bois de teck tandis que le bois doré du Brésil a servi à construire les immenses rayonnages intérieurs ainsi que les boiseries qui tapissent les murs et le mobilier (œuvre de Francesco Gualdini). Pour enrichir votre culture artistique, sachez aussi que les fresques murales ont été peintes par António Simões Ribeiro et le portrait monumental du roi fondateur a été dressé par Domenico Duprà. Les matériaux choisis (bois exotique, marbre et or) symbolisent en fait les trois continents sur lesquels le royaume du Portugal possédait des colonies. On retrouve cette allégorie dans la structure même de la bibliothèque : elle est constituée de trois grandes salles en enfilade, chacune correspondant à l’un des continents où sont présents les Portugais. Les couleurs dominantes de l’ornementation changent également : vert, rouge, noir et or. Sa superficie totale, estimée quand même à 1250 m2, n’est pas aussi importante que celle du Trinity college à Dublin par exemple.

porte-de-la-joanina Lorsque l’on est un simple touriste, on ne visite que le rez-de-chaussée du bâtiment, et la liberté de mouvement est très restreinte, ce qui est compréhensible mais un peu dommage. Les salles anciennes renferment encore 30 000 volumes ainsi que de nombreux parchemins (5000 environ). C’est impressionnant mais ce n’est pas grand chose à comparer du million d’ouvrages qui figuraient à l’origine dans les collections. De nombreux livres sont stockés dans les archives ou dans les salles de travail annexe ; d’autres ont été transférés à la nouvelle bibliothèque ouverte en 1956. La collection complète actuelle de la Joanina est évaluée à 200 000 volumes. Certains documents prestigieux possédés par la bibliothèque ne sont plus visibles dans la partie ouverte au public. Ce qui est un peu frustrant, à ce sujet, c’est que l’on doit se contenter d’observer les tranches des ouvrages sagement alignées sur les rayons. Rien n’est prévu pour permettre aux visiteurs de jeter un œil sur quelques volumes ou quelques manuscrits anciens : c’est regrettable. Sur ce plan, la visite de Saint Gall ou de la Long Room est plus attrayante pour le public. Détail esthétique : les livres situés dans les rayonnages les plus hauts sont accessibles grâce à des échelles coulissantes qui s’escamotent avec discrétion entre les montants verticaux supportant les étagères. Les catalogues montrent que la Joanina possède tout un éventail d’ouvrages datant du XIIème au XIXème siècle traitant principalement du droit, de la théologie et de la philosophie.

bibliotheque_joanina L’histoire de la Joanina a été marquée par quelques périodes difficiles, liées aux événements politiques intérieurs ou bien aux incursions étrangères. L’un de ces épisodes qui ont marqué la mémoire collective de la façon la plus négative, c’est l’invasion des troupes françaises au temps de notre « grand Empereur ». Les soldats des Maréchaux Soult, Masséna, Ney… n’ont pas fait dans la dentelle et plusieurs lieux historiques du Portugal ont eu à souffrir de leur passage. C’est le cas des célébrissimes tombeaux de Pedro et Inès à Alcobaça. Les envahisseurs étaient persuadés que les somptueux gisants, finement sculptés, abritaient un imposant trésor. Ils n’ont pas hésité à se frayer un chemin dans le marbre ciselé à coup de masses et de barres de fer (pour faire « chou-blanc » en définitive). Face à l’instabilité politique et militaire de cette époque (trois invasions napoléoniennes successives et une anglaise – les « libérateurs »), les conservateurs de la Joanina avaient pris la sage décision d’abriter une partie des collections, ce qui n’empêcha pas un certain nombre de pillages et de dégradations. Mais c’est surtout l’enrichissement des collections qui a été sérieusement ralenti. L’instabilité politique, en particulier la guerre civile qui se déroule au Portugal de 1829 à 1834, n’est guère favorable à une reprise de l’activité. Entre l’asservissement économique par l’Angleterre et l’indépendance progressive du pays, les finances publiques connaissent une crise qui n’encourage guère les investissements culturels. Le XIXème siècle est donc une période plutôt terne pour la grande bibliothèque universitaire de Coimbra.

vue-interieure-joanina Revenons au bâtiment à proprement parler… L’épaisseur des murs (un mètre vingt), les matériaux choisis pour leur construction ainsi que le doublage intérieur avec des boiseries massives, garantissent une température plutôt fraîche et une hygrométrie à peu près constante, deux éléments importants pour une bonne conservation du papier, des cuirs et des parchemins. Les bibliothécaires de Coimbra ont aussi des alliées inattendues mais un peu encombrantes pour les aider à mener à bien leur délicate mission de sauvegarde de tous ces trésors intellectuels. Ce sont des chauves-souris, toute une colonie, qui nichent dans les anfractuosités des murs et des plafonds et chassent, avec une efficacité impressionnante, les insectes susceptibles d’endommager les vieux livres. Le seul problème que posent ces insectivores performants, ce sont leurs déjections abondantes pendant leur période d’activité nocturne. Une solution un peu laborieuse a été trouvée à ce problème : la protection du mobilier précieux et des parquets. Chaque soir, lorsque le dernier visiteur ou utilisateur des lieux s’en est allé, le personnel de surveillance recouvre les boiseries et les meubles les plus précieux avec de grandes bâches en toile. Bien entendu, le « commun des mortels » découvre les lieux au petit matin, sans y voir la moindre souillure et ignore totalement la présence des chauves-souris peuplant cette antre de la culture ! A ma connaissance, nulle visite organisée nocturne n’est prévue pour les naturalistes…

Lorsque nous avons terminé la (trop brève) visite de cet édifice majestueux, nos pas nous ont conduits, par un dédale d’escaliers et de ruelles ombragées, vers les quartiers animés du centre, un peu en contrebas. Coimbra est une ville bien agréable à arpenter, ni trop grande, ni trop petite, à l’échelle humaine. Depuis l’esplanade de l’université, la vue sur le Rio Mondego est charmante, malgré la présence de quelques édifices modernes qui s’intègrent assez mal au paysage. Lors d’un voyage au Portugal, Coimbra me semble être une étape indispensable. Ne manquez pas non plus la visite de la partie souterraine du Musée Machado de Castro. D’importantes fouilles ont été réalisées, permettant de découvrir de nombreux vestiges de la ville romaine. Entre deux excursions culturelles, il est aussi un plaisir à ne pas manquer : la vieille ville abrite de nombreuses tavernes où l’on peut déguster les spécialités locales accompagnées (au hasard et avec modération) de quelques petits verres de vinho Verde bien frais. Tout un programme !

2 Comments so far...

la Mère Castor Says:

6 février 2010 at 16:13.

Billet interessant, j’aime bien l’histoire des chauve souris et des bâches dépliées le soir.
Fait-on de l’engrais avec les déjections, afin faire pousser des arbres dont on tirerait du papier et donc des livres ? On peut rêver.

Lavande Says:

6 février 2010 at 17:36.

La bibliothèque de Bologna, très ancienne ville universitaire, est superbe aussi:
voir quelques photos:
http://www.bub-unibo.it/

Un prochain but de voyage? Très belle ville!

Leave a Reply

 

Parcourir

Calendrier

novembre 2024
L M M J V S D
« Avr    
 123
45678910
11121314151617
18192021222324
252627282930  

Catégories :

Liens

Droits de reproduction :

La reproduction de certaines chroniques ainsi que d'une partie des photos publiées sur ce blog est en principe permise sous réserve d'en demander l'autorisation préalable à (ou aux) auteur(s). Vous respecterez ainsi non seulement le code de la propriété intellectuelle (loi n° 57-298 du 11 mars 1957) mais également le travail de documentation et de rédaction effectué pour mettre au point chaque article.

Vous pouvez contacter la rédaction en écrivant à