24 novembre 2009

Une châtaigne, un marron, mais pas de beigne !

Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres .

paf Ma première est comestible ; mon second ne l’est pas ; ma troisième, sous sa forme argotique, est indigeste et laisse généralement des séquelles violacées assorties d’une vive douleur ; elle est d’un abord beaucoup plus agréable sous sa forme pâtissière malheureusement peu connue des barbares que nous sommes ! On confond souvent marron et châtaigne, ce qui est légitime lorsqu’il s’agit d’un geste intempestif (puisqu’ils ont le même effet) mais totalement déplacé lorsque l’on se situe dans le registre de la botanique. Il faut dire que les usages culinaires et le parler populaire entretiennent savamment la confusion : on mange des marrons glacés, des marrons grillés et de la confiture de marron, préparés uniquement à base de châtaignes ; point de confusion par contre lorsqu’il s’agit de farine : demandez aux Corses ou aux Ardéchois s’ils mettent de la farine de marron dans leur pâtisserie… la réponse sera claire et sans ambiguïté… Je vais donc essayer de faire un peu de lumière sur cette question… épineuse : qui est châtaigne et qui est marron dans l’histoire ? Je réserverai les affaires de beignes à un autre épisode, à moins que je ne les destine à ceux qui feraient mine de ne pas comprendre parce qu’ils sont un peu « glands ». Histoire de ne pas égarer ces esprits simples, je laisserai de côté également les gnons, les baffes, les calottes et autres torgnoles. Il ne faut point trop de desserts différents à l’issue d’un banquet copieux.

marronnier-planche-botanique Il faut bien commencer par un commencement, alors, avant même d’évoquer les histoires de dénombrement de graines dans la bogue, on va s’intéresser à l’origine géographique des deux arbres et à leur apparition dans nos parcs et dans nos forêts. Cette dernière distinction n’est pas totalement innocente ; nos deux cousins ne se croisent guère dans la vie quotidienne ; on rencontre souvent le châtaignier dans les forêts ou dans les champs, contrairement au marronnier qui  a une nette préférence pour les parcs, les places et les avenues.
Le nom latin désignant le marronnier est – excusez du peu – Aesculus hippocastanum. Son appellation complète pour le vulgus populus est marronnier d’Inde. L’indication que donne son nom de baptême concernant son lieu d’origine est malheureusement fausse. Ce serait trop simple.  Les botanistes du temps jadis pensaient que l’arbre provenait d’Asie… mais son aire d’origine est en réalité plus proche de chez nous : Nord de la Grèce et Albanie. Il ne s’agit donc pas d’un arbre si exotique que ça. Le premier marronnier planté dans l’Hexagone arrivait en droite ligne de Constantinople et le jardinier responsable de son acclimatation dans un jardin situé rue du Temple à Paris se nomme Bachelier. L’heureux élu eut de nombreux rejetons, et quelques deux cents ans plus tard, il colonisait l’ensemble du territoire européen : chaque parc, chaque cour d’école, chaque place du marché se devait d’avoir son marronnier. L’arbre avait un intérêt économique (je vous en parlerai plus loin) mais il jouait surtout un rôle ornemental. Sa silhouette aussi majestueuse qu’équilibrée dispensait une ombre généreuse, sa floraison enchantait les couchers de soleil printaniers et ses marrons fournissaient aux enfants d’excellents projectiles pour jouer à la guéguerre comme leurs aînés.

chataignier-planche-botanique Quand j’emploie le terme de « cousins » en parlant du marronnier et du châtaignier, je risque de faire bondir au plafond les botanistes ou, dans le pire des cas, de recevoir une beigne pour me décoincer les neurones. A part la confusion souvent faite par le commun des mortels au niveau des fruits, les deux arbres n’ont rien d’autre de commun. Le marronnier appartient à une famille botanique bien particulière dont il est l’un des rares représentants (et surtout le seul vraiment connu sous climat tempéré) ; le châtaignier (Castanea sativa), lui, fait partie des fagacées, et serait donc plus proche du hêtre ou du chêne au niveau de la classification. Il est loin d’être le seul représentant de cette famille qui comprend 900 espèces différentes. Contrairement au marronnier, le châtaignier est très probablement un arbre indigène sur notre territoire ; sa présence est attestée – grâce à la découverte de pollens – à diverses époques de l’ère quaternaire, même s’il semble que dans les périodes les plus fraîches son habitat se soit limité au pourtour de la Méditerranée. Cet arbre, contrairement au marronnier fraichement immigré, se doit donc d’être célébré par les garants de l’identité nationale, et je pense que notre bon ministre, Mr Besson, en a planté quelques beaux spécimens dans sa propriété savoyarde. Le châtaignier a lui aussi un port majestueux, mais sa silhouette varie selon les conditions de plantation et l’âge. Sous couvert forestier, il donne de longues perches droites à l’écorce lisse pendant une quarantaine d’année, puis sa tête s’élargit peu à peu et il impose sa présence à ses congénères plus discrets. Lorsqu’il est plus isolé, sa forme devient plus vite trapue : ses branches poussent à l’horizontale et il occupe très vite une superficie importante. Ce phénomène est d’autant plus remarquable que, lorsque les conditions de sol lui conviennent, il a tendance à avoir une très grande longévité. Les châtaigniers remarquables sont nombreux, et je laisse le soin à mon ami « Krapo » d’en dresser l’inventaire sur son blog. Sachez cependant que poussait en Sicile, sur les pentes de l’Etna, un géant nommé « l’arbre des cent chevaux ». En 1872, il mesurait 56 m de tour et une centaine de cavaliers pouvaient profiter de son ombre, selon la tradition locale. On trouve de magnifiques spécimens en Savoie et en Haute-Savoie (Thonon ou Evian) dont les dimensions sont plus modestes, mais qui ont le mérite de montrer que cette région ne produit pas que des politiciens conservateurs bornés !

marronnier-adulte Le bois du marronnier n’a que peu de valeur, que ce soit pour le chauffage ou pour la menuiserie. Il est très mou, d’une couleur peu attrayante, et ne résiste pas au temps qui passe et au mauvais temps qu’il subit. Celui du châtaignier est tout à l’opposé, et il est particulièrement recherché. Après un séchage long, comportant une phase de lessivage à la pluie pour ôter le tanin dont il est chargé, il brûle bien et dégage une quantité raisonnable d’énergie thermique. Les paysans ne l’aimaient guère autrefois car il présente le défaut d’éclater lorsqu’il se consume et projette parfois des gerbes d’étincelles dangereuses. Ce défaut n’apparait plus dans les chaudières ou dans les cheminées fermées modernes. On lui reproche parfois d’encrasser les cheminées… Cette critique n’est plus justifiée à partir du moment où l’on prend le temps de le laisser sécher convenablement. C’est surtout en tant que bois d’œuvre que le châtaignier est apprécié, tant ses qualités sont nombreuses. C’est un bois résistant, de très bonne conservation lorsqu’il est soumis aux intempéries, mais il possède quand même une certaine souplesse et peut être utilisé pour fabriquer des pièces cintrées par exemple. On l’utilise pour fabriquer des parquets de bonne tenue et très décoratifs, des meubles massifs, des éléments de charronnerie et surtout des charpentes. Il présente, dans ce domaine-là une particularité fort intéressante : les petites bêtes qui ont fortement tendance à attaquer les autres bois, n’apprécient sans doute pas sa saveur particulière et ne s’intéressent donc pas à lui, du moins aux pièces de charpente qui utilisent son cœur. Il est donc totalement inutile de traiter poutres et chevrons lorsque l’on est certain qu’ils proviennent de cette essence.

Faute d’avoir un bois intéressant, le marronnier a heureusement d’autres cordes à son arc : l’écorce et les fruits possèdent des propriétés médicinales indiscutables. Les préparations à base de macérations d’écorce ou de poudre de marrons sont nombreuses et elles ont des effets thérapeutiques variés. Teintures et pommades sont utilisées par exemple pour soigner les varices ou les hémorroïdes. Les marrons avaient également un usage économique important. Ils renferment, parmi d’autres substances, de la fécule utilisée, en période de pénurie, pour couper la farine de blé panifiable. Ils contiennent également de la saponine, ingrédient de base pour fabriquer du savon. On peut aussi faire de la colle avec la farine, après cuisson dans de l’eau. Toutes ces ressources ont été exploitées massivement, notamment pendant la dernière guerre mondiale et les années de reconstruction qui ont suivi. La cueillette des marrons était une activité rétribuée à laquelle se livraient souvent les enfants des écoles pour aider leurs parents ou se faire un peu d’argent de poche. De nos jours, seuls les usages médicaux sont conservés. Nos modernes industries chimiques disposent en abondance de molécules de synthèse et ne portent plus guère d’intérêt à ce genre de ressources. Connaissez-vous encore beaucoup de gens qui font la lessive au lavoir avec de la cendre ? Le marronnier est donc redevenu un arbre principalement décoratif, même s’il semble, dans ce domaine-là, passé un peu de mode aussi. C’est dommage car il fait partie, sans contestation possible, de l’aristocratie des géants ornementaux.

chataignier-adulte Nous allons terminer, comme il est d’usage, par la partie la plus piquante de mon exposé, et parler un peu plus en détail des fruits de ces deux arbres ; l’occasion de tordre le cou, au passage à une légende tenace, celle du nombre de fruits. La bogue (le fruit) est une capsule, hérissée de pointes, qui contient une ou plusieurs graines à l’intérieur. De façon courante, la bogue du marronnier ne contient qu’une graine (mais parfois deux), alors que celle du châtaignier peut en contenir une (assez rarement), deux ou trois. Les petits malins qui distinguent marrons et châtaignes en comptant le nombre de graines dans la bogue risquent donc fort de se tromper, d’autant que la création de variétés hybrides de châtaigniers est venu complexifier le problème. Alors, quand on ramasse ces jolis petits fruits lisses et brillants sur le sol, comment faire la différence ? La châtaigne possède une queue (appelée « torche ») que l’on ne trouve pas sur le marron. C’est tout ce que l’on peut trouver comme signe distinctif dans un premier temps. D’autres indices peuvent être utilisés aussi, tels que la forme des feuilles ou l’apparence de l’écorce (difficile). Il vaut mieux éviter de faire la confusion car, en plus d’être peu plaisant à manger, le marron peut se révéler toxique à consommer. Aucun risque du côté de la châtaigne par contre : le fruit est plaisant au goût, riche au niveau alimentaire et il se prête à une multitude de préparations. Dans plusieurs régions de France, notamment les Cévennes, le châtaignier était une véritable source de richesse locale et il était exploité intensivement. Avant l’introduction de la pomme de terre, la châtaigne était l’aliment de base dans les contrées aux terres trop pauvres pour que l’on y fasse pousser du blé. Puis les temps ont changé. Sa culture a été abandonnée pendant des années : problèmes de maladie dans les plantations, mais surtout désintérêt général pour un aliment jugé trop ordinaire, trop populaire, pour figurer dans les assiettes de l’époque du tout formica et du pain bien blanc.

chataignes On assiste, depuis quelques années à un renversement de tendance. Les mets préparés à base de châtaignes ont retrouvé la place qui leur était due sur la table des gastronomes, et la farine que l’on tire de ce fruit se vend à des prix plutôt élevés. Les plantations existantes ne suffisent plus à répondre à la demande et les importations sont massives. La crème de marron n’a souvent plus de rapport avec l’Ardèche que dans son appellation et elle a souvent un petit accent corse. Il a fallu aussi appeler à la rescousse l’Italie, la Turquie et les pays de l’Est. On plante et on replante massivement, des variétés hybrides dont la fructification a été accélérée car, de nos jours, tout doit aller au pas de charge ! Les fêtes de la châtaigne sont réapparues dans les calendriers des fêtes des offices du tourisme, et l’on fait de la promotion à tout va. Tant mieux. Il y a peut-être une part de snobisme dans ce phénomène, mais il y a surtout réhabilitation d’un produit qui ne méritait pas d’être laissé de côté tant ses vertus gastronomiques et diététiques sont nombreuses. Les esprits chagrins me feront remarquer que la farine de châtaigne contient jusqu’à 75 % de glucides…. Certes, certes… mais personne ne vous interdit de faire un grand tour à pied dans la forêt avant de vous asseoir autour d’une poêlée ! Vous aurez ainsi l’excuse de la récupération des calories perdues pour vous jeter sur les « marrons » chauds. Faites attention quand même, au sortir de la poêle à trou que l’on vient de retirer des braises, ça brûle les doigts ! Dernier conseil important (celui-ci me vient de ma grand-mère) : n’oubliez pas la carafe de vin rouge… « douze châtaignes, treize canons ». Ma grand-mère n’était pas belliciste, et ses « canons » n’envoyaient ni obus, ni pruneaux, juste un peu de gaieté au cœur !

10 Comments so far...

la Mère Castor Says:

24 novembre 2009 at 11:50.

Paul, tu n’as pas tout dit, malgré la richesse de cet exposé.
D’abord, qu’en Cévennes on appelait le châtaignier l’arbre à pain, tant, comme tu l’as dit, il a nourri son monde pendant des années, on trouve d’ailleurs encore des blanchettes, c’est à dire des châtaignes séchées longuement au feu dans des clèdes, au rayon légumes de mon supermarché, preuve que le châtaigne sous sa forme la plus rustique (pas moins de trois heures de cuisson, mais que c’est bon) se trouve encore ;
Ensuite qu’on différencie le marron, qui n’est qu’une sorte de châtaigne et n’a rien à voir avec le marronnier, mais tout avec le marron glacé, de la châtaigne de la façon suivante : quand on a enfin réussi à ôter les deux peaux qui recouvrent le fruit, si celui-ci est encore cloisonné par des peaux « intérieures », on l’appelle châtaigne, s’il n’y en a pas et que le fruit est entier, celui donc qui sert à faire le marron glacé, on l’appelle marron. Mais les deux sont des châtaignes, dont il existe un tas de variétés aux jolis noms.
J’ai parlé de la blanchette sur mon blog l’an dernier, je crois.

Paul Says:

24 novembre 2009 at 13:20.

Alors là bravo Mère Castor et merci. J’adore quand les commentaires viennent combler, petit à petit, les lacunes (évidentes) de ma chronique. C’est vrai qu’en voulant traiter des deux arbres à la fois, j’ai laissé plein d’informations importantes sur le bas-côté. Ma grand-mère me pardonne qui disait qu’à force de vouloir trop embrasser on laissait tout aller patras ! En tout cas, sur les rives du Vidourle, on en connait un rayon côté arbre à pain !

la Mère Castor Says:

24 novembre 2009 at 17:05.

Encore une bricole sans beaucoup d’importance, sauf pour ceux qui comme moi gardent de leur grand mère une tendre image, ma grand mère, donc, ramassait à la saison quelques marrons d’Inde qu’elle gardait dans ses poches contre les rhumatismes et les douleurs. C’est sans doute lié aux vertus du marron en question. Elle connaissait très bien les plantes.

Cactus Says:

24 novembre 2009 at 17:12.

même pas une bugne !
merci quand même pour vos écrits !

Lavande Says:

24 novembre 2009 at 23:08.

La même grand-mère préconisait contre la grippe A H1N1 le remède dit des quatre chapeaux:

étape 1 : se coucher bien au chaud, avec un gros édredon sur les pieds et mettre un chapeau sur l’édredon.
étape 2 : boire des grogs brûlants et assez chargés en rhum.
étape 3 : poursuivre le traitement jusqu’à ce qu’on voit quatre chapeaux là où précédemment il n’y en avait qu’un.
étape 4 : la guérison est en bonne voie

Paul Says:

25 novembre 2009 at 07:43.

@ Cactus – ah les bugnes ! En plus, même lancées avec élan, leur vol planant ne doit pas créer de grands dommages à l’arrivée. Je crois qu’il va falloir que je me fende d’une chronique « des beignes, des bugnes, mais pas de torgnoles ! »
Il y a longtemps que je n’ai pas sévi dans la rubrique « le verre et la casserole ».
@ Lavande – Les treize canons, ça marche aussi contre le redoutable virus. Ce n’est pas encore agréé par la médecine officielle car on ne sait pas, en fait, si ce sont les 13 canons ou les 12 châtaignes qui font vraiment de l’effet. Des essais sont en cours dans les laboratoires charbinois…

sophie Says:

25 novembre 2009 at 21:56.

Malgré mon âge certain, je ramasse encore des marrons, lisses et brillants comme l’acajou. J’aime en avoir quelques-uns dans la poche. A les caresser, je me sens encore une âme d’enfant!
Ici, en milieu urbain, on arrache les vieux marronniers pour les remplacer par des variétés stériles! Les marrons abîment les voitures en tombant… On n’arrête pas le progrès!

Lavande Says:

26 novembre 2009 at 18:34.

Quelle tristesse, Sophie. Je me souviens quand j’étais toute petite je trouvais les marrons si beaux que j’en ramassais tout le long du chemin pour les offrir à la maîtresse, qui croulant sous les kilos de cadeaux analogues, avait quand même la gentillesse de s’émerveiller.

Lavande Says:

26 novembre 2009 at 18:45.

Répondant à Sophie, j’ai eu la curiosité d’aller voir son blog:eh bien, je vous le conseille!
Les voyages en particulier sont très sympas.

Paul Says:

26 novembre 2009 at 19:14.

C’est pour cela que son blog, « le jardin c’est tout » figure depuis pas mal de temps dans la liste des liens permanents, colonne de droite ! La recommandation vaut toujours ! La série de chroniques sur les jardins italiens est effectivement fort intéressante et Sophie a le don de dénicher des merveilles.

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