5 janvier 2010
Anaximandre de Milet, l’un des pères de la pensée scientifique moderne
Posté par Paul dans la catégorie : Sciences et techniques dans les temps anciens .
Il faut toujours rendre, à qui de droit, la paternité (maternité ?) de ses idées. Celle de la chronique d’aujourd’hui me vient d’une rencontre tout à fait impromptue sur la toile. J’ai découvert, à la fin de l’été, un blog, intitulé curieusement « la tribu d’Anaximandre« , en tête duquel figurait un portrait de chat : c’était lui, ce coquin de matou, chef occulte de la tribu, qui portait ce patronyme bien singulier. Je m’intéressai tout d’abord au contenu fort sympathique de ce site, mais je dois dire que ma curiosité était émoustillée… Ce nom, Anaximandre, me rappelait bien quelques souvenirs… La première étape de la recherche eut donc lieu dans les tiroirs de ma « commode » mémoire. La zone concernée était un peu poussiéreuse et fort mal garnie. De ce savant grec de l’antiquité, je ne savais que fort peu de choses : philosophe de son état, on disait qu’il était le premier à avoir laissé une trace écrite de ses travaux ; passionné par l’astronomie, il était l’auteur de quelques théories concernant le fonctionnement du cosmos… Un point c’est tout : je n’en savais pas plus et cela ne me suffisait plus. Par une belle journée d’octobre, je me plongeai donc dans de poussiéreux grimoires, puis je fis quelques recherches, après avoir dressé ma souris à traquer les savants de la Grèce antique. Très vite, je me suis piqué au jeu ; une découverte en entrainant une autre, j’ai fini par trouver le personnage intéressant à plus d’un titre. D’abord une raison assez primaire : son patronyme me plaisait. Ensuite c’était l’un de ces savants à la mode ancienne, un peu « touche à tout », comme je les aime. J’ai donc commencé à rédiger ma chronique, puis je l’ai mise sous mon coude, d’autres sujets, d’une actualité plus brûlante, ayant attiré mon attention. Un mois a passé pendant lequel j’ai laissé dormir le dossier. Mon chemin a croisé à nouveau Anaximandre, cette fois sur l’écran de mon téléviseur. Nous nous sommes rencontrés alors que je revisionnais l’excellente série documentaire sur l’astronomie « Tours du Monde, Tours du Ciel ». Au mois de décembre, j’ai finalement appris qu’une biographie complète du philosophe venait d’être publiée. C’est drôle comme des personnages méconnus ressurgissent soudainement du passé et atteignent une certaine notoriété (en disant cela, je pense entre autres à Hypatia d’Alexandrie, astronome, physicienne et philosophe du début du Vème siècle dont nous reparlerons un de ces quatre). Cette fois, je n’y coupais pas, il fallait que je termine le travail commencé avant que ce brave Anaximandre ne fasse la une du JT d’Arte (non, pas France 2 quand même, mais on ne sait jamais), et ça n’a pas été aussi facile que je le pensais. Je vous propose de partager quelques unes de mes trouvailles… C’est un peu décousu, sans doute approximatif, mais si le sujet vous intéresse, vous pouvez toujours vous procurer le livre « Anaximandre de Milet ou la naissance de la pensée scientifique » de Carlo Rovelli aux éditions Dunod… Ne l’ayant pas encore entre les mains, je ne peux encore vous donner mon opinion à son sujet…
Milet est une ancienne cité grecque de l’Asie mineure, située dans l’ancienne province d’Ionie, qui se trouve maintenant en Turquie au Nord de Balat. Dans l’antiquité, Milet était un port important, mais au fil du temps la baie dans laquelle se trouvait la ville a été comblée par les alluvions et elle se trouve maintenant à plusieurs kilomètres de la côte. C’est dans cette ville célèbre et prospère qu’est né le philosophe Anaximandre, en 610 av JC, au temps de Dracon et de la première constitution d’Athènes. Il fut l’élève du fameux Thalès et devint à son tour professeur au sein de la célèbre école de Milet. S’il est réputé pour avoir été le premier philosophe grec à avoir laissé une trace écrite de sa pensée, nous ne possédons aucune source émanent directement de lui. Tout ce que nous savons concernant son œuvre provient de documents rédigés par d’autres savants qui lui ont succédé et ont rendu hommage à son œuvre, en particulier Aristote. La pensée d’Anaximandre de Milet est véritablement révolutionnaire pour son époque et pose les jalons de ce qui va être par la suite la véritable réflexion scientifique. Il prolonge en cela les travaux de son maître, Thalès, et sa propre réflexion sera à son tour développée par le travail de l’un de ses compatriotes et disciples, Anaximène. Anaximandre rejette par exemple l’idée d’un monde créé par des dieux à figure humaine comme cela est expliqué dans la cosmogonie d’Hésiode. Anaximandre démontre que le principe divin est plutôt à chercher dans la nature, et rejette toute vision anthropomorphiste. Selon lui les causes des phénomènes naturels ont pour origine la nature elle-même et non les caprices quelconques d’un dieu mécontent. Le tonnerre serait ainsi le son produit par le choc des nuages sous l’effet du vent, et l’éclair une secousse d’air qui se disperse et retombe sur la terre… La notion d’infini occupe une place importante dans sa réflexion, même si elle reste encore assez vague : l’infini, selon Anaximandre, c’est le chaos originel renfermant une foule d’éléments de nature diverse. Ce désordre primitif contient une multitude de « possibles » qui se développent au fur et à mesure de l’évolution. Celle-ci est due au mouvement perpétuel qui anime le chaos : les éléments se combinent ou se repoussent ; les contraires se séparent (le chaud s’éloigne du froid en se dirigeant vers le haut, le sec s’écarte de l’humide) ; les semblables s’attirent ; l’univers a pris peu à peu la forme que nous lui connaissons. Toute chose qui meurt retourne à l’élément dont elle est issue. Le savant rédige en prose (ce qui est aussi une innovation) un ouvrage intitulé « de la Nature », dans lequel il expose ses conceptions. Il existe une infinité de mondes qui apparaissent puis disparaissent sans cesse dans un espace infini. Les créatures vivantes qui nous entourent ont évolué à partir de créatures inférieures ; l’homme était d’abord une sorte de poisson, ou tout au moins de bestiole couverte d’écailles et vivant dans la boue, avant de devenir un animal terrestre… Quand on sait que vingt cinq siècles séparent Anaximandre et Darwin !
La pensée d’Anaximandre est novatrice dans bien des domaines. Selon lui, la démarche scientifique impose le fait d’intégrer les savoirs acquis, mais aussi de remettre en cause les vérités tenues comme telles, sans démonstration. A l’époque d’Anaximandre, la philosophie englobe la totalité des sciences, et toute réflexion sur l’homme a obligatoirement des répercussions dans des domaines extrêmement variés. Le philosophe est aussi physicien, géomètre, géographe ou astronome, grâce à sa perception globale du monde. La démarche du savant l’amène à énoncer tout un ensemble de théories dans le domaine de l’astronomie, ce qui explique qu’il soit considéré aussi comme l’un des pères de cette science. Anaximandre est le premier savant grec à construire et à employer largement des gnomons pour effectuer ses observations. Il s’intéresse aux saisons, aux solstices, aux équinoxes en vue d’établir un calendrier d’une grande précision, et de perfectionner la mesure des durées. Il cherche à déterminer la hauteur et surtout la taille du soleil (qu’il estime au moins aussi gros que la terre) et à ébaucher une mesure de l’oblique de l’écliptique. L’Univers est une machine dont il essaie de trouver le mode de fonctionnement. Dans cette optique, il aurait été l’un des premiers aussi, selon certains historiens, à fabriquer une maquette du ciel. Celle-ci permettait de visualiser la position de la terre et des astres pour tenter d’expliquer leurs mouvements relatifs. Selon sa théorie, la terre avait sans doute la forme d’un cylindre dont la hauteur mesurait le tiers du diamètre. Seule la partie plane située au-dessus était habitée. Il est le premier à imaginer une terre libre dans l’espace, sans support, et pense que c’est sa position, au centre du monde, qui l’empêche de tomber. Cette notion d’objet flottant dans le vide, sans attache, ni soutien, est en soi une découverte fondamentale en astronomie, car elle permet d’énoncer le fait que les astres peuvent effectuer une rotation complète autour de la terre, au lieu d’effectuer un mouvement de va et vient d’un horizon à un autre. Compte tenu de l’importance de ses travaux, hommage lui a été rendu en donnant son nom à un cratère de la lune.
Autre domaine dans lequel Anaximandre intervient : la géographie. Selon Eratosthène de Cyrène et Strabon, il est aussi le premier à avoir eu « l’audace d’inscrire la terre habitée sur une tablette », en d’autres termes à avoir dessiné une carte selon des critères géographiques. Les savants babyloniens ont sans doute tracé les premières cartes, mais celles-ci n’avaient pas une fonction scientifique ; elles avaient pour but exclusif le fait de démontrer la grandeur de Babylone. Anaximandre, selon les propos de Strabon (géographe grec ayant vécu six siècles plus tard) fait œuvre de philosophe c’est à dire qu’il cherche une représentation de la terre telle qu’elle est « en vrai ».
Si les travaux d’Anaximandre sont relativement bien connus grâce aux références que l’on a pu trouver dans les écrits de Théophraste, Aristote et quelques autres, on ne possède que peu d’éléments d’information sur sa biographie. Il semble qu’il ait été un citoyen possédant une certaine notoriété et que comme beaucoup d’autres philosophes il ait été amené à se mêler de politique. Ses concitoyens l’auraient chargé de diriger une colonie vers Apollonie, sur la côte de la Mer Noire. Il serait mort peu après son soixante-quatrième anniversaire, mais ni le lieu, ni la date précise de sa fin ne semblent connus. Il fait partie, indiscutablement, de ces grands savants de l’antiquité grecque qui sont à la base des avancées de la science à partir de la Renaissance en Europe.
Notes concernant les illustrations : l’image n°1 est un extrait d’un tableau « L’école d’Athènes » de Raphaël. Le visage du personnage figurant sur cette partie du tableau, présente de nombreuses ressemblance avec le buste représentant Anaximandre. Il pourrait donc s’agir d’un portrait du philosophe. La carte n°3 est une tentative de reconstruction en fonction des indications que l’on possède sur la carte originale d’Anaximandre, malheureusement disparue. L’illustration provient de Wikipedia (de même que la carte figurant en dessous de ces notes permettant de situer les cités importantes de la Grèce antique).
3 Comments so far...
Paul Says:
5 janvier 2010 at 14:09.
Une info pour les lectrices et les lecteurs, sans rapport avec le sujet de la chronique : on peut maintenant se connecter sur « la Feuille Charbinoise » en saisissant tout simplement comme adresse
http://www.lafeuillecharbinoise.com
simple comme bonjour… non ? Rien n’arrête le progrès en 2010 et merci à notre puissant et performant service informatique !!!
la Tribu d'Anaximandre Says:
5 janvier 2010 at 14:47.
Bonjour !
Coquin de matou et sa Tribu sont enchantés de ce billet 🙂 Merci pour cette mine d’informations complémentaires au sujet de ce « touche à tout » qui tient à coeur de la Tribu.
Si vous le permettez je ferai un lien de cet excellent article sur mon blog.
Bonne journée et à bientôt au fil des blogs…
François Says:
11 janvier 2010 at 21:05.
Très intéressant, merci pour cette présentation.
Ca me fait penser qu’il faudrait d’ailleurs que je me refasse une bouffe avec ton service informatique… Ca fait un bail!