27 décembre 2009
Pour lire sous la couette en attendant le dégel…
Posté par Paul dans la catégorie : l'alambic culturel; mes lectures .
Cinq livres, parmi des dizaines d’autres dont j’aimerais vous parler, pour voyager dans l’espace et dans le temps, laisser son esprit vagabonder sur des chemins parfois incertains mais débouchant presque toujours sur des clairières enchanteresses. La balade est sans risque ; nul besoin de parachute ni de ceinture de sécurité ; le refuge de la couette ou d’un fauteuil moelleux au coin d’un radiateur suffit. Avant de larguer les amarres, une petite précision : dans mes chroniques lecture, construites au gré de mon imagination, je mélange volontairement « vieilleries » et nouveautés. Pour ces dernières, un simple « clic » sur un site adapté ou une petite balade chez le libraire du coin permettent de les acquérir sans peine ; pour les livres épuisés, rappelez vous qu’il existe des « officines » fort utiles et qu’il ne faut point négliger, celles des bouquinistes. La quête est plus longue mais la récompense en vaut souvent la peine !
C’est une idée singulière de partir pour l’Irlande à la saison des tempêtes, alors que la majorité des modernes aventuriers guette une saison plus clémente pour quitter l’abri de son toit. Nicolas Bouvier l’a fait en son temps et nous a conté son expédition sur les Iles d’Aran avec le style à la fois dépouillé et poétique qui est le sien. Dès les premières pages de son « Journal d’Aran et d’autres lieux« , je me suis retrouvé en phase avec lui. Son itinéraire débute par un lieu imprégné de magie qui ne m’a pas laissé indifférent lors de notre périple dans l’Ouest de l’Irlande ; il s’agit de l’abbaye de Clon-Mac-Noise, au cœur du Comté d’Offaly, un lieu sacré depuis la plus haute antiquité, peuplé de croix et de fantômes. Déambuler au milieu des murailles en ruine des sept églises qui ont colonisé cette terre païenne… Observer le soleil couchant disparaître à l’horizon entre deux croix de pierre… Attendre patiemment la musique veloutée d’une harpe celtique qui ne se fera peut-être jamais entendre… Quel magnifique jalon pour le début d’un voyage… La route continue, après l’abbaye, jusqu’à la baie de Galway. Un bateau attend notre intrépide voyageur pour le conduire sur l’étendue sauvage de l’une des îles d’Aran. Nicolas Bouvier va faire un long séjour dans cet endroit quasiment désert à la mauvaise saison, le temps de se lier avec les quelques habitants permanents, le temps d’être confronté aussi à cette maladie revancharde qui le cloue trop souvent au lit. La tempête, la souffrance, le laconisme de ces hôtes qui observent avec curiosité ce voyageur hors du commun. Les longs moments sans paroles où l’on n’entend que le sifflement du vent et le fracas des vagues sur les falaises de la côte. Ce n’est pas le premier ouvrage que je lis de Nicolas Bouvier, mais celui-ci m’a fortement marqué. La seconde partie du livre nous emmène en Orient, en Corée plus précisément ; l’auteur découvre le pays quelques années après la fin de la guerre entre le Nord et le Sud. J’avoue avoir un peu moins accroché à ces chapitres-là ; la méconnaissance que j’ai de la vie en Orient y est sans doute pour quelque chose et d’autres feront sans doute le choix inverse. Tandis que l’auteur prenait le bateau entre le Japon et la Corée, mon esprit est resté en arrière ; j’errais encore dans les prairies bordées de murailles de pierres sèches.
Nul n’a jamais tenté, sans doute, le périple de Galway jusqu’à la cité des doges à bord d’un coracle, ce bateau traditionnel des pêcheurs irlandais. Je ne m’y risquerai donc pas et je me contenterai de laisser dériver mon esprit jusqu’à Venise. Le changement de décor et d’ambiance est garanti et il est sans doute plus conventionnel de fêter le jour de l’an ou le carnaval dans la cité des doges. Ce ne sont pourtant pas à de telles festivités que vous êtes conviés en lisant « Gondoles de verre« . Je vous ai déjà parlé des romans policiers de Nicolas Remin qui ont comme singularité le fait de se dérouler dans la Venise du XIXème siècle, encore autrichienne, au temps de Sissi impératrice… Un troisième volume des enquêtes du commissaire Alvise Tron vient d’être publié, juste avant Noël, dans la collection « Grands Détectives ». Il s’intitule « Gondoles de verre » et il est dans la droite lignée des deux précédents : un travail soigné et bien documenté. A la fin du second opus, nous avons laissé notre enquêteur, descendant peu fortuné de l’auguste famille Tron, confronté à un projet de production et de commercialisation de bibelots en cristal, histoire de compléter ses revenus de fonctionnaire impérial. Cette histoire suit son cours, mais elle ne constitue qu’un élément de seconde importance dans « Gondoles de Verre ». L’intrigue tourne autour de la disparition d’un tableau du Titien appartenant à la princesse Marie-Sophie de Bourbon et de la mort d’un marchand d’art ayant eu cette œuvre entre les mains. Diplomates étrangers, espions et héros de la future unité italienne tournent autour de ce bibelot convoité et l’enquête s’avère difficile car les fausses pistes et les coupables potentiels sont presque aussi nombreux que les copies de l’œuvre du Titien. Il ne faudrait pas que tous ces sinistres événements compromettent le déroulement de la soirée de gala que les familles Tron et Balbi comptent organiser pour le lancement de leur marque de cristal. La princesse Maria, la précieuse amie d’Alvise Tron, compte beaucoup sur cet événement mondain pour assurer le succès commercial de l’entreprise. Une lecture bien adaptée au farniente hivernal !
Autre écrivain déjà connu des habitués de ce blog, autre nouveauté pour les fêtes de fin d’année : nous retrouvons Jean Contrucci et son héros Raoul Signoret dans un nouveau volume des « Mystères de Marseille » intitulé « le vampire de la rue des Pistoles ». Si le vagabondage à Venise ne vous tente pas, vous pouvez toujours arpenter les rues du vieux Marseille à la Belle-époque. Notre reporter-enquêteur essaie de démêler les fils d’une histoire complexe et plutôt horrible… Au petit matin, dans une ruelle du quartier du Panier, on découvre le corps d’un homme enveloppé dans un linceul. Le fait n’aurait rien d’extraordinaire dans ce quartier de mauvaise réputation, si les blessures qui lui ont été infligées n’étaient pas aussi affreuses. Quel est le (ou la) déséquilibré(e) qui a pu se livrer à de tels sévices et surtout quelles étaient les motivations de l’assassin ? Malgré l’aide de son oncle, Eugène Baruteau, chef de la Sûreté marseillaise, le gentleman reporter, le beau Raoul, a bien du mal à trouver des indices et à conduire une quelconque enquête. Comme dans les volumes précédents, les investigations du journaliste fournissent un excellent prétexte à Jean Contrucci pour nous faire découvrir le Marseille de la grande époque, et surtout pour faire revivre l’âme des quartiers les plus typiques de la grande cité phocéenne. L’auteur maitrise parfaitement son sujet : tant par les descriptions que par le langage fleuri qu’il prête à ses différents personnages, il réussit à créer une ambiance très prenante. Son héros est par ailleurs fort sympathique et défend des idées qui existaient bien entendu à l’époque mais n’étaient sans doute pas majoritaires. Comme dans beaucoup d’autres villes, la vie n’était pas toujours facile dans les quartiers populaires, mais la solidarité et l’entraide permettaient de surmonter bien des obstacles. Je retrouve chez Contrucci la verve d’un Zévaco, l’habileté d’un Gaston Leroux ou d’un Maurice Leblanc et le talent de bien d’autres auteurs de romans « populaires » de la même époque ! Quelques perles se dissimulent au fil des pages telle la poésie sur l’Alsace destinée à « éveiller l’esprit » des élèves de l’école primaire, futurs pioupious du massacre programmé. Cette série des « nouveaux mystères de Marseille » est une véritable réussite et j’espère qu’elle va continuer dans la même voie.
Le livre suivant nous entraine dans les Vosges, à la découverte des châteaux en ruine et de leur environnement naturel. C’est certainement l’un des ouvrages les plus beaux que j’ai eus dans les mains depuis pas mal de temps. Il faut dire que « La légende des ruines » aborde simultanément deux thèmes qui me sont chers : les vieilles pierres et les forêts. C’est à Roland de Miller que je dois cette découverte. J’ai trouvé ce livre sur l’un des rayons de la bibliothèque de l’écologie et j’espère qu’il pourra rapidement quitter le carton dans lequel il se trouve maintenant ! Je ne connaissais pas Henri Ulrich, grand amateur de nature, fin connaisseur de l’Alsace et de ses secrets et surtout dessinateur hors pair ; c’est une lacune maintenant comblée et je compte bien me procurer ses autres ouvrages sur les arbres remarquables d’Alsace et de Forêt Noire. Chaque vieille ruine est accompagnée d’un dessin au crayon et d’une brève description concernant à la fois les légendes qui s’y rapportent et la flore que l’on peut observer dans les environs immédiats. J’y ai retrouvé avec plaisir les bâtisses que nous avons explorées au printemps dans les environs de Sélestat. En découvrant la gravure représentant le château d’Ortenberg (que je vous ai décrit dans une chronique il y a quelques mois) j’ai vraiment eu l’impression de me retrouver sur le sentier qui chemine dans la forêt et permet de se rendre au château du Ramstein. La finesse des traits est exceptionnelle et le moindre détail des pierres et des arbres est représenté. Mon seul regret c’est d’être aussi maladroit en dessin et de n’être pas capable de réaliser ne serait-ce même qu’une esquisse de ce genre de représentation dans mes carnets de voyage. Je me console en admirant ce talent chez les autres ! « La légende des ruines » a été publié aux éditions « la nuée bleue » en l’an 2000. J’ai eu un peu de mal à me le procurer mais en fait il est toujours disponible chez l’éditeur…
Cette chronique étant placée sous le signe du voyage, j’ai gardé pour la fin un livre documentaire, fort bien réalisé, que vous pouvez offrir ou vous faire offrir à la prochaine occasion… En ce qui me concerne c’est l’un des cadeaux que j’ai choisi de mettre sous le sapin du Nouvel An. Il s’agit d’un ouvrage d’Alexandra Lapierre et Christel Mouchard intitulé « Elles ont conquis le monde : les grandes aventurières (1850 – 1950) » : le voyage revisité au féminin et l’occasion de découvrir que le monde des exploratrices ne se limite pas à Alexandra David-Néel ou Ella Maillart. Jeanne Barret, dont je vous ai déjà conté le tour du monde, ne figure pas dans cet inventaire limité aux années 1850 à 1950. Cela n’empêche que la liste de toutes ces personnalités singulières est déjà fort longue à découvrir. En parcourant les pages fort bien illustrées du livre d’Alexandra Lapierre (historienne) et de Christel Mouchard, vous découvrirez les exploits accomplis par des femmes comme Florence Baker ou Rosita Forbes dont je ne manquerai pas de vous conter l’existence un de ces quatre petits matins gelés. Un petit extrait de la présentation de l’ouvrage en quatrième de couverture, histoire de vous mettre l’eau à la bouche : « Quels rapports entre Karen Blixen et Catalina de Erauso, la nonne soldat guerroyant en Espagne au temps du Siècle d’or ? Entre Alexine Tinne, la flamboyante aristocrate hollandaise, campant parmi ses serviteurs dans les déserts d’Égypte, et Margaret Fountaine, la vieille demoiselle chassant le papillon en Amazonie ? À travers l’espace et le temps, qu’ont-elles de commun, toutes ces femmes aux personnalités si différentes ? Sinon ce talent-là : savoir reconnaître leur instinct et soutenir leur désir. Ne laisser personne – aucun être, aucune idée, aucune peur – les détourner de l’essentiel et les dépouiller de leur âme. Oser. » (Alexandra Lapierre) – A mettre entre toutes les mains un tant soit peu aventureuses !
5 Comments so far...
zoë Says:
27 décembre 2009 at 11:50.
Inutile de dire que le dernier m’intéresse particulièrement . Merci Paul et tous mes voeux pour une année qui clôt une décennie assez gasp, burp and oups. Argh, ça ne nous rajeunit pas! 🙂
la Mère Castor Says:
27 décembre 2009 at 14:47.
J’aime beaucoup voyager avec Nicolas Bouvier, moi qui ne voyage jamais. Et merci pour les autres titres, polar et aventurières, tout fait envie.
Isabelle Rambaud Says:
27 décembre 2009 at 20:12.
Jean Contrucci était journaliste au Provençal (devenu depuis La Provence) quand je l’ai connu dans une vie antérieure, très antérieure. Sa connaissance de Marseille était profonde et sans chichi. Je vote pour le vampire à 100% !
Paul Says:
29 décembre 2009 at 08:10.
@ Isabelle – La façon de raconter les histoires qu’a Jean Contrucci est vraiment très plaisante, car il sait mêler à ses récits suffisamment de « parler régional » et de faits divers authentiques pour rendre son écriture très vivante. L’ensemble des « Nouveaux Mystères de Marseille » constitue vraiment l’une des tentatives actuelles les plus intéressantes pour faire revivre la littérature populaire dans le style de la Belle époque. L’ensemble de la série est très équilibré et le niveau des différentes enquêtes suffisamment homogène pour que l’on n’ait pas vraiment envie de recommander un titre plutôt qu’un autre. Mieux vaut suivre dans l’ordre chronologique histoire de découvrir peu à peu la « construction » du personnage central.
Millyna Loubry Says:
21 janvier 2010 at 13:27.
Concernant les réfugiés espagnols, je n’ai pas le temps de tout lire en ce moment.
Ce que je sais, c’est qu’une fois libérés des camps, la misère a continuée.
Je parle du parrain de mon mari, mais ils ont dû être nombreux dans ce cas d’après ses dires.
Trouver du travail était très difficile. Les paysans embauchaient sous conditions, il fallait un ou plusieurs certificats de bonne moralité établi principalement par les curés. Ce qui induit qu’il fallait être catho. Logés dans des réduits sur de la terre battue, des journée de travail à n’en plus finir etc payés au lance pierre puisqu' »hébergés » et sois disant nourris. J’ai également un document qui dit que en cas de désambauche, on vire les étrangers en premier.