21 décembre 2009
Apologie de la Saint Solstice
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .
Aujourd’hui à 17 h 47, la trajectoire du soleil va atteindre son point le plus bas par rapport aux étoiles. Vous n’en avez rien à faire parce qu’à cette heure-là vous serez dans votre bagnole ou dans votre rame de métro pour rentrer du boulot… Vous pouvez toujours fêter ça en tirant deux ou trois fois sur la sirène d’alarme ou en klaxonnant comme un sauvage le crétin en 4×4 qui vient de vous doubler ou qui roule devant vous. Les personnes surprises par le signal sonore ne sauront pas pourquoi, mais vous si ! C’est un jour sacrément important car les jours vont arrêter de raccourcir, voire même, en étant un peu patient, vont commencer à rallonger tranquillement. Je ne doute pas du fait que vous allez ressentir un rebond énergique de votre élan vital et que vos yeux au lieu de fixer obstinément la pointe de vos pantoufles vont se lever peu à peu vers le ciel étoilé. N’exagérez pas quand même car selon les prophètes de la météo réunis en concile, les trottoirs pourraient rester glissant encore deux ou trois jours, surtout au Québec et en Islande. Nos grands anciens n’avaient pas l’habitude de s’envoyer en l’air à grands coups de foie gras, d’huitres et de Champomy, le jour de Noël, entre le bœuf et l’âne… Ils faisaient ça pépères et mémères, autour d’un grand feu de bois le jour du solstice. Ce jour-là c’était le soleil qui était fêté, et surtout sa renaissance. A compter de ce jour magique, l’astre reprenait de la vigueur et faisait l’effort de s’élever un peu plus haut dans le ciel (de l’hémisphère nord) et cela avait une double conséquence intéressante : la période de travail au noir se réduisait, et le bougre promettait, sous réserve que l’on soit patient, de belles veillées lumineuses autour d’un barbecue de bison quelques six mois plus tard.
Au temps du grand Jules, il se trouve que les astronomes du club de Rome, réunis en concile, estimaient que ce jour hivernal faste tombait un 25 décembre. Les chrétiens considérant que le petit Jésus tout nu dans sa crèche (l’un des personnages phares de leur mythologie) brillait de mille feux tel l’astre solaire et il leur semblait donc logique qu’il fût né un 25 tout comme son pote de l’étage en dessus. Le service commercial de l’Eglise trouva que coller sa petite fête privée le jour où – comme par hasard – les masses populaires lectrices de « l’humanité dimanche » faisaient déjà bombance, c’était vachement rusé. A la même période, un colloque d’experts réuni à Copenhague s’est aperçu qu’en ce qui concerne l’équinoxe de printemps, date à laquelle on voulait (comme par hasard) coller la fête chrétienne de Pâques, ne tombait pas le 25 mars, mais le 21. Le moment de l’équinoxe étant plus facile à déterminer que celui du solstice, aucun doute n’était possible. La date d’atterrissage des cloches et des œufs a donc été fixée au 21 du mois de mars sur l’aéroport de Rome. La logique eût voulu que la fête de Noël connaisse le même décalage (6 mois avant – une demi-année), mais le service marketing de la toute puissante Eglise romaine a alors estimé que ça suffisait tout ce chambard. Si on insistait un peu trop, il y a des fêtards qui allaient profiter de ce genre d’annonce pour arroser le 21 décembre, puis le 25, voire même faire le pont entre les deux dates en raison d’une sévère gueule de bois. On a donc maintenu les célébrations au 25, le temps que la masse populaire lectrice du Figaro oublie ses traditions ancestrales, et n’ait plus en tête que des histoires d’âne, de bœuf sacré et de marchands de parfum. Quand les crétins congénitaux qui – selon le même service marketing – constitue la masse de la clientèle eurent perdu de vue ces histoires de solstices et d’équinoxes, on laissa alors les astronomes bonimenter à leur guise. Le solstice était le 21, pas de problème, de toute façon c’était devenu un fait scientifique et non plus l’objet d’un quelconque culte populaire. Seuls quelques païens indécrottables continuèrent à boire de l’hydromel en faisant la ronde autour d’un feu avec des couronnes de gui dans les cheveux. Selon le directeur en chef du culte romain, deux ou trois petites croisades et autres purifications religieuses et les brebis égarées reviendraient dans le troupeau… sous forme de méchoui…
Personnellement, pour rien au monde je n’aurais confié la surveillance de mes enfants à un bœuf et à un âne. Bien qu’aimant la nature, j’ai préféré que mon épouse accouche dans une clinique, car là au moins la litière est renouvelée régulièrement. Aucun de mes deux fils n’a eu la triste idée, jusqu’à ce jour, de se prendre pour un prophète et de vouloir le bien d’autrui à grands coups de convictions dans la gu… J’ai en effet beaucoup apprécié, en connaisseur, les flots de sang que le message d’amour adressé par le Christ à l’humanité, ont fait couler un peu partout. Comme en plus le célèbre slogan « Dieu est amour » a été revendiqué par plusieurs officines concurrentes, les ravages ne sont pas allés en diminuant. Il serait bon de savoir un jour, histoire d’établir un hit-parade, quelle épidémie a causé le plus de mortalité sur notre belle planète : entre les religions, la peste noire et la grippe H1N1, le hit-parade va être difficile à établir… En toute objectivité, je reconnais que le mec dont on commémore la naissance à Noël n’est pas le seul responsable, mais ses supporters ont quand même été d’une remarquable efficacité. Le problème est loin d’être réglé, car, comme le disait la grand-mère de l’un de mes copains « chassez la religion par la porte ; elle revient par la cheminée avec un bonnet rouge ». Nous avons la chance de vivre dans un « Etat laïc » ; chez nous il paraît que les pouvoirs spirituels et temporels sont séparés ; il n’en reste pas moins qu’une certaine croyance imprègne notre culture ; mieux vaut que les infidèles restent discrets avec leur tapis à prières. Le grand Nicolas n’a pas été couronné à Reims, mais en ce qui concerne son héritier mâle (l’aîné bien sûr), nul ne sait. Christine Boutin, Roselyne Bachelot, Fadela Amara, et Rachida Dati en « reines mages »… ça serait sympa non ? Et puis quelle fierté pour les féministes !
En attendant, pour moi, le solstice d’hiver, c’est un jour sacrément important, et pour vous aussi, chères lectrices et chers lecteurs, car à compter de ce jour, la durée de mes rouspétances quotidiennes diminue, de façon inversement proportionnelle à l’allongement de la période de lumière. Je redeviens progressivement l’être charmeur, agréable, souriant, toujours le mot gentil à la bouche, que je serai pleinement au printemps, époque bénie à laquelle je peux enfin semer des radis dans mon potager et arracher l’ivraie de droite qui pousse dans mon blé de gauche. Par décret, je décide donc que l’apéro de ce soir commencera à 17 h 47 et prendra fin lorsqu’il sera achevé. Ne venez pas m’embrouiller avec des histoires d’heure vraie, de décalage horaire ou d’avance sur le soleil. Si vous faites ça, je vous envoie le grand inquisiteur. Un dernier petit détail pour les fêtards que vous êtes : en réalité, commence le jour du solstice d’hiver (Yule ou yol ou jol selon les langues d’origine) une période festive qui doit durer 12 jours. Cette fête se doit d’être commémorée dignement. Elle est placée sous le signe de l’hospitalité : chacun doit pouvoir trouver place devant la cheminée et autour de la table de ses hôtes ; chacun doit pouvoir boire à sa soif et manger à sa faim. Il est de bon ton que chaque invité apporte une bûche pour alimenter l’âtre de son hôte… et ainsi de suite : je vous laisse improviser la suite. Vous n’êtes pas obligés d’adhérer à une communauté druidique pour faire tout cela… N’empêche que nos grands anciens, ils savaient vivre eux !
NDLR : toutes les illustrations sont « maison » sauf le cercle de pierres dressées de Stonehenge qui m’a été offert par un cercle druidique, en échange d’un peu de pub que je ne leur ferai pas.
6 Comments so far...
zoë Says:
21 décembre 2009 at 10:46.
Un petit bijou d’humour ce texte. Il est vrai que passé le 21 décembre, la bestiole héliophile que je suis ressens le réchauffement opérer dans ses veines, le pire est derrière moi pou quelques dix mois, je commence à baisser du nez à La Toussaint; merci Paul et bon apéro, je trinquerai avec vous (bon, je ne garantis pas l’absolue synchronie). Sous l’arbre, il y a une suggestion amusante dans le VdB de ce dimanche. BàV
anne-claire Says:
21 décembre 2009 at 10:50.
ah ça fait du bien à la tête (en attendant la vraie chaleur pour le corps) de savoir que le soleil renaît… je vais progressivement arrêter de ressembler à une ourse en hibernation et me réveiller…
Floréal Says:
21 décembre 2009 at 13:15.
Je vous ai trouvé sur le blog de Zoé (mon magazine ouebesque). J’ai bien aimé votre article. J’aime bien qu’on parle des « traditions » et des « croyances » de cette manière. Compliments aussi pour les belles illustrations, très suggestives. J’espère que vous écrirez d’autres articles de ce genre au rythme des calendes druidiques.
François Says:
21 décembre 2009 at 13:46.
Et si tu veux te défouler un peu, rapport à Dieu, je te conseille la lecture de cette BD en ligne: http://pourdieutapezun.canalblog.com/
la Mère Castor Says:
21 décembre 2009 at 20:40.
Très bel article, les histoires de calendrier sont passionnantes.
J’ai écrit aussi, mais je suis plutôt raplapla, j’ai fait ce que j’ai pu.
Pourquoi Pas ? Says:
22 décembre 2009 at 19:32.
L’un des fils en question va pourtant passer Noël en compagnie de Jesus ! Enfin, depuis que je vois sa consommation de bières, je me dis que les préceptes que l’on ne m’a jamais appris mais dont j’ai entendu parler (« faire comme Jesus » ou un truc du genre) ne sont peut être pas si pire !